Stella Maris
118 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

118 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Description

Un avion décolle : à son bord, une grande violoniste et le plus célèbre boxeur du XX° siècle effectuent sans le savoir leur dernier voyage. Une adolescente soupire devant une conseillère d'orientation vite désemparée quand les réponses n'entrent pas dans les cases de son questionnaire. Une vieille dame rescapée de la canicule parle de son passé à une journaliste. Un homme trouve refuge sur une colonne abandonnée. Parfois cocasses, toujours émouvants, les situations et les personnages forment un kaléidoscope dont chaque fragment éclaire un pan de notre nature humaine.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 octobre 2009
Nombre de lectures 37
EAN13 9782296678019
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0500€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Stella Maris
Frédérique Marthouret
 
 
Stella Maris
 
 
Nouvelles
 
 
L'Harmattan
 
 
© L'Harmattan, 2009
5-7, rue de l'Ecole polytechnique, 75005 Paris
 
http://www.librairieharmattan.com
diffusion.harmattan@wanadoo.fr
harmattan1@wanadoo.fr
 
ISBN : 978-2-296-09059-0
EAN : 9782296090590
 
Fabrication numérique : Socprest, 2012
Ouvrage numérisé avec le soutien du Centre National du Livre
 
A Romain, juste dans la pièce d'à côté.
 
A celle, artisan à nulle autre pareille, qui m'apprit un jour ce
qu'est un jokari...
 
« Stella maris », ou le nom d'un hôtel au Mozambique, dans Le Rivage des murmures de Lidia Jorge. Il surplombe l'Océan Indien et réunit sur fond de guerre coloniale militaires et riches portugais venus s'étourdir dans le faste, sous les lambris d'une vie en trompe l'œil qui s'évertue à oublier la violence extérieure. De la terrasse majestueuse, quand il fait nuit, les hôtes éprouvent parfois, malgré la splendeur des étoiles, le malaise d'une présence sourde charriée par les flots comme autant d'ombres dont ils comprennent aux traces rougeoyantes du matin qu'elles sont les reliques des cadavres des noirs noyés le soir et vite enlevés avant le lever du jour pour qu'on ne les découvre jamais.
 
Le « Constellation »
 
 
U n silence religieux règne dans le cockpit. Trente-sept corps en attente se figent, le buste tendu. L'avion roule. Il fait le beau, prend tout son temps et un malin plaisir à titiller la patience des passagers avides d'une révélation qui tarde à venir. Le paon se pavane, tourne à gauche, à droite, pas peu fier des reflets rougeoyants qui rendent bien sur son dos de grand paresseux en acier. Il semble docile, à suivre les balises lumineuses qui lui imposent la sinueuse trajectoire avant l'arrêt complet. Les voyageurs savent qu'ils s'en remettent à une présence qui les dépasse et dont dépend leur sort. Cette leçon d'humilité, la fureur des turbines qui s'emballent d'un coup, remuant bientôt cent à l'heure dans les tripes et l'estomac, la pression tout en bloc sur les épaules, dans les oreilles, le bruit à l'état presque solide, la conscience exacerbée de n'être plus grand-chose mêlée à l'orgueil de quitter d'un moment à l'autre le bas monde, tout cela donne à cet instant de décollage une dimension esthétique. Soudain les choses deviennent sérieuses. L'avion décide d'un coup :
 
« Plus vite ! », puis « encore plus vite... Allez, encore plus... Maintenant fonce ! ».
 
Trente-sept corps de tôle élancent leur carcasse au-delà du raisonnable et regardent sous leurs pieds de feu l'asphalte qui s'affole, ils étendent leurs ailes et goûtent au vide, pointent vers le ciel leurs membres en délire, les mains jointes pour une prière qu'ils espèrent discrète. Trente-sept cœurs en apnée prennent de l'altitude et décrochent de la cage mesquine qui les tenait enfermés, cognent en tous sens, cherchent à se faire la malle, ils retombent sur leurs pattes et sautent et retombent et montent à nouveau, tout étourdis, pour trouver enfin la juste mesure des choses dans un dernier regard à la piste qui n'est déjà plus qu'un tortillard de goudron qui n'est déjà plus qu'une traînée de cendre qui n'est déjà plus qu'un ruban gris de guipure qui n'est déjà plus qu'un cheveu de vieille femme, cheveu poivre et sel que trente-sept mains reconnaissantes saluent d'un seul homme.
 
Superbe, le Constellation s'élève tandis que résonne dans les têtes des spectateurs restés au sol l'air du troisième homme, très à la mode en ce mois d'octobre 1949. Il est 21 heures.
 
Un homme au costume bleu marine s'est étiré de tout son long pour ôter sa veste de tweed. Délicatement pour ne pas déranger sa voisine qui tient l'étui d'un violon sur les genoux. Il regarde sa montre. Apparaissent d'élégants boutons de manchette qui éveillent un sourire attendri sur son visage mat. Le sourire d'un homme amoureux.
 
C'est au moins la dixième fois que je voyage sur cette ligne, mais j'ai toujours le poil qui se hérisse pareil quand il va pour s'élancer !
Moi, j'ai tellement l'habitude que ça ne me fait plus rien ! Entre mes tournées et les chambres d'hôtel, l'avion, c'est devenu mon repaire !
 
La jeune femme qui vient de parler est une musicienne d'exception, la plus grande violoniste de cette moitié de siècle, adulée, réclamée, admirée sur tous les continents, et pourtant, elle ne correspond pas à l'idée qu'il s'est toujours faite d'une virtuose. L'allure carrée, les épaules masculines, une voix disgracieuse, comment est-il dieu possible que cette virago puisse tirer de son instrument des sons si purs et délicats ? Il se reprend, un peu honteux de ce jugement, et pense à l'autre, son amour qui l'attend là-bas, une artiste aussi, mais différente, si fragile en apparence, un petit corps qui le foudroie dès qu'elle se met à chanter, sa reine la môme... Un coup d'œil sur ses mains courtes aux ongles rongés, ses avant-bras robustes, il se trouve presque ridicule à côté de cette femme si imposante qui semble n'éprouver aucune appréhension. Il regarde son costume, il porte toujours le même quand il prend l'avion, il pense à sa mère qui lui cousait dans sa culotte une médaille de l'enfant Jésus pour lui porter chance, ce qui lui faisait monter les larmes, tout petit : un mélange de nostalgie irrépressible, de gratitude et une sensation de présence étouffante. Puis il se ressaisit, étonné de se sentir d'un coup si vulnérable, un vrai gosse. La présence de cette femme y est pour quelque chose sûrement, mais il ne saurait dire pourquoi. Il est en partance vers New York pour combattre le taureau du Bronx et obtenir enfin sa revanche. Il va rejoindre celle qu'il aime. C'est tout ce qui doit compter.
 
Dans sa tête, par lancées, tandis qu'il cherche à se détendre, il se souvient :
 
Pour l'instant, il domine son adversaire. Splendide contre à l'estomac, vitesse d'exécution sans faille, une maîtrise du geste impressionnante. Regardez ce jeu de jambes, cette souplesse. Le grand, l'unique, notre champion apparaît plus en forme que jamais ! Il rayonne sur ce ring ! Quel art, quelle leçon ! Ce n'est plus de la boxe, c'est du jazz ! Oh oui ! Terrible crochet à la mâchoire, La Motta en difficulté, La Motta cloué sur place, c'est tout le Bronx qui doit trembler en ce moment même. Leur idole semble ne pas trouver la sortie. Mais qu'est-il en train d'arriver ? Le taureau se libère, il reprend des forces, c'est impressionnant ce qui est en train de se passer sous nos yeux. Le regard de cet homme, quelle détermination, quelle force de volonté ! Ça y est ! Il reprend toute sa place et parvient à contre-attaquer, c'est incroyable. C'est vraiment ce qui s'appelle renaître de ses cendres. Où va-t-il puiser l'énergie ? Vous assistez au combat du siècle. On n'a jamais vu ça ! Ce ne sont plus des hommes, ce sont de vrais dieux, c'est au-delà des mots ce qui arrive là mesdames et messieurs et... Oh mon dieu... Terrible offensive, les poings se déchaînent, il frappe ! Oh mon dieu, quel retournement, le voilà qui terrasse son adversaire... La force du destin... La force du destin, mesdames et messieurs... On se sent si petits ! C'est une catastrophe... Allez Marcel, il faut se relever à présent, allez, il faut se relever... Aïe aïe aïe, les événements se précipitent, l'arbitre commence le décompte : dix, neuf huit... Debout, champion, debout ! ... Cinq, quatre... Oh là là, c'est fini ! ... Je n'y crois pas, c'est fini ! Le taureau du Bronx vient de l'emporter. Les flashes des vautours. La descente aux enfers. Deux yeux se ferment, de dépit et de rage.
 
Le décollage s'est passé sans encombre. Le Constellation est à présent stabilisé, bien haut dans les airs, les passagers peuvent défaire leur ceinture, le voyage va durer plusieurs heures. Il peut rouvrir les yeux.
 
En tout cas, je vous remercie de m'avoir laissé poser avec votre violon devant les journalistes tout à l'heure

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents