Mahrab Uté, poète prédestiné
214 pages
Français

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Mahrab'Uté, poète prédestiné , livre ebook

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Description

Zoroastre se releva, toisa la foule attentive et anxieuse, et l'air grave, d'une voix profonde, dit alors:
"Mahrab'Uté cherchera" (Silence)
"Il voyagera aux confins du coeur" (Nouveau silence)
"Il partira au-delà de la colline aux mirages" (Silence encore)
"Il perdra son coeur puis le retrouvera au désert d'avant la traversée vers le grand lac bleu".
Ce fut tout. Ces mots, les derniers que l'on entendit jusqu'au matin, conclurent la journée la plus étrange que le village n'ait jamais vécue...

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Informations

Publié par
Date de parution 01 septembre 2010
Nombre de lectures 50
EAN13 9782296703377
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0850€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Ce n'est pas le soleil qui se couche à l'horizon c'est la terre qui borde son enfant. Ce n'est pas la nuit qui se penche sur le désert, c'est la vie qui cache un temps sa détresse. Ce n'est pas le silence qui redessine l'âme, c'est la tendresse qui retouche nos destins. Ce n'est pas la chaleur qui abandonne enfin, c'est le vent qui raconte ton histoire. Ce n'est pas ton corps qui réclame l'amour, c'est toi, Afrique, qui enfantes le monde !
 Mahrab’Uté
Quand les dieux s’en mêlent
Fatouma se sentait légère ce matin, inexplicablement euphorique. Elle ne ressentait plus cette douleur latente et pernicieuse dont ses pieds, fatigués de trop de courses, lui renvoyaient habituellement les échos en plaintes lancinantes et silencieuses. Elle semblait danser sur la piste rude et étroite, sautillant avec adresse d’une pierre à l’autre, glissant élégamment d’un drap d’herbes séchées à la couverture aride et poussiéreuse d’une latérite rouge et volatile. Ses compagnes, plus jeunes qu’elle à part l’énigmatique et respectéeauxAnounda, sans âge, rides profondes et sèches pareilles aux sillons du champ après le labour, avaient cessé leurs commérages amusés, ponctués de rires étouffés. La rumeur prétendait que les prouesses nocturnes et comparées de leurs maris alimentaient essentiellement leurs échanges moq ueurs, mais la rumeur est menteuse, nous le savons tous ! Déjà la chaleur lustrait leurs visages de gouttes de sueur dont la poussière du chemin s’abreuvait. Les dieux facétieux, artistes inspirés, y dessinaient des arabesques changeantes, remodelant leur apparence à leur fantaisie. *
Combien de fois Fatouma avait elle arpenté ce chemin qui menait de Kandhou au marché de Kangoulou ? Si, l’âme innocente, vous prêtez une oreille attentive et patiente aux vents qui recueillent les paroles des dieux en ces lieux reculés, peutêtre obtiendrezvous un jour la réponse. Je sais seulement que Fatouma n’aurait pu vivre sans ces « voyages au marché » qui rythmaient son existence, au point d’en être le souffle essentiel, le berceau de ses émotions, le livre ouvert de ses connaissances et le terreau fertile de son imagination. Dès sa naissance, elle y avait accompagné M’mafat, emmitouflée dans un fichu de tendresse adroitement noué autour des épaules et de la taille de sa maman, bercée par le rythme régulier de ses han ches confortables, enivrée de son odeur, subtil parfum de fumée, de lait maternel et de ce liquide précieux plutôt verdâtre, auréolé de reflets quelque peu douteux (la vérité m’oblige à le dire) dont M’mafat gardait une fiole cachée à la tête de son lit, à l’abri de tous les regards… Sauf de celui de Fatouma qui, le jour de ses deux ans, découvrit par hasard ce flacon irisé. Elle fit là sa première expérience de la méchanceté avec laquelle les ancêtres peuvent réagir quand on ose braver l’interdit: la bouche en feu, ses hurlements alertèrent tout le village et le sorcier, promptement diligenté, lui fit avaler une mixture au goût si infect, à l’odeur si répugnante, qu’elle fut définitivement guérie de toute velléité de tester un
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liquide inconnu, aussi mervei lleusement coloré soit il ! Ce qui, soit dit en passant aux esprits chagrins et dubitatifs, est une preuve irréfutable sinon scientifique de l’efficacité et de la sagesse de ce dernier. 1 Ce parfum mystérieux lui avait été rapporté par son mari lors d’un voyage à la ‘grande villede Bodiou, quinze cents habitants officiellement référencés, dont le ‘salon de la beauté de la femme africaine’ occupait les rêves les plus secrets de toutes les jeunes filles des villages éloignés. On m’a raconté que son propriétaire, le vieil intrigant Soumoulé Sara, fabriquait lui même dans l’arrièrecour de sa demeure ses mixtures vendues comme «parfum de l’année » et qu’aucun animal n’osait alors s’approcher de ses fourneaux, mais, bien entendu, seuls les mécréants pourraient y voir une relation de cause à effet… M’mafat ne manquait jamais d’en humidifier délicatement et parcimonieusement le lobe de ses oreilles avant de quitter sa maison et pour Fatouma il devint tout naturellement la marque olfactive de l’amour maternel.
Trois fois par semaine, la petite troupe des femmes de Kandhou à peine éveillées, les mains gesticulant, le rire naissant sur leurs lèvres bavardes, entamait sa longue marche matinale en file indienne vers le
1  Aux effluves duquel même les plus mauvais génies s’enfuyaient, jac assaient les mauvaises langues…
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marché de Kangoulou. Chacune portait avec élégance et fierté, habilement hissée sur la tête, une immense calebasse débordante de vieux chiffons mouillés censés conserver quelque peu la fraîcheur des légumes et des fruits transportés. 1 M’mafat et Fatouma ne manquèrentces jamais ‘voyages à la ville’ quileur apportaient tant de joies imprévues malgré la fatigue du retour.
Fatouma eut tout de suite le don de sentir les premiers rayons du soleil, baguettes magiques d’un chef d’orchestre fabuleux, inviter les fleurs timides, les herbes séchées, les arbres reposés, la terre encore bâillant et les rochers endormis, à une symphonie de parfums d’abord tout en légèreté et délicatesse, de plus en plus suggestive et prégnante, pour finir en apothéose de fragrances nouvelles où chacune et chacun d’entre eux délivrait ses notes de senteur sur la portée invisible de son âme d’enfant émerveillée.
1 Sauf au décès de Patou, le père vénéré de Fatouma, qu’elle perdit à l’âge de trois ans. Les anciens du village et le sorcier organisèrent alors une semaine de cérémonies, de rites, de sacrifices aux pieds du fétiche englué du village, ponctués d’étranges processions de masques. La peur, puis l’incompréhension qui assaillirent Fatouma pendant ces journées furent sans doute à l’origine de cette petite graine qui poussa si vite dans son esprit et dont fleurit, plus tard, son appétit de tout connaître et, au grand dam du sorcier, de tout mettre en doute.
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