Outre-mer(T2)
199 pages
Français

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Description

Publié en 1835 par le jeune auteur martiniquais Louis de Maynard de Queilhe, il s'agit d'un des premiers romans antillais. ce texte , quoique vilipendé au XIXème siècle, est un très riche témoignage d'un moment crucial (1829-1831) dans l'histoire des Antilles françaises. Le texte reflète les préoccupations de la caste békée, caste ébranlée par la révolution haïtienne, l'abolition de la traite en Angleterre, le déclin économique de l'empire français, et surtout, la position ambivalente du mulâtre dans une société de plus en plus "bigarée".

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 janvier 2010
Nombre de lectures 213
EAN13 9782296693487
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0850€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

OUTRE-MER

II
COLLECTION
AUTREMENT MEMES
conçue et dirigée par Roger Little
Professeur émérite de Trinity College Dublin,
Chevalier dans l’ordre national du mérite, Prix de l’Académie française,
Grand Prix de la Francophonie en Irlande etc.


Cette collection présente en réédition des textes introuvables en dehors des bibliothèques spécialisées, tombés dans le domaine public et qui traitent, dans des écrits de tous genres normalement rédigés par un écrivain blanc, des Noirs ou, plus généralement, de l’Autre. Exceptionnellement, avec le gracieux accord des ayants droit, elle accueille des textes protégés par copyright, voire inédits. Des textes étrangers traduits en français ne sont évidemment pas exclus. Il s’agit donc de mettre à la disposition du public un volet plutôt négligé du discours postcolonial (au sens large de ce terme : celui qui recouvre la période depuis l’installation des établissements d’outre-mer). Le choix des textes se fait d’abord selon les qualités intrinsèques et historiques de l’ouvrage, mais tient compte aussi de l’importance à lui accorder dans la perspective contemporaine. Chaque volume est présenté par un spécialiste qui, tout en privilégiant une optique libérale, met en valeur l’intérêt historique, sociologique, psychologique et littéraire du texte.


« Tout se passe dedans, les autres, c’est notre dedans extérieur,
les autres, c’est la prolongation de notre intérieur. »
Sony Labou Tansi


Titres parus et en préparation :
voir en fin de volume
Louis de Maynard de Queilhe


OUTRE-MER

II


Présentation de Maeve McCusker


L’HARMATTAN
En couverture :

Lucas Fielding, « Martinico », in A General Atlas of All the Known
Countries in the World, Constructed from the Latest Authority
(Baltimore : Fielding Lucas Jnr, 1823), p. 742


© L’Harmattan, 2009
5-7, rue de l’École-Polytechnique, 75005 Paris

http://www.librairieharmattan.com
diffusion.harmattan@wanadoo.fr
harmattan1@wanadoo.fr

ISBN : 978-2-296-11062-5
EAN : 9782296110625

Fabrication numérique : Socprest, 2012
Ouvrage numérisé avec le soutien du Centre National du Livre
XIX
Le traité qui avait été conclu entre Julie et Marius s’exécutait des deux parts de point en point. Le mulâtre, dès qu’il pouvait s’échapper, descendait aux Ramiers, toujours sûr de trouver quelque prétexte pour justifier sa visite, d’autant plus que le colon, dont l’affection redoublait de jour en jour pour lui, songeait rarement à lui demander le motif de sa présence. Ou il rôdait dans les environs, sur le rivage, dans la campagne, où la promenade ne manquait pas de pousser mademoiselle de Longuefort, toujours escortée de ses paons et de son hocco ; et alors les excuses abondaient, la chasse, la pêche, l’examen obligé des terres et des travaux, vingt réponses pour une. Seulement en quelque lieu que ce fût, Marius restait muet, comme il avait promis de l’être ; muet du moins pour ce qu’il avait trait à sa passion, car du reste ils ne faisaient pas faute de toucher ensemble aux autres matières.
Cependant sous cette indifférence affectée, le traître avait l’art de toujours montrer son vieil amour. La jeune maîtresse ne faisait pas mine de comprendre et s’efforçait de le traiter comme par le passé, sans plus ou moins de bienveillance ; mais les traits et les allusions perpétuelles du mulâtre n’en portaient pas moins. Ils portaient même cruellement.
Il paraît d’ailleurs qu’il avait coutume de la rencontrer à certains jours dans certains lieux, car ne l’y voyant plus venir, il était tombé tout d’un coup dans l’anxiété la plus vive. Il s’était rendu deux fois pendant cette intervalle chez M. de Longuefort, mais il n’avait pas appris qu’elle fût malade, ni qu’il n’y eût rien d’extraordinaire ; et cependant pour comble de malheur, elle avait toujours été absente, lorsqu’il s’était présenté.
Pendant ces quinze jours, qui n’étaient pas loin de la fatale nuit où Jeannette avait cessé de vivre – on était alors dans les derniers jours de juin et la pauvre négresse avait fini le 25 avril – de tristes pensées avaient repris le dessus dans l’âme de Marius, les rêves d’or s’étaient enfuis et il songeait souvent à l’agonie lente de sa femme depuis l’heure où il lui avait dit : nous ne sommes plus rien l’un pour l’autre. Parole qu’il lui avait si bien tenue ! Et il était mécontent de lui ; mais moins comme un chrétien qui se repent, que comme un coupable qui regrette. Il regrettait qu’une si tragique aventure, dont il avait le poids maintenant, ne lui eût pas été plus profitable ; car mademoiselle de Longuefort lui avait dit : vous avez une femme, Marius ! Ce qu’il avait traduit par ces mots : n’en ayez pas ! et il avait été presque heureux que Jeannette eût bien voulu se tuer si à propos. Et maintenant pourquoi avait-il assumé la responsabilité d’une émotion aussi infâme ? Pour rien. Mademoiselle de Longuefort n’avait pas semblé accorder à cet incident la même importance que lui. Elle ne reparaissait pas.
Son vieux levain de haine et de misanthropie avait donc recommencé à se gonfler de plus belle. Jamais il n’avait eu en même temps le teint plus plombé et l’œil plus ardent. La conduite de la jeune créole ne lui paraissait pas non plus être fort naturelle et il se résolut à l’approfondir, quoi qu’il lui en dût coûter. On n’a pas oublié combien c’était là un homme extrême !
Mais il n’en eut pas la difficulté ; car quelques jours après l’ayant rencontré, cet objet si désiré, il lui témoigna impétueusement, sans franchir cependant les bornes du respect, quelles craintes il avait eues de la perdre, ne l’ayant plus aperçue tout d’un coup aux promenades, où elle venait assidûment depuis un mois. Julie le remercia de ses inquiétudes et répondit avec mesure que son père l’avait obligée de rester à la maison pour recevoir la visite de M. de Chalençon, un de leurs voisins ; lequel monsieur revenait avec assiduité, et par malheur, toujours précisément à l’heure où elle allait sortir. Puis il fut question d’autres choses.
Mais pour Marius une seule chose était restée qu’on devine aisément, à savoir la visite assidue et presque fatale de ce voisin, de ce M. de Chalençon ! Demeuré seul et debout face à face de la mer, après un long silence, il jeta tout d’un coup ce nom dans un cri de rage : M. de Chalençon ! Qu’était cela ? D’où sortait cet homme et que voulait-il ? Surtout que voulait-il ? Puis il se tut ; car il se demandait là une chose qu’il ne pénétrait que trop ! La mer s’étendait devant lui, mais il ne la voyait pas. Ce qu’il voyait, c’était un gouffre qu’il n’avait pas encore aperçu dans l’amour de Julie et qui s’ouvrait subitement à ses yeux, gouffre sans fond et sans bords, le mariage, le mariage qu’allait vouloir contracter avec une si riche héritière la foule des jeunes gens les plus recommandables de la colonie !
Lui, il avait aimé cette jeune fille tout bonnement, naïvement, sans y songer. L’amour était venu, comme vient l’amour ; mais à présent plus il réfléchissait et plus il se sentait bouleversé. Avoir cru jusqu’à ce moment que tout le problème, que tout l’effort était de se faire aimer de cette femme ! et quand il était encore dans le doute, mais pas assez malheureusement pour se soumettre à une pareille illumination, découvrir soudain un espace aussi infranchissable, et d’une nature aussi scabreuse ! Le premier sentiment fut la stupéfaction. Puis vinrent la rage et le désespoir ; et enfin à tant de secousses forcenées, succéda le calme plat du découragement. Il ne pensa plus. Il demeura comme un rocher, à regarder les vagues.
Pendant ce temps, les vieilles plaies de son cœur se rouvraient, le vieux sang se mêlait au sang plus frais de cette blessure, et de tous ces limons il se composait des sentiments monstrueux, étrangers à toute société, hostiles à toute loi humaine ! Chose inouïe ! après deux heures de cet épouvantable débat, où il avait lutté contre les meilleurs anges et formé et rejeté et reformé vingt projets plus extravagants les uns que les autres, il se dit : mais si je me tromp

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