Les pleurs de l Ogre
204 pages
Français

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Les pleurs de l'Ogre , livre ebook

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Description

Vendredi soir... Dans une cité de Drancy, Marie attend l'homme qu'elle aime. Ce soir là, après un coup de fil, lui reviennent en mémoire le souvenirs d'une enfance où s'entrecroise l'histoire d'une famille vosgienne, accrochée à sa terre et les traumatismes qui ont frappé ce coin de montagne pendant la dernière guerre. Village rasé, population déportée, résistants fusillés, collaboration et trahison.... Par delà l'évocation de figures inquiétantes, ce texte est aussi une ode à la nature, à l'amour et au flux de la vie qui aura le dernier mot.

Informations

Publié par
Date de parution 20 novembre 2013
Nombre de lectures 0
EAN13 9782312018539
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0015€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Les pleurs de l’ogre
Anne Marie Laurent
Les pleurs de l’ogre



















LES ÉDITIONS DU NET 22, rue Édouard Nieuport 92150 Suresnes
© Les Éditions du Net, 2013 ISBN : 978-2-312-01853-9
1
Parfois il lui arrivait de penser. Mais tu n’es pas là du tout, toi !
Et c’était comme un rêve, une chose inconnue qui ne voulait passer. En vain, elle avait quitté T. Elle s’était égarée davantage.
Une fugue sans but, au hasard.
Ici était la ville, ville mère, enclose, bruissant d’une hâte sourde. Une bête chaude et repue, aux mornes tentacules, elle digérait les hommes pressés, asservis et vaincus en ses mornes chemins de béton…
Elle aurait aimé être chez elle, retrouver son logis silencieux. Insensible à l’haleine grise des voitures, elle va, loin de la vague somnambule des passants, ces passants agités, dont les regards s’évitent, tandis qu’ils affectent de se précipiter vers une cause mystérieuse et essentielle..
Gare du Nord… Foule plus compacte. Plurielle et étrangère aux accents colorés.
Des couloirs interminables, toujours en travaux, toujours inachevés. Un chantier perpétuel, une forme qui se cherche. Marie s’arrête, se retourne. Et cette pensée soudaine la submerge. On la regarde !
Mais elle se reprend. Sotte, sotte que tu es. D’autres peut être, mais toi !
Moi, répète t-elle, tandis que glisse une rame vide.
Immobile, comme transparente, elle attend devant le panneau lumineux où s’affichent les noms d’autres gares, d’autres lieux ignorés. Seule, forte de cette assurance. Personne, ici, ne pouvait la connaître.
Et ses yeux pleins de rêve s’attardent sur la grâce d’une démarche, le frais plissé d’une robe. Ses vives couleurs. Jeune et nonchalante, une longue fille brune déploie le bonheur imprévu de sa grâce en corolle, jupe ouverte sur une jambe fine.
Belle, indifférente, elle avance et la foule compacte des étrangers sur le quai s’ouvre à son passage, tandis que sa beauté déchire l’amertume d’une journée trop grise, le retour au crépuscule vers la moiteur d’une chambre où s’entasse la famille, avec vue sur la cour, du linge qui sèche aux fenêtres, les odeurs d’urine et de cuisine, la marmaille dans l’escalier. Gare du Nord, six heures du soir, une passante laisse dans son sillage un monde chatoyant, au parfum d’orangers et ce désir frais et violent de conquêtes, au fond de jardins où nichent les fontaines, bleu, bleu de la mer, ses arabesques sous les ombres acérées du mimosa.
Beauté éphémère, la vision ensoleillée s’efface tandis que surgit une nouvelle rame. Le chant feutré des roues ralentit puis s’arrête dans un brusque envol de pigeons qui se disputaient un reste de brioche.
L’inconnue a disparu, avec elle sa grâce nerveuse, noyée dans le flot de passagers dégorgés par les portes et, juste avant de se frayer un passage, Marie se retourne encore, sans bien savoir ce qu’elle cherche. Son regard effleure un crâne chauve, silhouette silencieuse au complet gris qui s’engouffre dans la rame voisine.
Elle lui trouve quelque chose de familier.
Mais la vague des voyageurs la presse à l’intérieur du RER où ils tiennent emboîtés comme les pièces d’un jeu de construction.
– Toujours pareil ! maugréé quelqu’un dans son dos.
A hauteur de son visage se dressent les seins d’une femme noire, aussi plantureux qu’un coussin où elle aimerait enfouir son visage. Cela la fait sourire et elle baisse la tête, dérobant une intimité menacée par l’affluence. De son adolescence, elle conserve la même pudeur, une rougissante timidité.
Mais les portes se ferment, chant suave du train, les roues glissent, bercements, l’haleine tiède d’une fenêtre quelque part entrouverte.
Tous ces gens. Où vont ils ? Où vont ils répète avec elle le souffle du train. Et moi, je suis fatiguée. Demain, je dormirai, longtemps. Elle soupire, réprime une envie de s’étirer
Tiens, elle prend la même ligne.
Elle ne l’a pas vue monter. A contre jour dans la lumière mourante, la jolie fille de tout à l’heure se tient très droite, à peine contrariée d’être ainsi comprimée. Cela ne va pas durer, tout en elle le signifie, la raideur discrète des épaules, l’expression distante du visage, tache blanche comme suspendue au dessus d’un monde trop ordinaire.
Parfum entêtant, un peu musqué, des ongles parfaits, elle doit passer du temps à sa toilette. Elle ressemble à Cattel. Si je savais me coiffer comme ça pense Marie au moment précis où sa voisine rejette la tête en arrière, découvrant la soie des cheveux qu’un soleil rasant poudre d’étincelles. Des cheveux propres et brillants comme s’ils venaient d’être lavés, une peau bronzée, à la texture de satin et cet air d’heureuse insouciance, l’air d’aller rejoindre un amant oui, elle ressemble à Cattel. Et tandis qu’elle renonce à trouver une place assise, Marie retrouve cette même impression d’accablement, familière et écoeurante. L’élégance du manteau clair, les bas fins, et jusqu’à l’ombre du chapeau posé de guingois sur un jeune front, elle les ressent ce soir comme un reproche.
Elle a cherché secours vers la fenêtre où miroite le crépuscule. Le ciel vaste et encombré de nuages filtre les derniers rayons du soleil.
Demain il pleut. Ce soir peut être.
Elle contemple le ciel, négligeant les immeubles et les rues laides, les usines désaffectées, terrains vagues sans espoirs, cernés par des murs en briques à demi écroulés. Les remblais et la tache mauve des buddleias. Au printemps il y avait des coquelicots entre les pierres.
Un graffitis. Lucie, je t’aime.
L’effroyable gémissement d’un train lancé à toute vitesse les dépasse, un autre déboule en sens inverse.
Chaque fois elle se prend à sursauter.
C’est vrai. La ville lui demeurait hostile. Elle ne pouvait s’habituer à ses odeurs sans joie. Elle qui avait grandi dans la liberté des montagnes, la promiscuité des cités l’agressait et elle conservait cette habitude de retenir son souffle, parcourant les rues à regret, poings serrés, nouée de réticence.
Car sa mémoire conservait le parfum d’horizons plus vastes. Au delà des brumes citadines, un monde ancien s’obstinait, espace immense et préservé où séjournaient encore des odeurs d’automne et de fumée, des aubes délicieuses et fraîches, des rires blessés d’enfant emportés par les soupirs aigres du vent.
Et quand elle y pensait, elle se sentait envahie de remords, sans bien connaître la cause de ce malaise vague qui la faisait lentement, avec un étonnement hésitant, glisser dans le silence.
Et, comme en ces jours d’alors, fondre en larmes.
Drancy.
Elle tente de se frayer un chemin dans le flot des passagers, pose enfin le pied sur le quai et chemine d’une allure si vive que bientôt, elle se retrouve seule, avec l’impression d’être suivie. Quelqu’un marche derrière elle. Mais quand elle se retourne, en se reprochant d’être si nerveuse, il n’y a personne.
Rien ne distingue son immeuble des autres mais ce soir sa banalité même a quelque chose de rassurant. Au moment où elle s’apprête à entrer, une dernière caresse de soleil l’inonde. Alors, insensiblement, elle se redresse, ses traits s’ouvrent sous la lumière qui la rend belle. Elle vient de se rappeler ces jours brumeux de T. et sa promesse.
Jamais plus elle ne serait vaincue.
Dans le hall, elle retrouve cette impression confuse d’être observée. Mais quand elle jette un regard en arrière, elle voit une rue vide, un unique passant. Engoncé dans un pardessus gris et le visage dans l’ombre, il s’absorbe dans la contemplation d’une porte cochère.
Pas de courrier dans la boîte aux lettres. La veille non plus, juste un papier qu’elle avait failli jeter. Encore un prospectus. Sa boîte aux lettres en regorge et elle se sent vaguement déçue de ne pas recevoir davantage de courrier. Dans l’ascenseur, en cherchant ses clés, elle le retrouve au fond du son sac à mains, coincé entre son portefeuille et sa boîte de poudre. La poudre, elle l’emmène juste pour se sentir femme mais elle oublie de l’utiliser. Sur le papier chiffonné, elle reconnaît le sigle du gaz de France. Ils annoncent leur visite, lundi matin, un contrôle de routine. Elle travaille lundi ! Cela ne fait rien, elle va demander à Cattel de les recevoir, le lun

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