Rodaya
233 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

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Description

Que de bouleversements, en effet, nés d'une rencontre nocturne, quelques années plus tôt, sur les allées du vieux quartier européen de la culture africaine ! Lui, l'infirmier français, elle, l'étudiante ivoirienne - que séparent l'un de l'autre les moeurs et les coutumes relevant de leur culture propre -vont vibrer d'une infinie tendresse que la mort, seule, déliera brutalement. Ce voyage intérieur va conduire les deux jeunes gens jusqu'à Djoloba ou fleuve du sang, étape mythique et emblématique de leur aventure sentimentale.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 novembre 2010
Nombre de lectures 64
EAN13 9782296936911
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0850€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Rodaya
© L’H ARMATTAN, 2010
5-7, rue de l’École-Polytechnique ; 75005 Paris

http://www.librairieharmattan.com
diffusion.harmattan@wanadoo.fr
harmattan1@wanadoo.fr

ISBN : 978-2-296-13212-2
EAN : 9782296132122

Fabrication numérique : Socprest, 2012
Ouvrage numérisé avec le soutien du Centre National du Livre
Roland Willay Adams


Rodaya
ou le fleuve du sang


L’H ARMATTAN
I
Le jour venait de poindre quand des clameurs sourdes s’élevèrent du bord de la lagune où s’entassaient pêle-mêle pirogues et embarcations de fortune. La brume vaporeuse qui se répandait sur la ville endormie annonçait les premiers effluves de la touffeur tropicale. Un soleil timide pénétrait à grand-peine la chape de plomb pesant sur les villas dissimulées au milieu des bosquets de bougainvilliers et de jasmin, et sur le petit village de pêcheurs blotti au pied du plateau. Equipés de lampes-tempête et de coutelas, les piroguiers s’apprêtaient à partir pour la pêche à l’épervier ; leurs voix se répandaient en murmures ponctués de jurons étouffés. L’un d’eux se mit à rire en apostrophant son voisin d’une voix stridente. Les discussions allaient bon train ; elles dénotaient une jovialité qui ne se démentait jamais, quels que fussent les aléas de la vie quotidienne. Au loin, se dressant au dessus d’une mince langue de terre, les tours récentes de la ville moderne perçaient le ciel d’un blanc laiteux. Le silence matinal semblait se complaire dans une alliance intime unissant l’air à l’eau.

Se frottant les yeux comme pour accommoder une vision tirée de la somnolence, et se déplaçant à pas très mesurés, Kouamé emprunta un raidillon peu fréquenté qui le conduisit de la masure qu’il occupait en amont d’un modeste campement jusqu’au débarcadère sommairement aménagé. A l’écart des hommes qui s’activaient autour des pirogues, il écoutait le clapotis des eaux contre les cocotiers déchaussés gisant sur le sable gris. Soudain, il perçut la présence d’Hassan à demi dissimulé dans les hautes herbes, et comme prostré.
Hassan, mon frère, tu es là ? C’est quoi même ?
Hassan ne répondit pas. Il étira une jambe engourdie puis saisit sa casquette qui traînait dans l’herbe humide. Il avait couru jusqu’à ce coin de lagune où il s’était réfugié furtivement, et reprenait maintenant son souffle tout en s’épongeant le front. Il se redressa lentement.
Hassan, ton jambe là, il est raide comme bambou ! Tu veux me dire quoi ?
J’ai mal à la jambe. Je crois que je me suis bousillé la cheville en glissant sur la pente, tu vois, là…
Mais où tu vas présentement ? T’es pas au boulot ?
Je retourne au village. Et quoi, je voulais emprunter la pétrolette {1} . Le pilote n’est pas là. Je suis malheureux.
Mais pourquoi tu veux retourner au village ? Et ton travail chez le blanc ? Il t’a viré ? T’as fait couillon, oui !
Non, il est malade. Il est dans la chambre. Il ne veut pas répondre.
Mais c’est quoi même cette histoire ? Tu me blagues ?
Je crois que le fétiche est là.
Quoi ? Le fétiche chez le blanc ? Dis, mon vieux, dis…
Oui, c’est pas moi. Je veux pas l’histoire. Quelqu’un est venu chez le patron il y a plusieurs jours. Je ne le connais pas. Depuis ce temps, là, le patron, il est malade. Il est triste. Il a paludisme… Non, il est blanc comme blanc. Il est couché depuis hier soir. Je ne sais rien de plus…
Hassan, il faut me dire encore mon frère. Allez, il faut dire. Tu me connais, mon frère, il fait réfléchir avant de prendre ton pied la route {2} .
A cet instant de la conversation entre les deux hommes, une voix tonitruante se fit entendre depuis le sommet du talus qui bordait la lagune. C’était celle du conducteur de la pétrolette qui s’adressait à un vendeur ambulant attendant le départ de l’embarcation.
Quoi ! Deux passagers seulement ? dit-il d’une voix rauque après avoir franchi en sifflotant le rebord de la butte. C’est l’heure ; il faut attendre quoi ?… Qui tu es, toi ?
Il s’approcha de Kouamé et se mit à discuter avec lui tout en observant Hassan qui se taisait. Les propos sonores du conducteur de la pétrolette étaient entrecoupés de rires gutturaux. Pris d’hébétude, Hassan regardait fixement le plan d’eau scintiller sous les fines écharpes de brume. Il s’assit sur le tronc d’un cocotier couché et aperçut, de l’anse lagunaire où il se trouvait, le vieux quartier de la ville baignant dans une lumière délavée. Songeant au patron qu’il avait laissé dans la vieille case où il prenait son service tous les matins « que Dieu faisait bien », disait-il volontiers en bon chrétien converti, son corps se crispa et les lèvres se mirent à trembler.
Après avoir interpellé de sa voix tonnante plusieurs villageois qui empruntaient quotidiennement la voie d’eau pour rallier le centre urbain, l’homme aux commandes de la machine vieillotte embarqua ses passagers dont certains étaient encombrés de petits paquets grossièrement ficelés et de paniers de fruits. Tout en bougonnant, il détacha l’embarcation et mit en marche le moteur qui toussa de gros panaches de fumée. Puis la pinasse pétaradante s’éloigna lentement de la berge pour se glisser entre les bancs de brume nacrés.

Hassan, visiblement, était mal en point au moment du départ de la navette lagunaire ; il avait les yeux embués de larmes lorsqu’il prit place sur un banc latéral et s’agrippa au bord de l’étrave. Kouamé le regarda très attentivement et lui adressa un signe amical à plusieurs reprises. Il subodora un mauvais coup du sort affectant sensiblement le jeune homme : une dette de jeu peut-être, un larcin commis aux dépens de son patron, ou bien une histoire de femme !

Hassan disparut comme le jour s’éteint lentement derrière la sombre nuée… On ne devait plus le revoir durant de longues semaines. Il avait pris la pétrolette pour se rendre à la gare routière située à la sortie nord de la ville, à proximité d’un vaste parc de bois flottants destinés à être chargés sur les navires qui mouillaient dans cette autre baie lagunaire. Tous les taxis en partance pour l’intérieur du pays s’y regroupaient dans un grand désordre. Les bruits de moteur, de klaxon, et les nuages de poussière soulevée par les voitures qui manœuvraient de façon confuse composaient une cacophonie et un paysage des plus pittoresques. Les femmes ceintes de leur pagne aux tons vifs portaient sur la tête des bassines remplies de tubercules ou de bananes ; certaines d’entre elles tenaient leur jeune enfant dans le dos. Revêtus de leur boubou blanc ou bleu pâle, les hommes se pressaient autour des véhicules en interpellant les chauffeurs. De partout s’élevaient des cris, des appels, des jurons, et il flottait dans l’air une odeur rance d’huile de friture.
C’est de cette station routière qu’Hassan prit le taxi de brousse. Kouamé ne put s’empêcher de penser que dans l’état de tension nerveuse où se trouvait son compatriote, le long voyage sur des pistes hasardeuses auraient raison de ses forces mentales et physiques, et qu’il ne le reverrait peut-être pas…

L’absence d’Hassan fit l’effet d’une bombe parmi les domestiques qui travaillaient dans le vieux quartier résidentiel ; circulant d’une case à l’autre, l’émotion suscitée parmi le personnel se prolongea, jour après jour… Les langues se délièrent, les apartés se multiplièrent au coin des jardins entourant les habitations, les commentaires allèrent bon train. Comme en d’autres lieux tenus secrets par les pratiques propitiatoires, on eût dit qu’avec le temps s’épaississait le mystère de l’homme aux prises avec les forces qui le subjuguent…
II
La résidence qu’occupait Hector était située dans un vieux quartier de la capitale que des citadins qualifiaient soit de quartier historique, soit de quartier colonial selon l’état d’esprit qui les animait. On y parlait volontiers de case – ce qui faisait dire encore que le mot flairait certains relents nostalgiques ! – plutôt que de villa, sachant que le modèle de construction datait de la période de la domination européenne. La sobre demeure d’Hector faisait partie d’un ensemble d’habitations aménagées sur un promontoire dominant un bras de lagune ; le quartier était ombragé de flamboyants et de bougainvilliers décorant de larges allées tracées au cordeau. Adapté aux conditions climatiques tropicales, le quadrillage urbain conférait aux demeures noyées sous l’épaisse verdure une tonalité empreinte de quiétude et d’alanguissement. Les trilles des engoulevents ou des tisserins au nid savamment construit et le roucoulement des tourterelles égrenaient les heures feutrées de ces îlots engoncés dans une douce somnolence. De temps à autre, un marchand ambulant déplaçait son éventaire sur lequel étaient disposées toutes sort

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