Passé simple
222 pages
Français

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Passé simple , livre ebook

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Description

Dans un salon du livre, Sarah Castan dédicace son premier roman. Elle fait la connaissance de Martin Dolbec, un auteur à la réputation établie. Subjuguée par cet homme, fragilisée par cette relation tortueuse et ambiguë, la jeune femme trouve une oreille attentive auprès d'Adrien, son grand-père de substitution. Philosophe, il lui apprend à profiter des moments tout simples de la vie. Le bonheur tient à si peu de rien.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 janvier 1985
Nombre de lectures 57
EAN13 9782336260754
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0850€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Passé simple

Nadine Prudhomme
Du même auteur
Tam - tam Sénégal, L’Harmattan, 2005.
Taxi - Blues, L’Harmattan, 2007.
© L’HARMATTAN, 2010
5-7, rue de l’École-Polytechnique ; 75005 Paris
http://www.librairieharmattan.com diffusion.harmattan@wanadoo.fr harmattan1@wanadoo.fr
9782296126565
EAN: 9782296126565
L’amour est passé sur vous comme les rouges incendies sur les forêts de Provence. Il faudra des années avant que l’herbe repousse, avant qu’un nouvel amour vienne peupler les lieux du désastre — et les lieux du désastre c’est vous tout entière, de la robe de coton aux pensées interdites, de votre goût du thé à la mélancolie du printemps. Vous tout entière.
Christian BOBIN.
Sommaire
Page de titre Du même auteur Page de Copyright Epigraphe Dedicace 1. 2 . 3 . 4. 5 . 6. 7. 8. 9. 10. 11. 12. 13. 14. 15. 16. 17. 18. 19.
A Salomé et Titouan mes petits-enfants en noir et blanc.
1.
C’est l’heure grise, entre chien et loup, quand la nuit tisse sa toile sur la fin du jour. Dans la rue piétonnière, les passants s’agrippent aux manches de leurs parapluies pour affronter cette fraîcheur automnale qui martèle ainsi la fin de l’été. Un été qui, sans rien demander, a joué les prolongations. A travers sa vitrine, elle regarde l’asphalte mouillé qui brille sous la pluie. Assise sur un grand tabouret, accoudée à son comptoir en bois, elle tient dans ses mains une tasse en porcelaine bleue. Elle tourne machinalement le sachet de thé à la bergamote qui infuse doucement. Elle s’absorbe dans la contemplation de la marelle peinte en blanc indélébile au ras du trottoir. Ce jeu n’a pas été tracé à la craie. Elle l’a voulu ainsi. Immuable. Malgré les intempéries et le temps qui passe. Personne n’a compris. Elle n’a pas donné d’explications. A payé sans broncher l’amende infligée par la municipalité. Camille, sa petite voisine, ne jouera pas ce soir. Sa compagnie va lui manquer. Elle s’est habituée à ce rituel, au bonjour tonitruant et aux deux baisers plaqués sur sa joue à toute volée. Il pleut. Elle fredonne la chanson “La marelle” de Nazaré Pereira. Nostalgique tout à coup, elle chavire sans savoir pourquoi. Les paroles l’interpellent. Elle s’est appliquée à pousser si longtemps, de case en case, à cloche-pied, la petite boîte en fer remplie de sable sans jamais atteindre le ciel. C’est la règle d’un jeu qui n’a rien d’anodin. Elle a passé si souvent son tour, coincée dans le puits de cette marelle qui oscille, balbutie et tremble à l’image de sa vie. Seule la maturité, un soupçon de folie ou de poésie permettent de telles métaphores. Elle a toujours gardé ses réflexions pour elle, consciente de leur étrangeté, de leur bizarrerie dans un monde qui ne lui ressemble pas, qu’elle redoute au point de n’avoir nulle envie de lui emboîter le pas. Elle aurait pourtant aimé y sauter avec insouciance mais elle a toujours eu la retenue de ceux qui marchent sur la pointe des pieds en ne sachant pas s’ils sont les bienvenus ou connaissant la réponse et voulant l’occulter, adoptent une discrétion instinctive. Un exercice périlleux d’équilibriste jamais mis au point faute de savoir tenir son balancier. Une funambule toujours sur le fil du rasoir prête à basculer dans le vide de son passé, de son présent, de son ailleurs. A de tels propos, certains emploieraient le terme de déséquilibrée. Question d’appréciation. Alors, elle se tait, lucide de sa différence qu’elle essaie de gommer par petites touches pour se couler dans le moule. Elle y a renoncé sans même s’accorder un zeste d’indulgence.

Ne pas s’attarder, bouger, faire semblant, ranger, déplacer dans leur rayonnage en bois les livres tout neufs, encore vierges, certains pelliculés de papier plastique, attendant d’être livrés au regard, à la critique enthousiaste ou corrosive des lecteurs. Elle aimerait les protéger, les garder pour elle toute seule, tant elle aime leur odeur — celle du papier neuf. Très peu d’ouvrages primés. Avec fracas, les médias se chargeront de leur promotion sans retenue ni discernement. Beaucoup d’auteurs inconnus à qui elle donne la chance d’être lus. Des coups de cœur. Elle s’attarde sur sa toute petite librairie — une seule pièce, basse de plafond, peinte en blanc pour y inviter la clarté. Des appliques au mur diffusent un éclairage très doux incitant les lecteurs à flâner, à s’asseoir dans les deux fauteuils club en cuir achetés récemment au marché aux puces. Des objets personnels pour quelques touches de couleurs et puis ses masques africains qui tapissent les murs. Ils veillent sur elle. C’est une certitude qui la rassure. Et toujours le refrain de “La Marelle” dans sa tête.
A l’image du temps, c’est une journée chagrine. Celle que l’on ne sent pas venir, que l’on subit, celle que l’on voudrait jeter aux orties. Au creux de soi un malaise indéfinissable qui n’annonce rien de bon, l’idée imprécise mais bien palpable d’un danger — une impression désagréable qui ne dit pas son nom, qui flotte dans l’air et rétrécit l’atmosphère. Il se fait tard. Il serait temps de fermer sa boutique mais elle reste là dans une attente incertaine teintée de cette anxiété larvée qui l’habite depuis des années. Elle se dirige vers son arrière-boutique et s’assied à son bureau : une simple planche noire, posée sur deux tréteaux rouges. Elle s’installe devant son ordinateur. Il faudrait qu’elle fasse l’inventaire.
Pourquoi ne pas en finir avec cette corvée ?
Personne ne l’attend.
Sous la lumière tamisée, elle aime se retrouver dans cet espace feutré. Elle allume une cigarette de tabac blond, s’attarde sur les volutes de fumée. Ses yeux se posent sur une photographie. Elle prend le cadre dans sa main. Elle sourit, se détend tout à coup. Une bouffée de tendresse la submerge au point de lui faire entrevoir la lumière dans le gris de l’instant. Elle n’a pas entendu le son cristallin du carillon de la porte d’entrée. Une voix la fait sursauter.
- S’il vous plaît ?
Elle ronchonne dans son for intérieur, peste contre l’indésirable, se reproche de n’avoir pas baissé le volet métallique. Elle aurait souhaité rester tranquille dans la quiétude de son bureau avec pour seule compagnie le bruit de la pluie qui cingle les carreaux de la fenêtre. Elle se sent indisponible. Elle ramène sur ses épaules le châle en alpaga aux couleurs chaudes, rose et jaune, se lève de son fauteuil, bien décidée à se débarrasser très vite de ce client inopportun de la dernière heure. Un homme qu’elle voit de dos est occupé à fermer son parapluie. Il s’ébroue de ce crachin si désagréable. Il porte un pardessus bleu-marine. Il se dirige vers les ouvrages, qu’elle a décidé de mettre en évidence. Il fait très vite son choix. Il hoche légèrement la tête. Il est toujours de dos. Il ne l’a pas entendue. Elle l’observe avec attention. Sa silhouette ne lui est pas inconnue ou plutôt son attitude — cette façon si particulière de remettre sa mèche rebelle en arrière. Ce geste qu’elle a cherché en vain et jamais retrouvé, ce geste qu’elle a voulu effacer de sa mémoire lui est familier. Elle en a désormais la certitude. Non, c’est impossible. Elle doute. Ses tempes cognent. Elle se trompe. Elle voudrait s’en persuader. Elle reste là figée, en retrait. S’avancer vers lui ? En avoir le cœur net. Elle hésite. Ses jambes flageolent sous le coup d’une émotion intangible, démesurée. Elle s’appuie le long du mur, les mains jointes sur son ventre. Elle a envie de vomir. Elle l’épie. Le scrute. Il feuillette un ouvrage : celui de Martin Dolbec. Ce choix n’est pas un hasard. Il savait qu’il le trouverait dans sa librairie. Elle peine à retrouver son souffle. Envie de s’enfuir. Elle attend, balayée par la vague gigantesque du parcours de mémoire. Déferlante de souvenirs enfouis. A son corps défendant, elle remonte le courant de son passé avec une acuité extraordinaire. Quatre ans déjà ! Des images précises et implacables s’imposent à son corps défendant. Elle ferait n’importe quoi pour arrêter ce kaléidoscope. Elle subit.
Cadenasser ses émotions, les verrouiller.
Il le faut.
S’en persuader.
Elle s’affaisse le long du mur.
Se résigne. Vaincue.

C’était un vendredi du mois de mai. En ce début de printemps exceptionnellement beau et chaud, rare

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