Moi et mon crabe
112 pages
Français

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Moi et mon crabe , livre ebook

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Description

La crabe, un cancer, s'invite dans le poumon du narrateur. Commence alors une relation triangulaire : le crabe, le malade et le médecin. Le texte pose des questions récurrentes parce qu'essentielles sur la vérité au malade. Le personnage principal porte un regard lucide sur sa relation obligée avec le médecin. La voix du patient-narrateur s'exprime dans un monologue intérieur qui se substitue souvent à celle du médecin-auteur qui permet au praticien de prendre le recul suffisant pour mieux appréhender les difficultés de l'exercice médical.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 juin 2012
Nombre de lectures 13
EAN13 9782296492554
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0500€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Moi et mon crabe
Jean-François Schved


Moi et mon crabe
Du même auteur

La dernière gare.
Berettyóújfalu ou la blessure des acacias
Éditions L’Harmattan


Flux Sanguin
Éditions Glyphe


© L’Harmattan, 2012
5-7, rue de l’École-Polytechnique ; 75005 Paris

http://www.librairieharmattan.com
diffusion.harmattan@wanadoo.fr
harmattan1@wanadoo.fr

ISBN : 978-2-296-99253-5
EAN : 9782296992535

Fabrication numérique : Actissia Services, 2012
À Néarque et Stéphane
Et j’ai deux fois vainqueur traversé l’Achéron.
Gérard de Nerval


Sur les galets de la plage sont assis deux petits crabes.
Malheureux, tristes, ils ne font que pleurer, les pauvres,
Leur mère, Dame Crabe, part en balade
avec un sar à Rafna.
Et les petits crabes ne font que pleurer
sur les galets du rivage.

Le soir arrive. Le crabe trouve sa demeure abandonnée.
Il cherche sa famille et s’arrache les cheveux.
Il se dirige clopin-clopant vers Rafina
pour trouver Dame Crabe.
Et les petits crabes ne font que pleurer
sur les galets du rivage.

L’aube se lève et le crabe revient clopin-clopant
sur le rivage, sans sa conjointe.
Dame Crabe passe la nuit à jouer avec le sar
là où elle a pied.
Et les petits crabes ne font que pleurer
sur les galets du rivage.


Ta kavourakia
Rebetiko
Paroles : E. Papagiannopolou
Musique : V. Tsitsanis
L’annonce
Je ne l’avais pas invité. Certes, j’avais quelquefois pensé à lui, mais il avait peu de place dans ma vie. Je l’avoue, je n’imaginais pas le trouver sur ma route ; ou très tard, vers la fin. Il s’est imposé. L’homme qui devait faire les présentations était assis en face de moi ; il était moins détendu que lors de mes consultations habituelles.
Vous avez une, euh, lésion qui n’est pas très bonne et pourrait devenir dangereuse.
Vous voulez dire que c’est grave ?
Cela pourrait le devenir.
Le médecin avait affiché ma radiographie pulmonaire sur son négatoscope.
Vous voyez cette opacité en haut du poumon gauche ?
Il me montrait du doigt une zone qu’il qualifiait d’opaque alors qu’elle était manifestement plus claire que les régions avoisinantes.
Cette image claire, là ?
Oui. Elle correspond à une masse qui s’est développée dans votre poumon, mais qui est restée très localisée.
J’avais du mal à distinguer les contours de ce qu’il avait appelé une masse. Pour moi, une masse est quelque chose de solide, de bien défini. Si, comme il l’affirmait, j’avais une telle chose dans le poumon, elle aurait dû se voir comme un caillou ou un morceau de métal.
Et d’après vous, ce serait quoi cette masse ? Une tumeur ?
C’est possible. Mais, pour le moment, nous ne pouvons pas l’affirmer. Rappelez-moi, depuis quand toussez-vous ?
Difficile de vous répondre. Tous les ans, au printemps, j’ai une petite toux d’irritation. Votre prédécesseur disait que c’était allergique. Il soupçonnait les cyprès.
Est-ce, à votre avis, la même toux que d’habitude ?
Je n’ai pas ressenti de différence. Je ne vous aurais probablement pas sollicité s’il n’y avait pas eu ce petit filet de sang qui, lui, était très inhabituel. La première fois, j’ai pensé qu’il était dû à l’irritation et aux efforts de toux.
Ce n’est pas tout à fait faux.
Vous pensez que tout cela est lié à cette masse comme vous l’appelez ?
Pour la toux, je ne sais pas. Mais pour les filets de sang, c’est probable.
Et vous en concluez ?
A ce jour, ainsi que je vous l’ai indiqué, je ne peux pas conclure. Il y a cette formation dans le poumon dont il va nous falloir trouver la nature.
Opacité, masse, formation. Il cherchait des mots banals qui ne prissent pas le risque de m’inquiéter. Je remarquais d’ailleurs qu’à ma question : « Une tumeur ? », il n’avait pas répondu et avait quelque peu détourné la conversation.
Quelle pourrait être la nature de cette formation ?
C’est précisément ce que nous allons essayer de déterminer.
Docteur, je vous en prie, parlez-moi franchement, est-ce que cela peut être cancéreux ?
Nous ne pouvons pas l’exclure, mais il est trop tôt pour s’orienter vers cette hypothèse.

En résumé, je n’avais pas de tumeur mais une opacité dans les poumons, que j’avais prise pour une clarté. Elle traduisait la présence d’une masse, aux contours et à la définition pour le moins flous, qui n’était pas un cancer mais une hypothèse. Le cancer, j’y avais pensé dès le début lorsque, venu consulter mon médecin après avoir, à plusieurs reprises, constaté la présence de filets de sang dans mes crachats, il m’avait demandé si j’étais fumeur, si j’avais maigri et si je ressentais une fatigue particulière. Lorsque j’étais allé effectuer la radiographie pulmonaire qu’il m’avait prescrite, j’avais interrogé le radiologue, pendant qu’il vérifiait la qualité de son cliché, pour savoir s’il constatait une anomalie. Sa réponse fut qu’il trouvait un « petit quelque chose ». Il l’analyserait et en ferait état dans son compte-rendu. Le « petit quelque chose » était à l’évidence la formation claire-obscure qui ne disait pas son nom ou, du moins, que personne ne voulait nommer. Cette partie de cache-cache sémantique était, par certains côtés, inquiétante. Cependant, je dois reconnaître qu’elle entretenait aussi une sorte d’espoir qui, bravement, traversait l’autoroute de mes certitudes au risque de se faire écraser.
Cancer ! Le mot fait peur. Surtout lorsque de citoyen ordinaire, lecteur passif de journaux et auditeur d’informations où il n’est question que de « longue et douloureuse maladie » , l’individu se retrouve personnellement concerné dans sa chair et, inévitablement, dans son esprit. Pourtant, depuis le début, c’est moi qui, le premier, avais prononcé les termes : tumeur, cancéreux et in fine cancer. Ce mot fait-il peur aux médecins eux-mêmes ? Je ne suis pas loin de le penser. J’aimerais, un jour, poser à mon généraliste la question, non pas : « Avez-vous peur du cancer ? » mais : « Le mot cancer vous fait-il peur ? » Me répondrait-il, comme l’un des protagonistes du Roméo et Juliette de Shakespeare : « C’est de ta peur que j’ai peur » ?
La suite de mon histoire participe probablement de la routine pour le corps médical. Il fallait trouver la nature de cette tumeur. Je subis beaucoup d’autres examens parmi lesquels il m’était impossible de distinguer ceux qui étaient destinés à poser un diagnostic définitif sur ma maladie de ceux qui permettraient de savoir si mon cas était désespéré. Certes, je m’étais persuadé que la masse-tumeur-claire-obscure devait être un cancer mais je ne pouvais m’empêcher de chercher quelques arguments contraires. Je ne ressentais rien, je n’étais pas fatigué et surtout, je n’étais pas fumeur. La question m’avait été posée par tous les praticiens auxquels j’avais eu affaire. Comment aurais-je pu développer le cancer du fumeur ?

De prises de rendez-vous en consultations et recommandations diverses, il me fut impossible d’échapper à cette présence permanente dans mon esprit, qu’elle occupait avec son cortège de doutes, d’inquiétudes et de craintes. Cancer est souvent utilisé de façon métaphorique pour désigner toutes sortes d’invasions : le chômage, l’inflation et la précarité sont des cancers socio-économiques. J’ignorais encore si le fléau redouté avait élu domicile dans mon poumon, mais il avait déjà entièrement envahi ma tête. Si, parfois, le travail, la lecture ou la télévision réussissaient à l’éloigner, il fallait bien peu de temps pour le voir revenir dans mes pensées d’un galop bien plus rapide que celui d’un naturel chassé.

Je n’avais parlé de tout cela à personne dans mon entourage. Je m’étais trouvé pour prétexte de ne pas les inquiéter. Les craintes de mes proches, exprimées ou seulement lisibles ne pouvaient que me renvoyer sans cesse à mes propres peurs. Tout autant que leur anxiété affichée, je redoutais les inévitables paroles de réconfort, ne reposant sur aucu

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