Le thé n a plus la même saveur
116 pages
Français

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Le thé n'a plus la même saveur , livre ebook

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Description

En quittant son village natal près de Ouarzazate dans le sud marocain, H'ddou a laissé derrière lui un lieu déserté par les hommes. Les femmes abandonnées pleuraient leurs maris ensorcelés par le rêve français. Il vécut les affres de l'exil et d'être dans un monde qui n'est pas le sien. Son amour pour H'ra, sa cousine, fut contrarié par une belle-mère autoritaire, produit d'une société marocaine encore sous le poids des traditions ancestrales.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 juillet 2009
Nombre de lectures 70
EAN13 9782336273945
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0000€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Lettres du monde arabe
Collection dirigée par Maguy Albet et Emmanuelle Moysan
Abubaker BAGADER, Par-delà les dunes, 2009.
Mounir FERRAM, Les racines de l’espoir, 2009.

Dernières parutions dans la collection écritures arabes
N° 231 Falih Mahdi, Embrasser les fleurs de l’enfer , 2008. N° 230 Bouthaïna AZAMI, Fiction d’un deuil, 2008. N° 229 Mohamed LAZGHAB, Le Bâton de Moïse, 2008. N° 228 Walik RAOUF, Le prophète muet, 2008. N° 227 Yanna DIMANE, La vallée des braves, 2008. N° 226 Dahri HAMDAOUI, Si mon pays m’était conté , 2008. N° 225 Falih MAHDI, Exode de lumière , 2007. N° 224 Antonio ABAD, Quebdani, 2007. N° 223 Raja SAKKA, La réunion de Famille, 2007.
Le thé n'a plus la même saveur

El Hassane Aït Moh
© L’Harmattan, 2009
5-7, rue de l’Ecole polytechnique, 75005 Paris
http://www.librairieharmattan.com diffusion.harmattan@wanadoo.fr harmattan1@wanadoo.fr
9782296075184
EAN : 9782296075184
Sommaire
Lettres du monde arabe - Collection dirigée par Maguy Albet et Emmanuelle Moysan Page de titre Page de Copyright
- Où sont les hommes ? demanda poliment le petit prince.
- Les hommes ? répondit la jeune fleur, il en existe, je crois, six ou sept. Je les ai aperçus il y a des années. Mais on ne sait jamais où les trouver. Le vent les promène. Ils manquent de racines. Ça les gêne beaucoup.
Le petit prince Antoine de Saint-Exupéry
Le train, tel un animal blessé, poussa un long gémissement puis s’immobilisa. Un bref silence régna puis soudain, une voix féminine amplifiée annonça laconiquement : Lyon, Gare de Perrache. Mon corps fut saisi d’un sentiment de panique mêlé à l’excitation que provoquaient souvent les lieux nouveaux. Un désordre total régnait dans le compartiment. Encore somnolents, les passagers se bousculaient, s’emparèrent avec frénésie de leurs bagages et se précipitèrent vers la porte métallique à peine entrouverte. Une marée humaine se déversa sur les quais. Pendant que la voix du haut-parleur annonçait les départs et arrivées des trains, le bruit des valises à roulettes se mêlait aux pas excités des passagers. Une odeur nauséabonde remontait des rails. Une fumée bleuâtre s’intensifiait à travers l’éclairage aveuglant des néons.
Je tenais ma vieille valise noire de mes deux mains. Je m’y accrochais. J’avais peur qu’on me l’arrachât. Ce fut bizarrement le moment propice pour ma mémoire de réveiller toutes ces histoires de mon enfance où le campagnard fraîchement arrivé en ville se faisait voler ou même tuer par des truands. La voix de ma mère se fit plus que jamais nette dans ma tête : « plutôt les piqûres d’abeilles dans mon pays que le miel dans le pays des autres » .
Pendant tout le trajet, je n’avais cessé de lutter contre moi-même. Contre cette peur grandissante qui affectait de plus en plus ma volonté de continuer, car j’ai déjà entendu parler de ceux qui, gagnés par la peur de l’inconnu, ont rebroussé chemin.
A mesure que le train avançait vers le nord, les plaines désertiques du sud de l’Espagne cédaient peu à peu la place à des paysages verdoyants. Une fraîcheur délicieuse parcourait tout mon corps, m’enivrait. Elle allait jusqu’à conquérir des frontières de mon être, encore vierges de sensations que créait en moi cette humidité profonde. Ayant toujours vécu dans la sécheresse des terres arides, cette découverte fut en elle-même un événement marquant.
La foule s’est soudain évaporée devant mes yeux résignés. Seul dans ce gouffre métallique, le sifflement assourdissant des trains emplissait mes oreilles. Je me sentis soudain écrasé par le vide. Quelque chose d’indéfinissable manquait à cet endroit dépeuplé, propre et bien rangé. Où sont ces mendiants qui vous assaillent avant même de poser votre pied à terre ? Où sont ces femmes courbées sous le poids de leurs bébés et tendant la main à longueur de journée ? Où sont ces enfants en haillons vendeurs d’objets hétéroclites en détail ? Et la voix berceuse du muezzin rappelant à longueur de journée le temps qui passait ? Mon Dieu, tous ces bruits humains me manquaient déjà.
Je pénétrai à l’intérieur de la gare, j’avançai lentement dans une sorte de monstre métallique. Hésitant, je pris place dans une grande salle où les gens paraissaient en attente. Des gens très blancs aux cheveux blonds ; différents de ceux qui m’avaient vu naître et grandir. Des « Roumis ». Oui, je suis au milieu des « Roumis ». C’était ainsi qu’on m’avait appris à nommer les chrétiens. Pour la première fois de ma vie, je me sentais étranger.
Soudain, j’aperçus parmi les personnes assises et à moitié endormies un homme d’une quarantaine d’années et dont les traits me semblaient familiers. « Il doit être de chez nous, celui-là » me dis-je. Je m’assis près de lui en le fixant longuement des yeux. L’homme se sentant concerné me lança avec un sourire narquois :
- Tu viens de débarquer toi aussi, mon frère ?
Je n’en crus pas mes oreilles. Enfin quelqu’un qui me parlait dans ma langue ! Comme si, perdu au milieu d’un océan, une bouée de sauvetage jaillissait de nulle part. Ne pouvant contenir ma joie, je m’écriai :
- Tu es du Maroc, mon frère ?
- Non, répondit l’homme un peu gêné, je suis Algérien... En fait, j’étais Algérien. Maintenant, je ne sais plus qui je suis. Je m’appelais Ali, mais j’ai dû changer de prénom. Je voulais vraiment être comme eux. On m’appela Alain, car plus proche de mon prénom initial. Mais, tu resteras toujours pour eux un Arabe. Tu verras que c’est dur la France. Plus on y reste, plus on s’y perd. Au début, elle nous fascine, puis à la fin, elle nous détruit...La France, c’est la souffrance, mon frère.
- Mais moi, c’est différent. C’est monsieur Maurras qui était venu me chercher dans mon village
- Maurras est venu te chercher, d’accord, mais il y aura toujours un autre Maurras qui va te renvoyer chez toi quand il n’aura plus besoin de toi, me lança-t-il en ricanant.
Quel immigré raté celui-là ! Je suis mal tombé. En tout cas. il m’a « coupé les jambes », il m’a découragé.
- On m’a dit qu’on peut passer la nuit dans un hôtel ici, demandai-je.
- A Lyon ? s’écria-t-il. Un hôtel pour quelqu’un comme toi ? Tu arrives des pays de pétrole ou quoi, mon frère ? Je vais te montrer un hôtel pas cher du tout et c’est même gratuit.
- Ah, bon ? C’est loin d’ici ?
- Non, puisque tu y es déjà. Choisis un coin et allonge-toi jusqu’au matin. Ecoute mon frère, quelqu’un dans ton cas ne trouvera pas meilleur endroit pour passer la nuit.
- Comment peut-on dormir dans un endroit pareil ? Et les voleurs... ?
- Ici, chacun a peur de l’autre. Tu n’as qu’à le mettre dans la tête que tu fais peur aux autres. et que ceux qui te voient ont peur de toi. Comme ça tu dormiras tranquillement.
Inconcevable au départ, cette idée devenait peu à peu une fatalité à mesure que l’homme avançait dans ses arguments.
La salle d’attente regorgeait de passagers. Des visages plissés par la fatigue du voyage, d’autres, encore frais, mais qui semblaient momifiés par la longue attente avant le départ. Des liens superficiels se tissaient le temps d’une attente fugace, des sourires furtifs et anonymes s’échangeaient en guise de salutations. Des regards se croisaient sans se voir.
L’homme ne cessait de parler, comme si tant de mots étaient restés emprisonnés dans son cœur. Comme si soudain le volcan, longtemps retenu sous terre, faisait éruption.
Ma présence semblait déclencher en lui une envie folle de parler. Un besoin pressant de dire des choses qui lui tenaient depuis longtemps à cœur. Mais personne, semblait-il, ne remarquait son existence. Il crut alors trouver en moi une oreille qui l’écoutait. Une oreille encore fraîche et attentive, mais surtout proche de lui. J’écoutais sereinement sa voix plaintive, en hochant de temps en temps la tête, mon regard ne quittait plus le visage blême de cet homme sorti du néant. Arc-boulé sur ma chaise, je l’écoutais encore. Mais il ne tarda pas à s’endormir quelques heures plus tard au beau milieu de son récit ; sa vie étant une très

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