Les Noces Blanches
281 pages
Français

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Description

Le nougat de la petite confiserie artisanale Audranne commence à se faire une réputation lorsque Pierre, le chef de famille, pour contestation au retour au pouvoir de Louis-Napoléon, est arrêté et meurt en détention.

Sujets

Informations

Publié par
Nombre de lectures 20
EAN13 9782812916168
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0082€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Après des études de langues, d’archéologie et d’histoire de l’art,Amicie d’Arces se lance dans le journalisme. Passionnée de patrimoine, elle est l’auteur de guides culturels, de livres d’histoire et de cuisine régionales. Elle collabore à des revues d’histoire et écrit par ailleurs des nouvelles publiées dans la presse féminine. Les Noces blanchesest son troisième roman publié aux éditions De Borée.
LESNOCES BLANCHES
Du même auteur Aux éditions De Borée
La Maison de cristal Les Larmes des Polonaises, Terre de poche
Autres éditeurs
Cuisine de Bourgogne de A à Z Hier en Bourgogne. Cuisine, fêtes et traditions Hommes et femmes célèbres de la Drôme Maltat 1870-1914, Misère ou belle époque, en collaboration avec Pierre Michel Mes recettes bourguignonnes
En application de la loi du 11 mars 1957, il est interdit de reproduire intégralement ou partiellement le présent ouvrage sans autorisation de l’éditeur ou du Centre français d’exploitation du droit de copie, 20 rue des Grands-Augustins, 75006 Paris. © , 2013
AMICIE D'ARCES
LESNOCES BLANCHES
Première partie
L’INSURGÉ
I
Montélimar, 8 décembre 1851.
ÈS QU’ELLE VIT ENTRERles gendarmes dans la boutique, Julie comprit. D Le plus âgé, elle le connaissait ; il était déjà ve nu acheter des friandises ou des nougats. Le plus jeune se donnait des airs i mportants mais c’est l’autre qui dit d’un ton menaçant : – Ton mari, il est où ?… N’essaie pas de l’avertir, la maison est cernée. Julie sentit son cœur s’affoler. Adrien qui venait de retirer les volets de la façade restait interdit, un vantail dans les bras. La petite Louise se précipita vers sa mère qui la repoussa et voulut bêtement barrer l e chemin aux deux hommes. Ils s’engouffraient déjà dans la cuisine qui condui sait à l’atelier ; elle courut derrière eux, elle s’écria, quand son mari, penché sur son chaudron de nougat, se redressa : – Pierre ! Pierre ! De qu’a fa ? Pierre jeta un bref coup d’œil vers la porte arrièr e mais trop tard ; il n’était plus question de fuir, le plus jeune des gendarmes s’éta it déjà jeté sur lui et le ceinturait. L’ouvrier qui avait commencé à travailler la pâte d e réglisse se recroquevilla contre le mur en roulant des yeux affolés. L’appren ti fila derrière le poêle. Julie hurla : – C’est pas un assassin, mon homme ! Il a rien fait de mal ! Elle s’agrippait à lui pendant qu’on menottait Pier re ; il murmura dans un souffle : – T’en fais pas, ils vont vite me relâcher… Je t’ai me. – Où vous l’emmenez ? cria-t-elle en reculant vers la boutique comme si elle pouvait encore empêcher quoi que ce soit. – Ça te regarde pas. Laisse-nous passer, sinon on t’embarque aussi. Elle se doutait bien, hélas ! de l’endroit où allai t le conduire le fourgon. À la citadelle, là-haut, qui dominait la ville, au vieux château fort qui servait de prison d’arrondissement. Elle lança un regard glacial du côté du gendarme : il pouvait toujours revenir acheter des bonbons, celui-là ! Quand le prisonnier traversa la boutique, Louise se mit à sangloter, Adrien fit un geste vers son père qui dit simplement d’une voi x ferme : – Occupe-toi de ta mère et de ta sœur, mon grand. Dans le petit jour sale qui pointait, quelques rare s badauds s’étaient attroupés autour de la boutique et du fourgon. On entendait a u loin le tambour rameuter les citoyens pour aller défendre la mairie. Sans grand succès. On chuchotait qu’une partie de la garnison était allée se poster sur le boulevard du Fust. On avait surtout peur et on préférait ne pas être mêlé à ces désordres. Avant de filer se réfugier chez eux, quelques curie ux s’attardèrent à regarder le confiseur monter dans le fourgon où se trouvaien t déjà deux autres prisonniers ; puis le cocher fouetta les chevaux, le convoi s’é branla en résonnant bruyamment sur les pavés de la Grand-Rue. Les yeux se tournèrent alors vers la vitrine de suc reries et quelqu’un chuchota : – Comment elle va se débrouiller, maintenant, Julie Audranne ? Personne ne releva. Aussi bien ceux qui approuvaien t l’arrestation du
confiseur que ceux qui plaignaient sa femme préférè rent se taire, par peur des mouchards.
Julie avait tourné le dos aux curieux et serrait se s deux enfants contre elle en tentant de les rassurer. – Votre père n’est pas un voleur, il n’a rien fait de mal. Louise hoquetait encore. À onze ans, c’était une ma igrelette un peu farouche mais à l’esprit vif. Tout ce qu’elle savait, compte r, peser, trier, et aussi repriser, surveiller la soupe, décrasser un tablier, elle l’a vait appris en regardant faire sa mère. L’an passé, une voisine lui avait montré de j olis points de couture et suggéré à Julie qu’on pourrait mettre l’enfant en a pprentissage chez une couturière. Une bouche de moins à nourrir… Elle en aurait le cœur brisé, Julie, s’il lui fallait se séparer de sa fille, si Pierre… La petite reniflait et levait de grands yeux noirs désorientés. – Pourquoi les gendarmes l’emmènent, alors ? La confiseuse posa un baiser sur les mèches brunes et broussailleuses sans répondre. – Sèche tes larmes, ma pitchounette, et aide-moi à ranger le magasin. – Moi, je sais ! s’écria Adrien. Gaspard, il dit qu e le père c’est un rouge et qu’il veut faire la rév… – Tais-toi ! Ton frère ferait mieux de ne pas bajas ser à tort et à travers. – Quand il va savoir… – Il l’apprendra bien assez tôt. En attendant, file surveiller la cuisson avec Justin. Qu’il aille pas nous gâter la marchandise, celui-là. Les galoches claquèrent sur les dalles et la porte de l’atelier se referma d’un coup sec. Puis le silence revint. Lourd, épais comm e les murs qui enfermaient maintenant Pierre, comme la chape qui s’était abatt ue sur leur famille, qui allait les étouffer ; parce qu’ils n’allaient jamais le re lâcher, c’était sûr, ils s’acharneraient contre lui, et c’était un têtu, Pie rre, et il n’avait jamais fait mystère de ses idées politiques… Pendant qu’elle s’affairait, surtout ne pas laisser voir sa détresse à Louise ; pendant qu’elle s’activait comme une somnambule, Ju lie revivait l’angoisse de ces derniers jours. Depuis qu’on était venu annonce r à Pierre ce qui se disait, et que c’était la pure vérité, que Louis-Napoléon avai t fait arrêter les chefs de l’opposition parlementaire, qu’il avait dissous l’A ssemblée nationale, qu’à Paris il y avait déjà des barricades contre le coup de force du prince-président ; surtout, depuis qu’il avait vu les affiches placardées parto ut, le 3 décembre dernier, le confiseur ne décolérait pas. « Il a trahi la Républ ique, ce fumier ! Il nous a bien joués ! » Et pourtant, avec ce qu’on racontait en ville sur l es arrestations, et le pharmacien, M. Peyron, qui restait introuvable, et ces patrouilles de gendarmes à cheval qui sillonnaient les rues, il aurait dû fa ire le gros dos, son Pierre. Au lieu de quoi cela n’avait été que conciliabules à l’étag e, allées et venues feutrées après la fermeture de la boutique, et qu’est-ce qu’ il allait faire, chaque soir, au Café du Progrès ? La veille, il n’était rentré, haletant et glacé, qu ’au petit matin pour se remettre au travail dans l’atelier. C’était pourtant dimanch e mais il se moquait bien du dimanche, Pierre ; il travaillait deux fois plus ce jour-là pour faire marronner sa femme qui filait à l’église en haussant les épaules . Malgré l’excitation de ces
derniers temps, ce n’était pas son genre de tant s’ attarder au café et Julie avait fini par s’inquiéter pour de bon. Dès qu’elle l’avait entendu fureter autour du poêle pour le rallumer, elle était descendue. À la lueur de la bougie, elle avait vu, mis à sécher sur une chaise, la veste de drap bleu et le gilet écossais qu’il porta it la veille au soir ; il n’avait gardé que le tricot de laine blanche qui lui moulai t ses fortes épaules. Elle s’était glissée contre lui, les yeux inquiets ; il n’avait rien voulu dire. – Moins tu en sais, mieux tu te portes, ma Julie, a vait-il murmuré en l’attirant à lui. Il n’était plus tout jeune, il venait d’avoir quara nte-six ans, mais il était toujours amoureux. Elle avait senti qu’il avait envie d’elle , qu’il avait besoin de calmer sa fièvre dans ses bras. Elle s’était laissé faire ; e lle aussi, l’angoisse de l’attente lui avait fouetté les sens. Il avait soulevé sa jupe, c aressé sa cuisse ; ses baisers sentaient le vent, le froid, la course dans la nuit … C’est l’arrivée inopinée de l’ouvrier qui les avait empêchés de s’aimer, encore une fois, à l’abri des chaudrons… Elle revit la tête chafouine de l’ouvrier. Le Justi n roulait des yeux effarés, sur le seuil de la porte de l’arrière-cour ; elle avait pl aisanté en se rajustant : – Oh ! Justin ! On croirait que tu as croisé le dia ble, ma parole ! – Vous… vous avez pas su ? Il y a eu de la bagarre, cette nuit, sur la route de Marsanne ; c’était l’armée qui coursait des gars de Montélimar et de la Valdaine. Y a la garnison qui patrouille sur les boulevards ; quand je suis passé à la porte du Fust, on venait d’arrêter Arnaud, le maçon. Il p araît qu’il avait un sabre sous sa blouse. Pierre avait seulement haussé les épaules et avait continué à fourrer du bois dans le poêle. À ce souvenir, Julie porta une main à son cou : un méchant soupçon lui était venu ; elle n’avait jamais eu confiance en ce Justi n… Que s’était-il passé, la nuit de samedi, pour que les gendarmes s’en prennent mai ntenant à Pierre ? Les rues s’animaient peu à peu ; la rumeur des char rois autour de la halle voisine, des caquets de femmes, les galopades des p etits coursiers, le marteau d’un cordonnier en train de taper sur ses semelles… Julie sursauta : le carillon de la porte d’entrée v enait de tinter furieusement. Gaspard avait jailli dans la pièce. Il puait la tan nerie, il roulait des yeux fous. – Alors on a emmené le père ? Les canailles ! Il avait l’air hors de lui, la petite Louise courut dans ses bras, recommença à pleurer. Julie s’alarma : c’est pas qu’il allait fa ire une bêtise ? Elle entreprit de le calmer. – Ils n’ont rien contre lui. Il n’a tué personne, s inon les gendarmes ne se seraient pas fait faute de me le répéter. Ils vont le garder quelques jours, le temps que les choses se tassent… – Tu crois ça ! Toute la garnison est sur le pied d e guerre. À la mairie, on distribue déjà des fusils aux bourgeois ! Ils vont en profiter pour liquider les vrais républicains ! Ils vont faire pire qu’il y a trois ans ! – Tais-toi donc, rétorqua-t-elle tout en surveillan t la rue du coin de l’œil, tu trouves qu’on n’a pas déjà assez de misère ? Ne fai s pas comme ton père qui a toujours trop parlé. Retourne à la tannerie. Le fils aîné de Pierre et Julie Audranne n’était pa s un mauvais gars mais il avait hérité du caractère de son grand-père, le gro gnard de Napoléon qui était
allé mourir dans les neiges de Prusse orientale. À onze ans, comme on n’en faisait rien à la confiserie, on l’avait mis en app rentissage à la tannerie Contaroux. Le métier était dur et le gars rétif, ma is le père Contaroux avait su le prendre et Gaspard était en train de devenir l’un d e ses bons ouvriers. Seulement, le patron tanneur passait lui aussi pour une forte tête, il était de ceux qui avaient voulu renverser la municipalité en avri l 1848… Gaspard battit en retraite, deux clientes venaient d’entrer dans un frou-frou de velours et de dentelles, leurs crinolines passaient à peine dans la porte. Un léger parfum de lis envahit la boutique. Sous le urs capotes nouées au menton par un ruban de satin, Julie reconnut les da mes Balestier, la femme et la fille du président du tribunal. Le cœur battant, el le esquissa une révérence, s’attendant à quelque désagréable allusion aux évén ements, mais ces élégantes personnes ne désiraient qu’un assortiment de confis eries à faire expédier à leurs cousins de Grenoble pour la Noël. La femme du prési dent désigna de sa main gantée les blocs de nougat qui trônaient au milieu des rangées de petits gâteaux. – Vous ajouterez un peu de votre nougat. Ma cousine en a goûté cet été, elle a cru à du nougat de Marseille, tellement il était bl anc et fin. Elle leva les yeux. – Votre mari a donc un secret pour réussir mieux qu e le nougat de Marseille ? Julie se sentit rougir de confusion. Elle parvint à répondre dans un sourire qui masquait son trouble : – S’il a un secret, je ne le connais pas. Elle prit un petit marteau et détacha du bloc quelq ues morceaux qu’elle pesa avant de les déposer dans la boîte où Louise avait rangé le reste des friandises. Les deux clientes quittèrent la boutique dans le mê me bruit feutré et velouté, Julie les suivit des yeux au-delà de la vitrine. Si elles avaient su… Elle revit un instant le clos de mûriers, sur les h auteurs de Die, où elle jouait à cache-cache avec le fils du notaire pendant qu’on r écoltait la feuille ; il avait des yeux tendres, il disait qu’elle resterait toujours sa petite Lili. Maintenant, Armand était devenu un personnage important. Pensez… il ét ait devenu le président du tribunal de Montélimar ! Elle sursauta et rangea la pièce déposée sur le com ptoir ; la clochette tintait à nouveau : c’était le meunier Bragand qui rajustait son bonnet après l’avoir retiré au passage des dames. Paulet Bragand venait de livrer de la farine au boulanger voisin, il avait la figure aussi blanche que celle d’un Pierrot de foire. Il s’approcha du comptoir, marmonna : – C’est vrai, ce qu’on raconte ? Julie hocha la tête. Il baissa encore la voix : – T’en fais pas. Ils vont pas le garder longtemps m ais avec ce qui se passe à Crest, ils n’allaient pas laisser tranquille un hom me comme ton Pierre ! – Qu’est-ce qui se passe, à Crest ? – Il paraît que tous les gars sont descendus des vi llages quand ils ont appris le coup d’État… Ils s’imaginaient que le pays entier a llait se soulever… Quand ils sont arrivés devant le pont de Crest, la troupe les attendait. Ils ont crié : « Vive la Montagne ! Vive la République ! » et on leur a tiré dessus. – Bonne Mère… murmura Julie. – On dit qu’il y aurait des blessés, et même des mo rts et que ça se bat toujours et que les gens continuent à marcher vers Crest. On raconte que ceux
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