Prendre langue avec la vôtre

. Saint-Denis Théâtres Intermédiaires I, Philippe Ripoll

Description

Une manière d'apprendre la langue française. Une manière pour la langue française d'apprendre l'autre. Dans le contexte très « commun » et de plus en plus normatif des ateliers d'alphabétisation, une expérience se présente comme un acte d'émancipation réciproque : des femmes venues de Tunisie, d'Egypte, et d'ailleurs, réunies par une association de femmes, vont voir des spectacles au Théâtre et répondent aux « acteurs de la France » par une avalanche de lettres...

Sujets

• Interculturel
• Pièce de théâtre
• Immigration
• Langue
• Littérature
• Travail social
• Beaux arts
• Harmattan Littérature

Informations

• Publié par: L'Harmattan
• Date de parution: 01 décembre 2011
• Nombre de lectures: 42
• EAN13: 9782296474857
• Langue: Français

Extrait

© L’Harmattan, 2011
5-7, rue de l’Ecole polytechnique, 75005 Paris

http://www.librairieharmattan.com
[e-mail]
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ISBN : 978-2-296-56672-9
EAN : 9782296566729

Fabrication numérique : Actissia Services, 2012
Saint Denis, Théâtres intermédiaires I


PRENDRE LANGUE AVEC LA VOTRE
Ce livre est issu d’une résidence d’écrivain entre les quartiers de saint Denis et le Théâtre Gérard Philipe – centre Dramatique National de Saint Denis.

Cette résidence a été hébergée par l’Association des Femmes de Franc-Moisin, et elle a bénéficié de la collaboration de la Maison de quartier de la Plaine, de la Maison de la Solidarité, ainsi que de France Terre d’Asile – Saint Denis, de l’Association Santé Bien-Etre et d’une association informelle de femmes du quartier Semard .

Elle a été rendue possible grâce au Plan « Dynamique Espoir Banlieues », avec le soutien de la Direction Régionale des Affaires Culturelles d’Île-de-France.

Couverture : Simon Ripoll-Hurier
Philippe Ripoll

Saint Denis , Théâtres intermédiaires I


PRENDRE LANGUE AVEC LA VOTRE
lettres aux acteurs


livret documentaire


en compagnie de

Hanan Aboueish, Karima Aït-Ahmed Ameziane,
Nawelle Belardi, Sbah Eish, Amany Eish,
Fatima Hagras, Malika Jilali, Ebtisem El Kardaoui,
Shazia Khan, Hafida Lemsouguy, Ghada Mohamed,
Saveta Olteanu, Fatima Rami, Kausar Sheikh,
Thouraya Taiyeb, Uzma Nadeem,

Et Adjera Lakehal-Brafman
Association des Femmes de Franc-Moisin


L’Harmattan
Les étoiles n’avaient qu’un rôle :
M’apprendre à lire
J’ai une langue dans le ciel
Et sur terre, j’ai une langue
Qui suis-je ? Qui suis-je ?

( … )

Le poème est entre mes mains, et il peut
Gérer les légendes par le travail manuel
Mais j’ai égaré mon âme
Lorsque j’ai trouvé le poème
Et je lui ai demandé
Qui suis-je ?
Qui suis-je ?


Mahmoud Darwich, Dispositions poétiques, 1995
PRENDRE LANGUE AVEC LA VOTRE

Une manière d’apprendre la langue française.
Une manière pour la langue française d’apprendre l’autre.
Dans le contexte très « commun » et de plus en plus normatif des ateliers d’alphabétisation, une expérience se présente comme un acte d’émancipation réciproque :

Des femmes venues de Tunisie, d’Egypte, et d’ailleurs, réunies par une association de femmes dans le quartier du Franc-Moisin à Saint Denis, vont voir des spectacles au Théâtre Gérard Philipe et répondent aux « acteurs de la France » par une avalanche de lettres.
Le trajet vers le théâtre est un long voyage. Faire connaissance, c’est un engagement. Faire connaissance, c’est un travail. A travers Marivaux, Monteverdi, Brecht et d’autres créations contemporaines, s’élabore un courant de va-et-vient. Faire connaissance, « par temps brechtiens » (Têtes rondes, têtes pointues), c’est s’expliquer, se battre avec le sens.
Des révolutions peuvent en cacher d’autres.

Et si nous étions dans un poème de l’hospitalité, pour accéder, loin des représentations onanistes (faites pour se satisfaire toutes seules dans leur coin) à la relation, et à un théâtre de la nation française quelque peu revisité ?
P.R.
I LETTRES AUX ACTEURS
L’atelier, transcriptions


Comment nous avons écrit nos lettres.

Nous nous sommes inscrites à l’association
Des femmes de Franc-Moisin
Dans un cours de « communication »
(Un cran au-dessus du cours d’alphabétisation).
Le cours a été animé par Adjera, la directrice de l’association
Et par Philippe, l’écrivain.

On choisit une pièce, on travaille dessus,
On va voir la pièce au Théâtre Gérard Philipe.
C’est beaucoup d’organisation.
On dit ce qu’on a compris, pas compris,
Et on relie avec notre vie.
C’est beaucoup de séances.

Comme spectacles, on a vu :
Classe , un texte écrit par Blandine Keller.
C’est pendant un contrôle sur l’Odyssée.
La professeure observe
Et s’imagine la vie intérieure des élèves.
C’est joué par Océane Mozéas,
Et mis en scène par François Rodinson.
Ils habitent la Goutte d’or :
C’est la vie du quartier de Paris, La Goutte d’Or,
A travers trois personnages, une femme politique,
Un marchand de journaux et une africaine.
C’est un spectacle de Laurence Février qu’elle joue
Avec Martine Maximin et Charlie Nelson.
On n’a pas vu Baglady, la femme au sac,
Mais on en a parlé. On a vu
Les jeux de l’amour et du hasard , de Marivaux.
La mise en scène était de Jean Liermier,
Avec beaucoup d’acteurs et d’actrices.
Ce sont des jeunes gens qui ne veulent pas
Etre mariés de force.
Ils échangent leur rôle avec leurs valets
Pour connaître l’autre sans être reconnus,
Mais l’amour finit par les reconnaître.
Le Couronnement de Poppée,
Un opéra de Monteverdi,
Mis en scène par Christophe Rauck,
Le directeur du Théâtre Gérard Philipe.
La direction musicale, c’était Jérôme Corréas.
Et il y avait encore plus d’acteurs, d’actrices,
De chanteurs, de cantatrices.
C’est l’histoire d’une passion entre Néron, un tyran
Et sa maîtresse, Poppée,
Qui ravage tout sur son passage.
Reset. Une création collective du groupe MxM,
Mise en scène par Cyril Teste.
Une histoire d’amnésie et de disparition
Que le spectateur recolle à sa façon.
Têtes rondes, têtes pointues , de Bertolt Brecht,
Mis en scène par Christophe Rauck,
Avec beaucoup d’acteurs et d’actrices masqués,
Des masques qui effacent les visages.
Une histoire de riches et de pauvres très actuelle.
Chouf Ouchouf ,
Par le groupe acrobatique de Tanger,
Un spectacle sans texte
Mis en scène par les artistes Zimmermann & de Perrot.
On a vu aussi, avec nos enfants,
Les Impromptus, une « performance »
De la compagnie de Christiane Véricel
Avec des enfants de Saint Denis.
On a bien aimé mais on n’a pas trouvé le temps
D’en parler vraiment.

Car on en parle
Et on parle de nous.
On parle beaucoup.
On parle avec Philippe.
Il traduit notre parole.
C’est beaucoup de séances.
C’est un travail collectif
Dans lequel il y a une oreille rigoureuse,
Qui tâche de ne pas déformer ce qu’elle entend.
Dans l’ensemble, Philippe a été un bon écouteur.

Philippe traduit, on relit.
Parfois on écrit.

Voici donc nos « lettres aux acteurs ».

Mais c’est quoi, au fait, Lettre , le mot Lettre ?
L’être humain ?
Littérature ?
Courrier pour obtenir des papiers ?
OUI.
C’est quoi, Acteur ?
Poser des actes ?
Oui. Poseur d’actes.
Corps dans lequel le verbe agit…
Le verbe ?
Oui.
Le verbe, le verbe, la parole ?
Oui.
Ah ! J’ai compris.
C’est quoi donc, Acteur ?
Laissez-moi regarder le dictionnaire :
C’est quelqu’un qui prend une part importante, une part active
Dans sa vie, dans son art, dans les événements qui le constituent.

Chères actrices, chers acteurs,
Nous vous écrivons,
Nous ne vous connaissons pas.
Nous découvrons tout juste le théâtre.

Permettez qu’on vous lance à tous, à toutes, un cri de bienvenue.
Nous avons joué à
Plier et déplier
Et replier le mot :


Dans toutes ses lettres

Et le mot :


Dans tous ses coins sonores.
Voilà ce que ça donne :
« Chères actrices, chers acteurs,
Nous sommes très en hâte,
Nous volons,
Nous fendons l’air
Pour vous envoyer cette lettre,
Pour en tracer les traits en or,
Pour aller de notre cœur à votre cœur.
Nous sommes très en hâte,
Nous volons,
Nous fendons l’air,
Le cœur plein de joie,
Pour vous remercier.