Lumières d ombres
87 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Lumières d'ombres , livre ebook

-

87 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Description

« Mes yeux, enfin, voient donc l'Orient » s'était exclamé Henri Regnault en débarquant à Tanger, la ville lumière. Victime d'une violente agression, Marc Ménard, chauffeur de bus, décide de quitter paris pour partir sur les traces du peintre orientaliste. À travers ce voyage initiatique, il va croiser la route de Géraldine, une femme libre, installée à Tanger avec sa fille. Cabossés par la vie, Tariq, un jeune migrant, et Bilal, un petit trafiquant de cannabis, rôdent dans la vile qui fête son quatorzième festival de jazz. Quatre vies, quatre destins. Un huis clos haletant dans le décor des places ensoleillées, des murs blancs et salés, des rues animées, de cette ville romanesque et nostalgique qui regarde vers la mer.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 02 décembre 2015
Nombre de lectures 0
EAN13 9782336748931
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0750€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Couverture
4e de couverture
Titre


Béatrice de Lavalette







Lumières d’ombres


Roman
Copyright

Du même auteur
Rendez-vous manqué , roman, L’Harmattan, 2015.





















© L’Harmattan, 2015 5-7, rue de l’Ecole-Polytechnique, 75005 Paris
http://www.harmattan.fr
diffusion.harmattan@wanadoo.fr
EAN Epub : 978-2-336-74893-1
Exergue

Sauve­-toi, va dans le pur Orient respirer l’air des patriarches . Goethe
Je suis tout étourdi de ce que j’ai vu. Je suis dans ce moment comme un homme qui rêve et qui voit des choses qu’il craint de voir lui échapper.
Eugène Delacroix


Ce qui est puéril, c’est de se figurer qu’en se bandant les yeux devant l’inconnu, on supprime cet inconnu.
Victor Hugo
Lumières d’ombres

*
Les Parisiens étouffaient. Au quatrième jour de grosse chaleur, on parlait de canicule. Dans sa chambre, sous les toits, Marc Ménard, prostré sur son lit, transpirait à grosses gouttes en regardant les fissures du plafond et les bêtes d’orage autour de la fenêtre. Des deux pieds, il repoussa son drap jusqu’au bout du lit et retira son slip. Une mouche grimpa le long de sa jambe aussi rigide et blanche qu’une canne d’aveugle avant de se poser sur son coude recouvert d’épaisses croûtes de peau et de fines vésicules. Sans sourciller, il la chassa d’un revers de la main avant de reposer son bras le long du corps. A travers les persiennes, les bruits de la rue arrivaient jusqu’à lui, celui des klaxons et des camionnettes que les livreurs garaient dans la rue, les pas précipités des passants, les cris et les pleurs des enfants que les parents conduisaient à la crèche ou au parc Montsouris en passant sous ses fenêtres.
Ces bruits étouffés lui étaient devenus étrangers.
Depuis neuf mois, Marc Ménard, chauffeur de bus de la ligne 38 (Porte d’Orléans-Gare du Nord), était un homme sans vie. Elle l’avait quitté brutalement et il lui semblait impossible d’arriver à la rattraper. Comme un sprinter sur la ligne d’arrivée, il lui manquait le souffle pour reprendre sa vie où il l’avait laissée. Plus le temps glissait sans faire de bruit, plus l’angoisse de l’écoulement devenait insupportable.
Ce rescapé de la R.A.T.P qu’on disait toujours souriant et prévenant envers les usagers de la ligne 38, avait ignoré les dealers et les fraudeurs pour éviter les procédures, supporté les insultes et les bousculades sans rien dire, pendant douze ans, jusqu’au soir où il s’était trouvé face à un jeune toxicomane fortement alcoolisé qui lui avait planté un couteau dans le ventre lors d’un contrôle de ticket. Il était vingt‐trois heures et quatorze minutes à sa montre. Le temps était à l’orage. Quatre personnes venaient de monter dans le bus : Abou, un jeune sénégalais d’un mètre quatre‐vingt‐dix, habillé d’un boubou qui, comme chaque soir, et, avant même le départ du bus, dormait le nez écrasé contre la vitre. Zabeth, une aide‐soignante d’une trentaine d’années, petite et menue, qui avait du mal à garder les yeux ouverts après ses douze heures de travail à l’hôpital Lariboisière. La jeune femme portait toujours le même parfum et Marc Ménard n’aurait pas aimé qu’elle en change. Quand elle passait à côté de lui, le chauffeur de bus humait son odeur animale et boisée, légèrement musquée. Si Zabeth n’était pas jolie, il n’était pas insensible à son charme. Cette fille à l’allure de collégienne, un brin désuète, aurait pu lui convenir si sa mère, Patricia, n’avait pas été là. Restaient deux inconnus installés au fond du bus. Alors qu’une petite voix lui soufflait de ne pas bouger, le chauffeur de bus avait remonté l’allée. La capuche sur la tête, les mains dans les poches, le jeune homme se tenait tapi dans un coin. Ménard eut juste le temps de voir la lueur froide au fond de ses yeux avant que le jeune homme ne sorte un couteau de sa poche. Cette nuit‐là, la vie du chauffeur de bus avait basculé. La peur s’était planquée à l’endroit même où la lame était entrée. La première fois que Marc Ménard était sorti de son appartement, quelques mois après l’agression, il avait réussi à descendre l’escalier jusqu’au quatrième étage et la deuxième, il avait vomi sur le trottoir, devant la concierge qui sortait les poubelles. Dans cet immeuble tranquille, qu’on disait bien habité, ça avait fait jaser. Sans savoir ce qui était arrivé au locataire du cinquième, les habitants de l’immeuble l’avaient condamné et la concierge, qui le savait mal en point, glissait le courrier sous sa porte sans jamais prendre de ses nouvelles. Incapable de reprendre son travail, l’homme, qui vivait terré dans son appartement, avait oublié jusqu’aux odeurs de la rue.
A nouveau, la mouche se posa sur la plaie sanguinolente. Les pattes écartées, elle resta un moment à butiner avant de commencer à grimper sur l’épaule de Marc Ménard qui ressentit un chatouillement agréable avant qu’il ne se transforme en une sensation gênante, suivie d’un agacement.
Un oiseau vint frapper du bec l’un des carreaux de la fenêtre de sa chambre. Un premier coup, suivi d’un deuxième, plus sec. Marc Ménard sursauta avant de voir l’oiseau qui se tenait sur le rebord de la fenêtre, la tête légèrement penchée vers l’intérieur de la pièce, comme s’il attendait un signe pour pouvoir entrer. Dans le village de la famille Ménard, en Auvergne, les vieux racontaient qu’en attaquant furieusement et, de façon répétée, la vitre, cherchant une âme à transporter dans l’Au‐delà, l’oiseau annonçait la mort imminente d’un membre de la famille.
Ce funèbre présage l’obligea à se lever.
Il enfila son slip avant de chercher ses pantoufles sous son lit. Il détestait se promener torse nu dans son appartement et marcher nu‐pieds sur les tomettes froides et disjointes de sa chambre.
L’oiseau, comme monté sur un ressort, sautilla deux ou trois fois avant de revenir taper la vitre avec son bec.
Le chauffeur de bus suait à grosses gouttes. Le tee‐shirt qu’il venait d’enfiler était déjà trempé. Il attrapa, dans l’un des trois tiroirs de la commode, un dictionnaire, des dés, une feuille de papier quadrillé et un crayon parfaitement taillé pour commencer une partie de Yam. Face à lui, la place était vide. Le nom de son partenaire qu’il choisissait en ouvrant le dictionnaire changeait chaque matin. A la lettre B, Marc Ménard choisissait Bob, le prénom d’un collègue de la R.A.T.P , chauffeur de bus de la ligne 22. Ce machiniste, à la voix de crooner, n’hésitait pas à prendre le micro pour chanter dans son bus quand il sentait des tensions qui pouvaient aller jusqu’à l’accrochage. Il avait ses groupies. Entichées du personnage, deux femmes lui préparaient un gâteau ou un plat pour son déjeuner. A la lettre E, Evelyne, l’une des caissières de la supérette, une Antillaise qui avait les dents qui brillaient sous la lumière du néon et qui, quel que soit le temps, s’habillait en rose fuchsia. A la lettre F, François, le prénom du frère de sa mère qui tenait un bureau de tabac à Saint Léonard‐de‐Noblat. Veuf et sans enfant, chaque été, il accueillait Patricia et son fils qu’il emmenait pêcher à la mouche. Comme avec n’importe quel joueur, avant de lancer les dés, Ménard levait et baissait la tête pour fixer celui ou celle qui aurait dû se trouver face à lui et qui restait aussi silencieux qu’une tombe. Les dés lancés, il commentait la partie et ne se gênait pas pour traiter son adversaire de tricheur. Très appliqué, il remplissait les colonnes avec un crayon à papier pour pouvoir effacer les scores avec une gomme.
A ce jeu là, Ménard était rarement perdant.
A treize heures, il regardait le journal télévisé en mangeant des crèmes à la vanille. Patricia, sa mère, passait, chaque jour, en fin de journée, pour ramasser les pots vides, donner un coup de chiffon, lui préparer une soupe et repasser ses chemises en regardant l’émission « Des chiffres et des lettres ». A dix‐neuf heures trente, elle quittait son fils après avoir retapé son lit et fait un dernier tour dans l’appartement.
« Si ton père

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents