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Description
Sujets
Informations
Publié par | Éditions David |
Date de parution | 11 octobre 2011 |
Nombre de lectures | 6 |
EAN13 | 9782895972204 |
Langue | Français |
Poids de l'ouvrage | 1 Mo |
Informations légales : prix de location à la page 0,0600€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.
Extrait
SORTIR DU CADRE
Prix littéraire Le Droit 2011
DE LA MÊME AUTEURE
Calendrier des terres froides (poésie), Montpellier, Québec, Écrits des Hautes-Terres, 2008. Prix LeDroit 2008. Prix littéraire Jacques-Poirier — Outaouais 2007 pour le manuscrit.
Maison ouverte (nouvelles), Ottawa, Éditions du Vermillon, 2006.
Poreuses frontières (poésie), Ottawa, Éditions du Vermillon, 2003.
Claire Boulé
Sortir du cadre
NOUVELLES
Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives Canada
Boulé, Claire
Sortir du cadre / Claire Boulé.
(Voix narratives) Nouvelles. ISBN 978-2-89597-154-2
I. Titre. II. Collection : Voix narratives
PS8553.O8397S67 2011 C843’.6 C2010-906103-9
ISBN format ePub : 978-2-89597-220-4
Les Éditions David remercient le Conseil des Arts du Canada, le Secteur franco-ontarien du Conseil des arts de l'Ontario, la Ville d'Ottawa et le gouvernement du Canada par l'entremise du Fonds du livre du Canada.
Les Éditions David
335-B, rue Cumberland
Ottawa (Ontario) K1N 7J3
Téléphone : 613-830-3336 / Télécopieur : 613-830-2819
info@editionsdavid.com
www.editionsdavid.com
Tous droits réservés. Imprimé au Canada.
Dépôt légal (Québec et Ottawa), 4 e trimestre 2010
À Kevin, compagnon de toutes les routes
Si j’avais la science des mots j’écrirais peut-être, car la peinture n’est qu’écriture. Francine SIMONIN
I Compositions et paysages
Sortir du cadre
À Marie, artiste et hôtesse du gîte Lupins et lilas, Québec.
C’est la photo qui nous prend.
Henri CARTIER-BRESSON
S ’éveiller dans un lit étranger. Dans une chambre qu’on ne reconnaît pas. Laisser son œil parcourir un pan de mur qui n’existait pas à cet endroit, la veille. Promener un regard interrogateur sur la table, dans le coin de la chambre, là où une bouteille et des verres se profilent à contre-jour.
Le matin a déjà envahi ces lieux inconnus. Un soleil effronté s’est insinué entre les rideaux mal fermés et découpe maintenant le mur en deux tons de vert. Au-dessus de la table, un petit tableau émerge tranquillement de l’ombre et entre dans la zone claire comme une île à la dérive.
On entend des rugissements dehors. C’est un camion surgi de nulle part, soufflant, suant. Il gronde, hargneux, juste au pied du café-couette. Un café-couette, c’est ça! Un gîte du passant, un B and B de luxe, c’est bien ici que vous avez échoué hier. Une chambre dénichée à la dernière minute… Une chambre en terrain neutre, loin des autres fêtards du groupe. Et ce camion immobilisé au feu rouge de la rue Belvédère, ce tonitruant poids lourd qui redémarre à grand renfort de grondements, vient de gravir la longue côte de la Pente-douce.
Aux confins du territoire que tu occupes dans le grand lit King, il dort encore profondément et son corps dessine une chaîne de montagnes basses sous les couvertures. Une vague rumeur, une sorte de clapotis te parvient. On peut imaginer qu’un ruisseau, une rivière, un fleuve même, vous sépare. Au beau mitan du lit, la rivière est profonde. Mais ce que tu entends, ce ronron facilement reconnaissable, ce bruit tout à fait banal et coutumier que tu refuses d’identifier et qui, en d’autres circonstances, te taperait sur les nerfs, est un ronflement. Eh oui, un prosaïque ronflement… Le souffle rocailleux traverse le sommet des collines, accompagné d’un mugissement: celui du premier autobus de la journée. Il remonte la rue, cet autobus, et le feu doit être vert, car le mugissement se poursuit sans s’interrompre, tout en diminuant d’ampleur. À cela s’ajoutent les aigres vocalises des corneilles.
Impossible de te rendormir.
Tu t’étires discrètement sous les draps en prenant garde d’effleurer ton compagnon. Quelque chose chatouille le bout de tes orteils, c’est ferme et moelleux, tu reconnais ton soutien-gorge et, emmêlé aux bretelles, le tissu soyeux de ton slip…
Le tableau suspendu en haut de la table baigne maintenant dans un courant de lumière blonde. Tu y discernes du gris, du blanc et une rangée de taches noires. Mais l’ensemble reste flou, éclaboussé par le soleil. Sans doute la reproduction d’une toile célèbre… Tu t’extirpes du lit, t’approches du mur en quelques pas silencieux. Non, ce n’est que la photographie d’un coin de la vieille ville avec ses maisons aux toits percés de lucarnes. En arrière-plan s’élève un clocher. C’est une photo ancienne à en juger par les tonalités sépia d’une partie des bâtiments.
Tu jettes un coup d’œil vers le lit où le dormeur continue son ronron, toujours plongé dans le sommeil du juste. Il ne sait pas que le matin, voleur de nuit, est arrivé. Votre nuit… Il ne sait pas que vous êtes sortis de l’ombre complice. Que la lumière crue de cette journée d’automne soulignera bientôt, sans complaisance, chacun de vos traits.
Même lumière blanche sur la photo, au mur. Elle coule des toits en pente des maisons, se confond avec la clarté blême du ciel. Cette rue te dit quelque chose. Mais un étrange alignement d’édifices sombres, à droite, vient brouiller les repères. D’ailleurs, la photo se déploie bizarrement, débordant sur les côtés du cadre comme le faisaient, jadis, les films tournés en cinémascope, projetés sur des écrans trop étroits.
Le dormeur s’agite. Est-il enfin réveillé? Une pudeur soudaine t’incite à revenir sous les draps de peur que ton amant d’une nuit te surprenne toute nue, debout en face du lit. Tu lorgnes son pantalon jeté sur la chaise, la ceinture de cuir qui pend au dossier. Ton sac à main au fond duquel le portable, éteint depuis la veille, a dû enregistrer une bonne demi-douzaine de messages téléphoniques. Mieux vaudrait passer tout de suite à la salle de bain, ouvrir les robinets, faire couler l’eau à grand bruit pour masquer le son de ta voix dans l’appareil. Tenter de t’expliquer au bout du sans-fil. Lui donner signe de vie, enfin!
Mais il est encore tôt, huit heures frileuses palpitent sur l’écran du radio-réveil. Ton compagnon de lit se calme, s’enfouit sous les couvertures. Tu as encore le temps de prendre une douche, de bien choisir tes mots, de préparer la fable que tu serviras à Paul, avant d’appeler à la maison. En attendant, retour au clocher de la photo… Ce clocher est probablement celui de la basilique. Avec, en avant-plan, la rue Sainte-Anne. Et ces points noirs au-dessus des toits: des corneilles captées par l’objectif, au moment du déclic? Corneilles intemporelles dont les cris lointains semblent se mêler aux craillements de celles d’aujourd’hui… Mais qu’en est-il des mystérieuses façades à balcons qui surgissent en saillie sur la face droite de l’encadrement, ces longues balustrades soutenues par des piliers à colonnades qu’on croirait échappées tout droit de la Nouvelle-Orléans? D’ailleurs, une ligne d’arbres au feuillage brun, que tu n’as pas remarquée tout de suite, se dresse en relief au bas de la photo et tu t’avises en même temps que le clocher s’élève aussi hors champ, pointant candidement sa coupole dans la partie supérieure de l’encadrement. Quant à la croix qui devrait le terminer, elle s’élance carrément dans le vide. De quoi se sentir déphasée, éprouver un léger vertige. Est-ce le vin d’hier?
Le vin d’hier… Une vraie beuverie, cette fête de retrouvailles des anciens du collège! Une soirée qui ne promettait pourtant rien de palpitant et à laquelle tu avais décidé de te rendre in extremis, par désœuvrement, en te disant qu’après tout, tu regretterais de ne pas apparaître sur la photo de groupe, car tu as un goût immodéré pour les photos, même kitsch! Et puis, vous n’aviez pas de sortie prévue, ce soir-là, Paul et toi. D’ailleurs, il vous arrive de plus en plus rarement de sortir ensemble… D’un autre côté, cette réception organisée par les éléments les plus conformistes de la classe de l’époque, lesquels avaient signé le carton d’invitation, risquait d’être insipide, voire mortelle, mis à part le fait que tu tenterais de mettre un nom sur chacun des visages avec hésitation, sinon avec appréhension. Mis à part le fait que tu éprouverais peut-être, à la vue de l’un ou l’autre de tes anciens « beaux», un semblant d’émoi. Un tel au cheveu rare et malgré des poches prononcées sous les yeux aurait gardé, qui sait, une certaine acuité dans le regard, restée troublante… Un autre, affligé d’un empâtement déjà marqué à la taille ou d’un ventre habilement camouflé par les plis d’une chemise en lin, s’adresserait à toi d’une voix profonde, une voix dont la résonance réveillerait des vibrations au fond de ton plexus solaire. Et de toute façon, il y aurait de la bière, des apéros, du vin pour noyer ton ennui, ta tristesse, ton spleen et de la bouffe aussi, un repas livré par un des meilleurs traiteurs de la ville, justifiant le prix &