Les mauvais tours

Tom Annodeau

Description

C'est le bouillonnant désir d'émerger du néant qui lie les six nouvelles de cet opuscule. Au travers de ces histoires, de contemplatifs personnages sont soumis aux hasards des rencontres et des sentiments. On doute beaucoup, les sourcils se froncent alors et les langues claquent encore. Il faut conter des vies pour restituer tout ce que l'âme sait engendrer de finesse, de sensuel, de brutalité, d'horreur et de désespoirs désabusés.

Sujets

• Harmattan Littérature
• Nouvelles
• Romans
• Littérature

Informations

• Publié par: L'Harmattan
• Date de parution: 11 décembre 2018
• Nombre de lectures: 9
• EAN13: 9782140107528
• Langue: Français

Extrait

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Tom Annodeau

Les mauvais tours Nouvelles

Les mauvais tours

collection Amarante

Les mauvais tours

Amarante Cette collection est consacrée aux textes de création littéraire contemporaine francophone. Elle accueille les œuvres de fiction (romans et recueils de nouvelles) ainsi que des essais littéraires et quelques récits intimistes.

La liste des parutions, avec une courte présentation du contenu des ouvrages, peut être consultée sur le site www.editions-harmattan.fr

Tom Annodeau Les mauvais tours Nouvelles

© L’Harmattan, 2018 5-7, rue de l’Ecole-Polytechnique, 75005 Paris http://www.editions-harmattan.fr

ISBN : 978-2-343-16244-7 EAN : 9782343162447

Merci ma fille

J’étais assis dans la salle d’attente depuis 10 minutes à feuilleter de vieux magazines, l’air absent. Un énième article sur une énième personnalité décédée, des recettes de poissons à la plancha, les vertus d’huiles miraculeuses contre le vieillissement de la peau, les splendides vacances en Grèce d’une animatrice de télévision. Futilités. Je me suis demandé pourquoi il y avait toujours ces mêmes magazines à la noix dans les salles d’attente et pas des bouquins. On entre, on cherche une place où se faire tout petit et on attrape docilement une de ces pelures en papier pour se donner un genre ou se cacher derrière. Je crois que c’était un Paris-Match ce coup-là. Dans la salle d’attente, il y avait un homme accompagnant un vieux monsieur, son père à mon avis. Il avait l’air de venir du fond des âges. Sa peau ridée et tavelée avait l’apparence du cuir. Il ne brillait plus d’étincelle dans ses yeux. Ce vieux monsieur m’a donné l’impression d’un agonisant perpétuel, un homme maudit à qui la mort se refuse. À côté de lui, je me sentais honteux de ma vigoureuse vingtaine, de mon irrépressible soif de vie. C’est un peu en substance ce que doit penser la dernière fleur d’été, entourée de ses semblables fanées; toute coupable de vivre. J’avais rendez-vous chez le docteur Chun pour la vérification annuelle de ma vue et, comme d’habitude,

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je me préparais à passer une bonne heure dans cette salle blanche et trop propre. Je faisais semblant de m’intéresser à un article sur les 10 meilleurs plans vacances à petit prix lorsque la sonnerie de la porte a retenti. Une femme a ouvert la porte et est entrée, talonnée par une autre, mais toute petite et ratatinée. La première devait avoir dans les 50 ans, habillée d’un pantalon 3/4 et d’un chemisier rose. Elle portait les cheveux courts de la bonne mère de famille. Elle n’était pas de première fraîcheur, cette femme, mais la deuxième en tout cas devait être âgée d’au moins 90 ans. Elle était minuscule et avançait à l’aide d’un déambulateur. Sa chevelure était éparse, fine et blanche, toute raide. Son visage émacié et menu paraissait tout sec. Elle portait un long manteau informe kaki beaucoup trop chaud pour la saison et des bas marrons rabaissés aux genoux. Ses jambes étaient emballées à mi-mollet dans des sortes de bandes molletières jaunâtres. Il s’agissait certainement d’une vieille mère accompagnée par sa fille. Bien installée juste à côté de moi, la vieille femme ne touchait pas le sol avec ses pieds. Elle était vraiment aussi petite qu’une fillette. Je m’efforçais de poursuivre la lecture de mon magazine, mais mon esprit était focalisé sur mes deux voisines. Je n’ai jamais pu m’empêcher d’écouter les conversations des gens dans les salles d’attente. On s’ennuie tellement dans ces petites pièces qui sentent la médecine! c’est même à ça qu’on les reconnaît les salles d’attente : à l’ennui qu’elles procurent. J’étais donc à l’affût et je jetais de multiples coups d’œil vers mes deux nouveaux divertissements.

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- Oh, c’est quand même pas commode, j’ai gardé le même slip qu’hier et puis je n’ai pas fait ma toilette ce matin, a lâché la vieille avec une voix grave d’ancienne fumeuse aguerrie. Pas mal pour un début, je me suis dit. Un peu dérangeant, mais intéressant. Je voyais déjà le tableau, la pauvre dame souffrante d’être usée, son corps étant devenu un fardeau, une vieille charrette en bout de course. Ça faisait déjà pas mal de souffrance palpable en une seule phrase. La voix de sa fille au contraire était d’une douceur rassurante : - C’est pas grave maman. Elle lui passa une main dans les cheveux avec lenteur et précaution, comme on touche un trésor. - Je vais te couper les cheveux, ils sont longs. - Oh oui alors. Merci ma fille. J’étais ému par cette scène ordinaire de dévouement, cette dame qui rend la pareille à sa mère. C’est le cycle de la vie en somme. La femme qui donne la vie, protège et transmet, décline jusqu’à n’être plus qu’un nourrisson inverse, à bout de souffle de vivre et dont le fruit de ses propres entrailles prend le relais. À partir de là, ce miracle humain et perpétuel m’a complètement absorbé. - C’est fou, je ne sais même pas ce que je fais ici, a soufflé la vieille maman. - Tu es à la maison de retraite, maman, ça fait 10 ans cette année. Aujourd’hui, je t’accompagne à ton rendez- vous chez le docteur Chun, pour tes yeux, a répondu la femme avec patience. - Ah oui, ah oui, le docteur. - Oui maman, tu vois le docteur Chun depuis 9 ans maintenant, tu te souviens?

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