Poétique du regard chez Alain Robbe-Grillet
313 pages
Français

Poétique du regard chez Alain Robbe-Grillet , livre ebook

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Description

Dans les oeuvres d'Alain Robbe-Grillet, l'oeil de la concupiscence charnelle vient entamer cet ordre parfait, géométrique que l'on aurait cru inaltérable. Cet ouvrage se propose de montrer que l'oeil de l'arpenteur géomètre dissimule celui du pervers, à la recherche de la jouissance à travers le regard. Cette approche sera une pure recherche formelle : analyser le regard, c'est mettre en évidence son fonctionnement textuel, par le moyen de la linguistique et de la stylistique.

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Date de parution 01 mars 2014
Nombre de lectures 43
EAN13 9782336340180
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,1350€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Neila Manai
Poétique du regard chez Alain Robbe-Grillet
Poétique du regard chez Alain Robbe-Grillet
Critiques littéraires Collection fondée par Maguy Albet Dernières parutions Denisa-Adriana OPREA,Nouveaux discours chez les romancières québécoises, 2014. Philip Amangoua ATCHA, Roger TRO DEHO, Adama COULIBALY,Médias et littérature, Formes, pratiques et postures,2014. Didier AMELA,La nouvelle en Afrique noire francophone,2014. Jérémie N’GUESSAN KOUADIO (dir.),Zadi Zaourou, un écrivain éclectique, Actes du colloque en hommage à Bernard Zadi Zaourou, 2014. David TOTIBADZÉ-SHALIKASHVILI,La poésie mystique de Térenti Granéli, 2014. Effoh Clément EHORA,Roman africain et esthétique du conte, 2013. Marie-Lise ALLARD,Anna de Noailles, Entre prose et poésie, 2013. Jean-Marie KOUAKOU,J.M.G. Le Clézio, 2013. Bégong-Bodoli BÉTINA,Danzi, écrivain Gabriel centrafricain, 2013. Idrissa CISSÉ,Le rêve de Senghor, 2013. Pierre GOMEZ,Territoire, mythe, représentation dans la littérature gambienne. Une méthode géocritique, 2013. Jean-Paul SAVIGNAC,Le lichen et le scarabée, 2013. Geneviève ORSSAUD, Le roman argentin de 1970 à nos jours. Les ombres portées de l’état d’exception,2013.Joséphine MULUMBA,Entre les rives du Congo et de la Meuse, 2013. Alina-Daniela MARINESCU,Spécularité déformante. Sur les traces d’un paradigme anti-mimétique de l’art, 2013. Amélie ADDE,La versification du théâtre espagnol du siècle d’or, 2013. Maurice ABITEBOUL,L’Esprit de la comédie shakespearienne, 2013. Christian AHIHOU,Ken Bugul. La langue littéraire, 2013.
Neila MANAIPoétique du regard chez Alain Robbe-Grillet L’HARMATTAN
© L’HARMATTAN, 2014 5-7, rue de l’École-Polytechnique ; 75005 Pariswww.harmattan.fr diffusion.harmattan@wanadoo.fr harmattan1@wanadoo.fr ISBN : 978-2-343-02725-8 EAN : 9782343027258
INTRODUCTION
Il n’est pas facile de définirce que c’est qu’un regard.Jacques Lacan. La question du regard traverse toute l’œuvre d’Alain Robbe-Grillet et témoigne de l’importance particulière qu’il lui accorde. Cela remonte à la période où, comme tous les nouveaux romanciers (Michel Butor, Claude Ollier, Robert Pinget, Nathalie Sarraute, Claude Simon…), Robbe-Grillet avait l’intention de rénover le genre 1 romanesque . Né le 18 août 1922 et décédé le 18 février 2008, Robbe-Grillet est l’un des nouveaux romanciers français qui ont marqué la ème deuxième moitié du XX siècle. Sa formation scientifique (études en mathématiques puis en agronomie) ne l’a pas empêché de briller dans le monde des lettres. C’est surtout à partir duVoyeurque (1955) Robbe-Grillet accapare l’attention des critiques littéraires. Ces derniers vont jusqu’à le désigner comme le chef de file, le pape du Nouveau Roman. En effet, son œuvre pourrait être répartie en quatre périodes: dans 2 ses premiers textes (à peu près d’Un Régicide, 1949, jusqu’à Instantanés, 1962), il critique le roman traditionnel tout en créant une nouvelle conception du genre romanesque. À l’encontre de la linéarité du récit, il multiplie les procédés de ruptureéclatement de l’histoire en plusieurs fragments, répétitions de la même scène, non respect de l’ordre chronologique –brouillent la narration. Tout comme qui l’histoire racontée, le personnage de ces romans est démuni des caractéristiques dont il jouit dans le roman traditionnel. Robbe-Grillet évacue la figure du héros et le réduit à un être dont la seule validité,
1  Tous ces nouveaux romanciers se rejoignent dans le refus des formes passées, comme le récit linéaire sans complexion, la présence d’un narrateur démiurge, l’emploi systématique du passé simple…2 Ce roman n’a été publié qu’en 1978.
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semble-t-il, est sa nature linguistique. La réduction du statut du personnage s’accentue par rapport à l’importance accordée aux objets. À partir deLa Maison deRendez-vous(1965) jusqu’àDjinn(1981), la visée polémique de l’œuvre vient au second plan : le roman devient une réflexion sur les matériaux de sa composition, l’objet de son propre discours. L’œuvre s’avère une représentation du travail de son créateur, elle donne à voir une rédaction dans la pleine vivacité de sa naissance. Là s’imbriquent deux tendances de la narration: d’un côté répéter, préciser, de l’autre gauchir ou effacer. D’où l’abondance des ruptures brutales, des retours en arrière, des répétitions qui empêchent la construction d’un sens monovalent. Désormaisdans l’œuvre de Robbe-Grillet la fiction ne précède plus la narration, elle en est tributaire. Robbe-Grillet était donc d’avis que le texte se suffisait à lui-même : il pourrait ne renvoyer à rien qui lui fût extérieur. Par conséquent, il pourrait dépasser l’histoire (sociale, personnelle…), à laquelle le roman traditionnel accorde une grande importance.  La dénonciation de Robbe-Grillet, au-delà du roman traditionnel, affecte le genre autobiographique. Sa trilogie, les Romanesques, (Le Miroir qui revient, 1985 ;Angélique, oul’enchantement;, 1988 Les derniers jours de Corinthe, 1994) représente une nouvelle conception de l’écriture autobiographique. L’autobiographie traditionnelle est continue, elle raconte des faits vécus tout en respectant l’enchaînement causal et chronologique. Robbe-Grillet rompt avec cette tradition ; son texte est discontinu et hétérogène. Les faits réels et imaginaires s’enchevêtrent et dissolvent par conséquent les frontières entre réalité et fiction. Le narrateur n’est pas identifié au héros, comme le prévoit l’écriture autobiographique: les instances s’entrecroisent, s’échangent la parole dans le but de montrer une mémoire infidèle, incohérente et fabulatrice.  À cette expérience autobiographique succèdent deux romans :La Reprise(2001) etUn Roman sentimental(2007). Le premier, comme son titre l’indique, est une relecture des œuvres précédentes. Robbe-Grillet reprend le mythe œdipien associé à l’intrigue policière des Gommes. Le glissement énonciatif abrupt de la première à la troisième personne du singulier, la diversification des niveaux narratifs… brouillent la linéarité de la trame narrative, comme dans les romans de la première période. Des scènes sado-érotiques à l’instar de certains des romans de la deuxième période (La Maison deRendez-vous,
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Projet pour une révolution à New York…) parsèment les pages de ce roman. L’objet de ces scènes, une adolescente d’à peu près quinze ans nommée Gigi, réapparaît dansUn roman sentimental. Dans cette œuvre, Gigi est contraintede lire devant son père, toute nue, des textes érotiques du XVIIIe siècle. Elle subit ainsi que d’autres jeunes 3 adolescentes et enfants, « vendues comme objets de plaisir » , des réprimandes physiques et des pratiques sexuelles incestueuses et sadiques, au plaisir de celui qui assiste au spectacle.  Si les scènes sado-érotiques sont présentes, d’une manière plus ou moins explicite, dans ses œuvres précédentes et ses films (La Belle captive,L’Eden et après, Trans-Europ-Express, C’est Gradiva qui vous appelle…), Robbe-Grillet les affiche dansUn Roman sentimentald’une manière excessive. Elles sont en perpétuelle prolifération et s’extériorisent de plus en plus.Un roman sentimental, qui apparaît sous enveloppe en plastique et non massicoté, avec un 4 avertissement de l’éditeur , relance le débat autour de toute l’œuvre de celui qui a révolutionné les mécanismes narratifs, plus d’un demi-siècle auparavant. La portée sado-érotique serait justement l’élément majeur de cette écriture mouvante.  Le corpus sur lequel nous travaillons (Le Voyeur, 1955,La Jalousie, 1957, etInstantanés,1962) fait donc partie de la première période : celle de la contestation, celle de la volonté de rénover le genre romanesque. Le regard est justement l’un des moyens auxquels Robbe-Grillet recourt pour atteindre cet objectif : il lui permet de montrer l’absence de symbiose entre l’homme et le monde des objets, de purifier l’objet des significations dont le roman traditionnel l’a toujours chargé. Selon Robbe-Grillet, le regard est capable d’élaborer une vision phénoménologique du monde en général (êtres et objets), en refusant à la fois touta prioriexplicatif ou référentiel et toute interprétationa posteriori. Dans le roman traditionnel, l’objet est chargé de significations, car il est souvent le support des passions humaines. Chez Balzac par exemple, l’objet est porteur des valeurs prédéterminées de la bourgeoisie. Balzac tisse entre le personnage et les objets qui l’entourent d’innombrables réseaux de solidarité: les objets 3 Un Roman sentimental, Fayard, 2007, p. 251. 4  «L’Editeur tient à signaler que ce "conte de fées pour adultes" est une fiction fantasmatique qui risque de heurter certaines sensibilités. »
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constituent non seulement l’entourage, mais le prolongement nécessaire du personnage, la marque distinctive de sa position sociale et de son caractère particulier. Dans ce contexte, on peut rappeler ces quelques lignes de René Wellek et Austin Waren : Le décor, c’est le milieu; et tout milieu, notamment un intérieur domestique, peutêtre considéré comme l’expérience métonymique ou métaphorique d’un personnage. La maison d’un homme est une extension de cet homme. La décrire, c’est le décrire. Les détails précis que donne Balzac à propos de la maison Vauquer ne sont ni superflus ni hors de propos. Ces maisons sont l’expression de leurs propriétaires ; leur atmosphère affecte tous les autres personnages qui 5 doivent y vivre .  La finalité de la description n’est donc jamais dans l’objet décrit; elle renvoie toujours à autre chose qu’à elle-même. Et c’est justement ce que refuse Robbe-Grillet: pour lui l’objet doit être dénué d’affect et réduit à sa seule surface. Il doit être appréhendé sous le rapport de ses qualités physiques, sans référence à aucune valeur subjective ou symbolique. Cette appréhension du monde des objets suppose que l’on prenne à son égard le plus grand recul possible: d’où l’importance chez lui du regard comme vecteur d’appréhension et du regardé et du regardant.  Cet écart des techniques entre Balzac et Robbe-Grillet est dû en grande partie aux nouveautés technologiques, notammentla photographie et le cinéma. Le rapport aux objets, le rapport au fait de voir, et par conséquent au regard ne peut plus être le même. Avant Robbe-Grillet, Balzac est lui-même concerné par l’apport de la e photographie, puisque la première moitié du XIX siècle est marquée 6 par les découvertes de Niepce et de Daguerre . Balzac, comme d’autres artistes, Théophile Gautier, Gérard de Nerval…, affiche son engouement pour l’invention du daguerréotype et la capacité inébranlable de la photographie à représenter le monde. Pour lui, la photographieest rigoureusement fidèle à la réalité optique et donc le meilleur mode de représentation, voire de reproduction.Il envisage l’ensemble de son œuvre comme correspondant à ce nouveau procédé, 5 La Théorie littéraire, éd du Seuil, coll. « Poétique », 1971, p. 309. 6  Rappelons que la première photographie a été réalisée par Niepce en 1822. Daguerre poursuit les recherches de Niepce en inventant un appareil, le daguerréotype, en 1839, qui permet la prise de photos tout en réduisant le temps de pose à une demi-heure.
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7 «[…] une œuvre qui a la prétention de daguerréotyper une société.»La tâche de l’écrivain, et de l’artiste en général, est alors d’étudier l’ouvrage du Maître afin de produire une copie aussi fidèle que possible et de rendre le monde intelligible grâce à son art.  Robbe-Grillet voue également beaucoup d’admiration à la photographie, mais non pas pour les mêmes raisons. Vers les années cinquante, la photographie s’affirme de plus en plus comme un mode d’expression à part entière, ce que signifie littéralement le premier 8 sens de l’expression« écriture »de la lumière. L’expansion de la photographie en couleur, en 1935, et la possibilité de tirage sur papier, innovation qui se diffuse dans les années cinquante, assurent le succès à grande échelle de la photographie. Etant un procédé scientifiquement irréprochable, la photographie est devenue la représentante de la parfaite objectivité. Et c’est ce qui suscite l’intérêt de Robbe-Grillet. Pour lui, les nouveautés technologiques, photographie et cinéma, offrent la possibilité d’un regard objectif.ème  Paru vers la fin du 19 siècle, le cinéma confirme, tout comme la photographie et plus tardivement la télévision, le triomphe de la 9 «civilisation de l’œil.» Ancré dans son temps technologique et passionné par ce monde de l’image, Robbe-Grillet trouve en lui un moyen de renouveler le genre romanesque. En effet, dans ses deux articles « Une voie pour le roman futur » (1956) et « Nature, 10 humanisme et tragédie » (1958), l’intransigeante volonté de rupture avec les formes du roman traditionnel va de pair avec la référence fréquente au cinéma. Ce qui intéresse particulièrement Robbe-Grillet dans le cinéma, c’est surtout son objectivité immédiate, c’est-à-dire sa capacité de donner à voir, au présent, l’objet de l’extérieur, d’en délimiter la forme et les contours, de manière à éliminer toute signification dont pourrait être chargé l’objet. Selon Robbe-Grillet, le cinéma permet de maintenir la présence de l’image dans l’équivalence du présent, ce qui élimine la constitution d’un passé et donc d’un récit tel qu’on le trouve dans les œuvres de Balzac par exemple.
7 Préface à la première édition deSplendeurs et Misères des Courtisanes, IV, p. 603. 8  Le Robert Dictionnaire Historique de la Langue Française, Dictionnaire Le Robert, 1998, t. 2, p. 2713. 9 L’expression est d’Edgar Morin,Le cinéma de l’homme imaginaire, Minuit, 1956, p. 215. 10 Pour un Nouveau Roman, Minuit, 1963.
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