Papa, c est encore loin quand je serai grand ?
66 pages
Français

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Papa, c'est encore loin quand je serai grand ? , livre ebook

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Description

« Je n’aime pas ma tombe, change-moi d’endroit. »


Peu après sa mort, Théo entend son père s’adresser à lui.


« Papa, tu es là ? »


Débute alors un dialogue, fragile et intimiste, sur le Rhône, la vigne, le Mistral, tout ce qui a composé leurs vies faites de doutes, de déceptions, mais aussi d’espoirs.


Au fil des pages, chacun d’entre eux confie à l’autre des souvenirs qu’ils n’ont jamais réussi à évoquer ensemble.


Jusqu’à cette manigance pour la tombe...


« Surtout, Théo, pas un mot de tout ça à ta mère, hein ? »


Dans ce roman consacré à la perte du père, Christian Dorsan fait dialoguer deux générations, chacune avec ses mots et son écriture. Une conversation qui prend, peu à peu, la forme d’une partition à quatre mains dans un mélange de tendresse, de pudeur mais aussi d'humour entre le père et le fils.


Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 25 septembre 2015
Nombre de lectures 8
EAN13 9782366510720
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0037€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Titre
Christian DORSAN
Papa, c’est encore loin quand je serai grand ?
roman



Il revient quand papy ?
Il revient quand Papy ?
Il va rester là encore longtemps ?
Je regarde mon neveu haut comme trois pommes essuyant la plaque que l’on vient de déposer avec ta photo.
Nous avons choisi une photo récente, juste avant, quoi ; moi je voulais une photo en noir et blanc, celle où tu avais trente ans, avec des cheveux et ton grand sourire. Tu as bien eu trente ans, non ? Une vie, même si ce n’est qu’un nom entouré de deux dates, ne peut se résumer à des photos crépusculaires.
Les cimetières sont pleins de ces photos de vieillards bouffis aux visages décrépis. Voilà ce qui reste en mémoire aux visiteurs des sépultures : la dernière image, qui n’est pas forcément la meilleure et la plus élégante.
—Il revient quand Papy ? insiste mon neveu.
Je me sens un peu seul sur ce coup-là pour lui répondre. Mon frère me sourit et, dans son regard, je lis : « C’est à toi qu’il pose la question, c’est à toi d’y répondre. »
—Papy, tu sais, il est au ciel, il est mort, et quand on est mort...
—Je sais qu’il est mort, mais il revient quand ? Quand on meurt, après, on revient tonton, on sait pas quand mais on revient. Moi, je le reconnaîtrai Papy quand il reviendra. Je serai grand mais je le reconnaîtrai. Une fois avec Papy, on avait planté des fleurs, il m’avait dit que les plantes, ça meurt pas, mais ça repousse. Si ça se trouve, Papy, il va repousser… sinon pourquoi on l’aurait mis en terre d’après toi ?
—Qui t’a dit ça ?
—J’sais pas moi, quand j’étais petit, je l’ai dit à Mamy. Je lui ai dit que quand elle mourra, il faudra pas avoir peur ni être triste. Parce qu’elle reviendra et elle sera ma fille. Moi, je le saurai mais pas elle, et moi je m’occuperai d’elle.
Je me souviens de cette conversation. À cinq ans, mon neveu, très sérieux, avait pris la main de maman et lui avait dit de ne pas avoir peur. Le soir, elle nous avait tous appelés pour savoir qui avait raconté ces histoires à son petit Coco.
—J’sais pas moi comment je sais ça, mais je sais que je le sais et que c’est vrai !
Des rafales de Mistral couchent des pots de fleurs, il fait tellement chaud que le vent ne nous fait même pas frissonner. Mon frère donne un dernier coup de pelle à notre complot : trois ceps de vigne viennent d’être plantés.


Absence
Je n’arrive pas à m’en défaire de cette absence.
Nous ne sommes pas faits ou armés pour vivre l’absence. Tout ce que nous sommes, tout ce que nous vivons est matérialisé, palpable. Toi, tu n’es plus là et pourtant tu occupes une grande partie de mes journées et de mes pensées.
Ce qui n’est plus n’appartient plus à notre monde, c’est un vertige de se dire que tu n’es plus là. Alors te mettre au cœur de tout, c’est un peu agripper une couverture l’hiver et la remonter au-dessus de la tête pour ne pas penser au froid.
L’absence est paradoxalement une présence sordide.
Autre vent, autre fleuve, face à la Loire, je n’arrive pas à trouver d’issue : tout ce que je fais, tout ce que je dis est soumis à ton absence avec de curieuses interrogations comme : « Qu’est-ce qu’aurait dit Papa ou qu’est-ce qu’aurait fait Papa ? »
Même au supermarché, devant mon hésitation au rayon lessive, cette stupide question revient, toi qui détestais faire les courses, incantations ridicules qui ne feront en aucun cas accélérer mon choix d’assouplisseur.
J’ai le nez collé à la fenêtre qui donne sur le fleuve, je dis « ton fauteuil » ; même si tu n’es venu que deux fois chez moi, en regardant le salon, je te perpétue dans les articles possessifs maintenant que je suis dépossédé de toi.
Le rythme des Gymnopédies de Satie se cale sur la comtoise de la maison au bord du Rhône, le balancier s’est ralenti depuis. Et il n’y a plus toi pour régler l’heure ou remonter ce mécanisme qui te fascinait.
Il n’y a plus toi et cette phrase : « Il n’y a plus toi » prend une place énorme, une présence inquantifiable.
Je ne suis plus moi mais « il n’y a plus toi ».
—C’est la vie mon petit…
—Papa ? Tu es là ?


Et chaque nuit…
Je ne viens pas t’embêter, je viens juste voir si tout va bien. La nuit, c’est le seul moment où tu es disponible. Le jour, tu vois, il y a ton travail, tes tracas ; ton attention est détournée sur l’extérieur et les autres. Et puis, tu penses trop à moi. Je ne sais comment dire, mais tu lâches tout ce qui te préoccupe la nuit pour être disponible. Je peux alors te parler.
—Mais tu es mort !
—Tu cloisonnes trop les choses. Quand j’étais en vie, on habitait à 800 km de distance et pourtant, rappelle-toi, on se parlait.
—Oui, mais le téléphone est un outil, c’est de la technologie…
—Et les rêves alors, c’est quoi d’après toi ? Il ne suffit pas de voir les choses pour leur conférer une existence propre. Elles ont aussi une essence subtile. Regarde mon jardin : la nature est là, tout est à disposition, mais c’est l’effort, l’imagination, le travail qui font la récolte future, qu’il y aura des fruits et des légumes. Mais l’imagination, l’effort, le travail, ce n’est pas matériel, tout au plus de l’énergie mais ce n’est pas palpable. Un homme n’est pas seulement un produit fini et limité à sa seule substance de chair. Il existe d’autres formes de vie.
—C’est toi qui parles comme ça ?
—Oh, je ne déraille pas quand même… Mais si tu le prends comme ça, je préfère partir !


L’île aux fleurs
Je suis parti une semaine en hiver à Madère, l’île aux fleurs. Je me dis que ça t’aurait plu comme destination. Je suis bien à Funchal : j’aime le petit jardin municipal, celui qui s’ouvre sur le Café du Théâtre et son avenue bordée d’arbres aux ramifications contractées, on dirait des danseurs qui se contorsionnent pendant des échauffements, des pantins désarticulés. Il y a toujours une légère brise qui suspend l’air comme une phrase en attente de ses derniers mots. Des arbres, des fleurs, on en voit partout.
Je me pose une journée à Monte, sur le parvis de l’église où repose le dernier empereur d’Autriche, je domine la baie de Funchal ; au premier plan les jardins des luxueuses Quintas. Il y a quelque chose de triste à Monte et à la fois d’hospitalier, un goût nostalgique du noir et blanc. Le temps s’est arrêté sur l’histoire de Monte, les façades des Quintas sont restées à l’identique, rien, sinon les saisons, ne change ici. Il n’y a pas d’usure, il n’y a que les saisons qui passent.
On est nostalgique du temps qui ne passe pas.
 


—Théo, sors de moi de cette tombe, je ne suis pas à l’aise. Je ne suis pas bien ici.


Une nuit à Funchal
Trois heures du matin. Tu me réveilles, je suis en sueur, je me sens meurtri. L’hôtel est sur les hauteurs de Funchal et une baie de verre fait courir mon regard sur la ville et le début de la promenade du Lido. Des dizaines, des centaines de lumières dessinent la côte et le port.
Durant cette semaine, tu vas venir chaque nuit, je dors mal ou pas du tout même. Pour me fatiguer, je prends un bus jusqu’à Cama de Llobos et je rentre à pied par le littoral. J’attrape un coup de soleil et mon crâne rougi fait office de balise marine en mouvement. Je reviens, terrassé par l’effort. Mais rien n’y fait. Cette nuit-là, malgré la fatigue, tu reviens et je ne dors pas, tu insistes :
—Je ne suis pas bien ici, je n’aime pas cette tombe.


Je n’aime pas ma tombe
—Le cimetière est parfait, Théo, il est propre, je n’ai rien à redire. Les tombes sont plus ou moins bien entretenues, pas de vandalisme, c’est calme… Mais ma sépulture est dans la partie moderne, face au parking. Oui, je sais, c’est là qu’a été creusée la première tombe pour pépé. Je trouvais ça pratique à l’époque, c’était juste à côté du parking et face au portail. C’est vrai, je vois passer du monde. Mais je ne vois rien d’autre que le parking. Et puis, c

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