Récits d un chasseur
121 pages
Français

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Description

Khor et Kalinitch, paru dans une revue, rendit célèbre Tourgueniev. Ce premier texte donne le thème de l'ensemble des récits de ce recueil : la chasse, dans de superbes paysages de plaines, de bois, d'étangs où l'on s'égare très vite, sous une chaleur torride ou une pluie battante. Nous découvrons la vie des paysans russes vers 1850, leurs croyances naïves, leurs chansons, leurs disputes (que de femmes battues!) mais surtout leur vie terrible : les maîtres décident de tout (mariage, emploi), les déplacent à leur gré et appliquent une justice très approximative quand ils osent se plaindre. La faim, la peur et la soumission à une hiérarchie corrompue sont le quotidien de nombreux moujiks. L'auteur (narrateur des récits) dénonce ici l'horreur du servage, ce qui lui valut un exil dans ses terres, tout en révélant aux Russes l'âme de son peuple. Paris, Albin Michel, 1927. Traduction E. Halpérine-Kaminsky. Publication originale en 1852. Édition définitive, et augmentée en 1874.

Informations

Publié par
Date de parution 30 août 2011
Nombre de lectures 140
EAN13 9782820609670
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0011€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

R cits d'un chasseur
Ivan Sergue evitch Tourgueniev
1874
Collection « Les classiques YouScribe »
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ISBN 978-2-8206-0967-0
KHOR ET KALINITCH

Ceux qui ont eu l’occasion d’aller du district de Bolkhovskydans celui de Jizdrinsk ont dû remarquer combien les gens dugouvernement d’Orel diffèrent de ceux de Kalouga. Le moujik d’Orelest petit, voûté, morose ; il regarde en dessous ; ilhabite de méchantes isbas de tremble, est attaché à la glèbe, n’aaucun commerce, aucune industrie, mange Dieu sait quoi, et sechausse de tilles tressées. Le moujik de Kalouga est à ladîme ; il vit dans de larges isbas de pin ; il a lataille haute, le regard ferme et gai, la face lisse etblanche ; il fait le commerce de l’huile et du goudron et sechausse de bottes les dimanches et les jours de fêtes.
Un village du gouvernement d’Orel est, ordinairement, situéparmi des champs labourés, auprès d’un ravin transformé en marais.À l’exception de quelques cytises – sous lesquels vous pouvezattendre [1] – et de deux ou trois maigres bouleaux,on parcourt des distances d’une verste sans rencontrer un arbre.Les isbas sont construites côte à côte et se soutiennent l’unel’autre ; toutes sont également couvertes de paille pourrie.Un village kalougien, au contraire, est presque toujours entouréd’un bois. Les isbas, espacées et droites, ont des toits enplanches ; les portes ferment bien, la palissade ne tombe pasen ruine, elle ne laisse aucune brèche par où puissent pénétrer lesporcs… Et pour le chasseur aussi c’est le gouvernement de Kalougaqui est le bon. Dans le gouvernement d’Orel, avant cinq ans, lesderniers bois, les dernières landes buissonneuses aurontdisparu : il n’y a déjà plus de marécages. Dans legouvernement de Kalouga, les clairières ayant plusieurs centainesde verstes et les marais plusieurs dizaines ne sont pas rares. Là,on rencontre encore le noble coq de bruyère, la grive étourdie etl’agile perdrix dont le vol brusque et saccadé égaye à la foischien et chasseur.
Comme je parcourais, tout en chassant, le district de Jizdrinsk,je fis, en pleine campagne, la connaissance d’un petitpomiéstchik [2] kalougien. M. Poloutikine, unchasseur passionné et, par conséquent, un excellent homme. Il avaitpourtant quelques faiblesses, je l’avoue. Par exemple, il faisaitdemander la main de toutes les riches demoiselles à marier de laprovince. Après s’être vu fermer le cœur de la fille et la maisondu père, il racontait avec expansion sa mésaventure à ses amis etconnaissances, sans cesser d’envoyer aux parents des héritières despaniers de pêches vertes ou d’autres fruits toujours cueillis avantterme. Il avait aussi la manie de radoter toujours la mêmeanecdote, et, malgré l’état particulier qu’en faisaitM. Poloutikine, cette anecdote n’égayait personne. Il louaitexagérément les œuvres d’Akim Nakhimov et le roman : Pinna ; il bégayait, il appelait son chien Astronome.Il disait Odnatché pour Odnako [3] . Il avait introduit chez lui la cuisine française dont le secret, audire de son cuisinier, consistait uniquement à dénaturer le goûtoriginal des aliments – de sorte que, chez cet artiste, la chairavait le goût du poisson et le poisson le goût du champignon ;ses macaroni sentaient la poudre à canon ; en revanche, il netombait jamais dans un potage une carotte qui n’eût la forme d’unrhombe ou d’un trapèze. Sauf ces légers travers,M. Poloutikine était, comme je l’ai dit, un excellent homme.Dès notre première rencontre, il m’invita à venir passer la journéeet la nuit chez lui.
– Il y a d’ici chez moi cinq verstes environ, medit-il : il serait trop fatigant de faire tout ce chemin àpied ; entrons d’abord chez Khor.
– Qui est-ce, Khor ?
– Mais, mon moujik… Il demeure tout près d’ici. Nous nousrendîmes donc chez Khor. Au milieu de la forêt, dans une clairièredéboisée et cultivée, s’élevait l’habitation isolée de ce moujik.Elle consistait en plusieurs bâtiments de bois de sapin réunis pardes haies. Devant l’isba principale, on remarquait un petit auventsoutenu par de minces piliers. Nous fûmes reçus par un vigoureux etbeau gaillard de vingt ans.
– Ah ! Fédia ! Khor est-il chez lui ?demanda M. Poloutikine.
– Non, Khor est à la ville, répondit le gars dont unsourire découvrit les dents éclatantes. Voulez-vous que j’attellela telejka [4] .
– Oui, frère, mais auparavant donne-nous du kvass [5] .
Nous entrâmes dans l’isba. Pas une de ces images deSouzdal [6] qui déshonorent la plupart des murs desisbas russes. Dans l’angle d’honneur, devant une icône ornéed’argent, brûlait une veilleuse consacrée. La table, en bois detilleul, avait été récemment raclée et lavée. Dans les intersticesdes solives et autour du cadre des fenêtres, on ne voyait courir nila blatte agile, ni le cafard pensif. Le jeune homme revint,portant une grande cruche blanche, pleine de très bon kvass, unénorme quartier de pain et une douzaine de concombres salés nageantdans un bol en bois. Le tout fut déposé sur la table avec symétrieet le garçon alla s’épauler contre le montant de la porte d’où ilnous regardait en souriant. Nous achevions à peine notre collationquand nous entendîmes la telega rouler dans la cour. Nous sortîmes.Un gars de quatorze à quinze ans, les cheveux frisés et les jouesrouges, était assis à la place du cocher et contenait, de toutesses forces, l’ardeur d’un jeune cheval pie. Autour de la telega setenaient six jeunes géants tous ressemblants à Fédia.
– Tous les fils de Khor, me dit mon compagnon.
– Oui, tous Khorians [7] , ajoutaFédia qui nous avait suivis. Mais nous ne sommes pas tousici : Potap est au bois, Lidor a accompagné le père…Attention ! Vassia, continua-t-il en s’adressant au cocher, vavite ; c’est le bârine que tu mènes, mais prends garde auxbosses et aux creux, tu gâterais la telega et tu causerais desinquiétudes au ventre du bârine.
Les autres Khorians sourirent à la saillie de Fédia.
– Faites monter Astronome ! cria solennellementM. Poloutikine.
Fédia souleva le chien qui souriait d’un air gêné et le déposaau fond de la telega. Vassia fouetta le cheval.
Nous roulions.
– Voici mon bureau, me dit M. Poloutikine en memontrant une isba très basse. Voulez-vous entrer ?
– Volontiers.
– Il ne me sert plus, mais cela vaut pourtant la peined’être vu.
L’isba se composait de deux pièces vides. Un vieux gardienestropié accourut…
– Bonjour, Minaïtch, dit M. Poloutikine. Et l’eau, oùest-elle ?
Le vieillard disparut et revint avec une bouteille d’eau et deuxverres.
– Goûtez donc, me dit M. Poloutikine. C’est de l’eaude source excellente.
Nous en bûmes un verre chacun, et pendant ce temps le vieuxgarde nous saluait jusqu’à la ceinture.
– Eh bien, maintenant, je crois que nous pouvons partir,observa mon nouvel ami. C’est ici que j’ai vendu – une excellenteaffaire – au marchand Allilouïev quatre déciatines de forêts.
Nous remontâmes en telega.
Une demi-heure après, nous entrions dans la cour de l’habitationseigneuriale.
– Apprenez-moi, je vous prie, dis-je à Poloutikine durantle souper, pourquoi Khor vit séparé de vos autresmoujiks ?
– C’est un malin. Il y a vingt-cinq ans, son isba brûla. Ilvint trouver feu mon père et lui dit : « Permettez-moi,Nikolaï Kouzmitch, de m’établir dans votre forêt sur le marais.
– Et pourquoi irais-tu vivre dans un marécage ?
– Comme cela ; seulement vous, Nicolaï Kouzmitch, vousn’exigerez plus de moi aucune corvée. Fixez vous-même la dîme quevous jugerez convenable.
– Cinquante roubles par an.
– Soit.
– Mais sans arriéré, prends garde !
– Cela va sans dire : sans arriéré…
Et voilà qu’il s’établit sur le marais ; c’est alors queles autres moujiks le surnommèrent Khor.
– Il a fait fortune ? demandai-je.
– Il a fait fortune. Il me paye aujourd’hui cent roubles deredevances et je compte l’augmenter. Je lui ai dit bien desfois : « Rachète-toi, Khor, rachète-toidonc ! » Mais il m’assure, le coquin, qu’il n’a pas dequoi : « Pas d’argent ! » dit-il. – Aveccela !…
Le lendemain, aussitôt après le thé, nous partîmes pour la

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