Les murs et le miroir   ROMAN
269 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Les murs et le miroir ROMAN , livre ebook

-

269 pages
Français

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Description

Ce roman relate l'histoire d'une jeune iranienne d'origine juive. Son adolescence et sa jeunesse nous font voyager dans un Iran agité par les soubresauts des années 80. Déchirée entre son attachement à sa famille, l'amour qu'elle porte à "Pejman", un garçon qui n'appartient pas à sa communauté, son journal intime va être le reflet de ses sentiments contradictoires. Une question la hante : A-t-elle le droit de faire souffrir les autres en faisant ses choix de vie ?

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 juillet 2011
Nombre de lectures 38
EAN13 9782296465527
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,1000€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

À mes parents Haroun et Manijeh
La note de l’auteur :
Le manuscrit de ce livre a été d’abord rédigé en langue persane puis traduit par l’auteur en français. Je tiens à remercier chaleureusement Tessa Parzenczewski pour l’aide précieuse qu’elle m’a apportée pour la correction de la version française.
Les Murs et le Miroir
© L’Harmattan, 2011
5-7, rue de l’Ecole polytechnique, 75005 Paris

http://www.librairieharmattan.com
diffusion.harmattan@wanadoo.fr
harmattan1@wanadoo.fr
ISBN : 978-2-296-55218-0
EAN : 9782296552180

Fabrication numérique : Socprest, 2012
Ouvrage numérisé avec le soutien du Centre National du Livre
Mojgan Kahen


Les Murs et le Miroir


roman


L’Harmattan
1
P arfois, je vois mes souvenirs comme un livre dont les pages se détachent peu à peu. Lorsqu’il y a du vent, quelques feuilles s’échappent. Et je poursuis le vent, partout, dans l’espoir de les rattraper. Les feuilles emportées seront les pages oubliées de ma vie.
Chaque jour, des souvenirs surgissent. Je n’ai pas toujours le temps d’écrire. Et le lendemain, il est trop tard. Car, déjà, le vent les a emportés. Aujourd’hui, j’ai fini par récupérer quelques feuilles. Je suis assise devant ces pages mais elles ne sont pas numérotées et je n’arrive pas à les classer.
Cette nuit, à Bruxelles, il fait très froid. Je viens de me réveiller et je n’arrive pas à me rendormir. Certains trouvent idéal d’écrire la nuit mais moi je suis trop fatiguée. Je viens de loin. Je viens d’un Monde submergé d’écrits et de souvenirs.
Je prends la télécommande et je zappe machinalement. Je m’arrête sur une chaîne : Devant un miroir, une fillette d’une douzaine d’années contemple les formes de son corps. La scène dure quelques instants. Dans ses yeux brille une étincelle, elle me fascine. Son regard est celui d’une femme qui imagine les yeux d’un homme posés sur son corps nu. Un regard radieux. Je ne regarde plus le film. Je plonge dans le passé. Je retrouve la fillette que j’étais à douze ans :
Elle fixe le reflet de sa silhouette dans le miroir, d’un œil effrayé. Elle observe les enflures qui croissent et métamorphosent son corps. Elle sait que ces gonflements signifient qu’elle grandit, et qu’elle devient femme. Au fur et mesure que passent les jours, elle réalise à quel point elle est impuissante face à ce changement. Cela lui rappelle la maladie qui l’a frappée à l’âge de sept ans : les oreillons. Sa joue gonflait sans cesse. Et elle ne pouvait rien faire pour l’empêcher. De jour en jour, le gonflement augmentait, et elle ne se reconnaissait plus dans le miroir.
A présent, c’est tout son corps qui se transforme. Mais alors qu’au bout de quinze jours, les oreillons avaient disparu et que son visage était redevenu normal, elle devra traîner toutes ces enflures jusqu’à la fin de ses jours…
…Tous ces changements m’avertissaient que bientôt je deviendrai femme. Et qu’un jour, je devrai me marier. Ces pensées m’effrayaient.
Je disais toujours à ma mère :
« Plus tard quand je serai grande, je veux devenir bonne sœur. »
Ma mère me répondait en riant que ce ne sont que les chrétiennes qui peuvent devenir bonnes sœurs mais nous, nous sommes juifs et pour une Juive, c’est impossible. Elle m’a expliqué que dans la religion juive, ne pas se marier est considéré comme un péché ; et si un être humain ne se marie pas, il restera incomplet jusqu’à la fin de ses jours.
Je me suis dit : « Et si je veux rester incomplète ? »
Rester incomplète, pourquoi pas ? Mais lorsque s’ajoute à cela le mot « péché », cela devient beaucoup plus compliqué.
Plus tard, lorsque je suis devenue adulte et que j’ai voulu me marier, j’ai réalisé que certains mariages vous rendent non seulement plus coupable qu’avant, mais ils peuvent aussi faire en sorte que l’on cesse d’exister pour sa propre famille…
Je dois dire que quelques années avant mes douze ans, j’avais déjà commencé à devenir une femme. Tout a débuté par un événement que je n’oublierai jamais.
Une chaude journée d’été à Téhéran. J’ai 8 ans et je joue dans la cour. J’adore l’été. Je saute à la corde et cela me donne une sensation très agréable. Je fais très attention de ne pas toucher la corde avec mes pieds. Je saute haut et j’arrive à trouver une harmonie entre mes sauts et les mouvements rotatifs de la corde. Cette fois, j’ai envie d’arriver à 500 : 104,105,106…
J’entends ma mère qui m’appelle de la toilette du fond de la cour. Je fais semblant de ne rien entendre tout en continuant à compter : 115,116… Mais maman insiste. Je cesse de jouer et je me dirige vers la toilette, je m’arrête devant la porte. Maman passe la tête et regarde à gauche et puis à droite. Une fois assurée qu’il n’y a personne d’autre dans la cour, elle tend discrètement sa main. Dans sa paume tremblante, elle tient un morceau de coton imprégné de sang. Elle tend sa main vers moi et s’explique rapidement :
« Regarde Sheyda ! Un jour cela t’arrivera à toi aussi ! Comme à toutes les autres filles. »
Puis, sans me regarder, elle me referme la porte au nez. Je reste là, debout, pétrifiée, incapable de penser à quoi que ce soit. La seule chose que je ressens, c’est une angoisse qui émerge de mon ventre et qui traverse mon corps pour arriver à mes extrémités. Ma corde est tombée par terre. Après un instant, je me mets à répéter la phrase de ma mère :
« Un jour, cela t’arrivera à toi aussi ! Comme à toutes les autres filles. »

Mon cerveau est incapable de penser plus loin. J’abandonne ma corde et je monte dans ma chambre. Je prends ma poupée et je la
serre fort dans mes bras. Puis, je me réfugie dans un coin. Je me colle contre le mur et me glisse sur le tapis. Je mets mon pouce en bouche et je ferme les yeux…
Ma mère avait raison. J’ai dix ans et c’est arrivé à moi aussi. Sans savoir de quelle maladie il s’agissait, si elle s’arrêtera un jour ou si elle finira par m’emporter. Je ne sais pas. La seule chose que je sais, c’est que, malgré cette maladie, ma mère est toujours en vie.
Ma mère porte son tchador fleuri. Ma petite sœur Mahtab est dans ses bras. Ma mère ne porte pas le tchador pour se voiler mais seulement lorsqu’elle est pressée ou quand elle n’a pas envie de se changer pour sortir. Au moment où elle franchit la porte, je cours et je me mets devant elle. Ensuite, je commence à pleurer. Maman me regarde avec des yeux étonnés et me demande :
« Qu’est-ce qu’il y a ? C’est pour Mahtab que tu te fais du souci ? Ne t’inquiète pas ! Ce n’est pas très grave. Je l’emmène chez le médecin et elle va vite se remettre. »
Je continue de pleurer encore plus fort. Mais maman doit partir.
Je ne raconte ni à ma mère ni à personne d’autre « la chose » qui vient de m’arriver. Si ! Parfois je vais près du bassin d’eau et je me confie aux poissons rouges. Et parfois je les envie.
Le sixième jour, je suis très contente. Ma mystérieuse maladie me laisse enfin tranquille. Et ce même jour, lorsque je rentre de l’école, je vois ma mère et ma tante qui m’attendent en haut des escaliers. Ma mère a les yeux inquiets et humides. Elles m’emmènent dans une pièce et me demandent de me déshabiller. Je sais ce qu’elles cherchent. Je suis soulagée car il n’y a plus aucune trace de ma maladie et je peux tout nier. Mais l’inquiétude de ma mère ne diminue pas et se transforme en une terrible angoisse. Ma tante essaie de la calmer et puis se tourne vers moi :
Est-ce qu’il t’est déjà arrivé que des garçons dans la rue essaient de te toucher ou de t’embrasser ?
Je ne vois aucun rapport entre la question de ma tante et ma mystérieuse maladie. Je me sens de plus en plus mal. Elles ont l’air fort soulagées lorsqu’elles finissent par se persuader qu’aucun garçon n’est responsable de ma maladie et que ça vient plutôt de moi.
Ce soir, ma mère, ma tante et ma grand-mère se sont réunies pour m’expliquer cette maladie étrange. Je suis installée au fond de la pièce. J’ai une tête de coupable. Elles sont assises toutes les trois sur le tapis, en face de moi, et me fixent.
J’entends le battement de mon cœur

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