Tarbouch, foulard et casquettes
148 pages
Français

Tarbouch, foulard et casquettes , livre ebook

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148 pages
Français

Description

Suite à des revers de fortune, Brahim et ses deux enfants sont secourus par un homme qui leur cède sa masure contre un loyer spirituel plutôt que matériel, équivalant à une poignée de prières quotidiennes. L'homme dit appartenir au monde des "prédécesseurs" tandis qu'eux seraient les "successeurs". Le retour programmé des "prédécesseurs" serait annoncé, mais où et quand, nul ne le sait. Pourtant, quelques décennies plus tard, le Printemps arabe va les faire sortir de leurs tombes...

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Informations

Publié par
Date de parution 01 mars 2013
Nombre de lectures 13
EAN13 9782296530942
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0600€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Mahmoud Turki Khedher
Tarbouch,  foulard  et casquettes Roman
Lettres du monde Arabe
Tarbouch, foulard et casquettes
Lettres du monde arabe Collection dirigée par Maguy Albet et Emmanuelle Moysan Dernière parutions Raja SAKKA,Un arbre attaché sur le dos, 2012. Naaghi REMACHE,Square des pas perdus, 2012. Bouchra Belhaj BOURARA,À la lisière de soi, 2012. Hocéïn FARAJ,Instants de voix, 2012. VLADIMIR,Le Nain amoureux, etc., Nouvelles, 2012. Sami AL NASRAWI,La récompense, 2012. Mokhtar SAKHRI,L’illusion d’un espoir romain, 2012. Ahcène AZZOUG,Le destin sans frontière, 2012. Gérard BEJJANI,La parenthèse, 2011. Abdelkader BENARAB,La bataille de Sétif, 2011. Mohamed ARHAB,Les Aumônières de Dieu, 2011.Ridha SMINE,Tout lecteur est un ennemi, 2011. Sami AL NASRAWI,Fissures dans les murailles de Bagdad, 2011. Fouzia OUKAZI,L'Âge de la Révélation,2011. Rachida NACIRI,Nanna ou… les racines, 2011. Abdelaaziz BEHRI,Moha en couleurs, couscous light et autres récits…, 2011. Myriam JEBBOR,Des histoires de grands, 2011. Moustapha BOUCHAREB,La troisième moitié de soi, 2011. Ahmed-Habib LARABA,L’Ange de feu, 2011. Mohamed DIOURI,Chroniques du quartier, 2011. Nadia BEDOREH FAR,Les aléas de ma destinée, 2010. Sami Al Nasrawi,L'autre rive, 2010. Lahsen BOUGDAL,La petite bonne de Casablanca, 2010. El Hassane AÏT MOH,Le Captif de Mabrouka,2010. Wajih RAYYAN,De Jordanie en Flandre. Ombres et lumières d'une vie ailleurs, 2010. Mustapha KHARMOUDI,La Saison des Figues, 2010. Haytam ANDALOUSSY,Le pain de l’amertume, 2010. Halima BEN HADDOU,L’Orgueil du père, 2010. Amir TAGELSIR,Le Parfum français, 2010. Ahmed ISMAÏLI,Dialogue au bout de la nuit, 2010.
Mahmoud Turki Khedher
Tarbouch, foulard et casquettes
© L’Harmattan, 2013 5-7, rue de l’Ecole-Polytechnique, 75005 Paris http://www.librairieharmattan.com diffusion.harmattan@wanadoo.fr harmattan1@wanadoo.fr ISBN : 978-2-336-00863-9 EAN : 9782336008639
Sur un nuage, colombe blanche sur l’épaule et chéchia 1 2 stamboulisur la tête, le Combattant suprême traversait la foule. Emporté par la houle du délire, touchant l’écume éclatante, se rafraîchissant d’allégresse tourbillonnante, il saluait la marée humaine. Tout un monde touché par la grâce, nageant dans un océan de bonheur, inhalant la brise de l’indépendance, jusqu’à en perdre les sens. Boubaker et son père Brahim avaient dérivé au gré du flux et du reflux d’une Méditerranée en liesse qui s’était répandue à travers les rues de la ville française jusqu’à atteindre l’arc de triomphe de la Médina royale. Là était la plage historique ! Ils avaient touché des doigts et des mains le rêve puis, béats et conquis, repus et saouls, ils étaient rentrés exténués à la nuit tombée. Ils avaient assisté au retour triomphal de Bourguiba, le fils prodigue, vécu un commencement, un début d’empire, une date, un premier jour d’histoire magique, unique, comme jamais plus le pays n’en connaîtrait. Brahim disait que Dieu lui avait offert de vivre une rencontre de prestige et de haute distinction, un moment de grandeur et d’harmonie, de communion et d’osmose, un instant hors du temps et une onde de choc avec l’ange de la quatrième dimen-sion. C’était à en oublier les ennuis du quotidien, à en effacer les chagrins, à inhumer tout ce qu’il endurait de la vie, la misère infinie d’une existence qui ne lui avait jamais souri. Brahim croyait en cette folle journée nationale, de gloire et de fierté retrouvées, en ce retour du guide légendaire. Après Dieu, le Combattant suprême ! Il était faiseur de miracles. La vie allait 1 D’Istanbul. 2 Habib Bourguiba, père de l’Indépendance.
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bientôt changer en bien, dans son horizontalité, dans sa verti-calité. Il était certain que le raïs allait tout chambouler, secouer les esprits et remanier de fond en comble une société figée dans ses structures et dans ses fondements. Il en avait la stature !
Sur cette terre, Brahim vivait l’enfer, ayant un mal fou à boucler les fins de mois. L’épicier du coin courrait derrière lui pour les impayés et le bailleur qui lui louait une chambre, n’était pas homme à repousser indéfiniment les échéances. Alors, la mort dans l’âme, il se décida à tout plaquer, à changer de vie et à aller voir du côté du cimetière s’il y avait une tombe de libre pour se caser et respirer l’air que les défunts n’utilisaient plus.
À vrai dire, il avait rencontré un homme portant un tarbouch qui le convainquit de changer de quartier et d’atmosphère. Il lui indiqua un endroit, à la périphérie de la ville où il pourrait faci-lement trouver un logement pour un loyer dérisoire. C’est ainsi qu’il se trouva à la lisière de l’immense cimetière de la capitale, dans un bidonville où les habitants avaient du mal à se situer : définitivement du côté des morts ou en sursis du côté des vivants. Dans cette Masse sombre, les plus démunis, les plus misérables, avaient sombré, bel et bien, corps et âme, n’y croyant plus, ne croyant plus.
Brahim, accompagné de ses deux enfants, Boubaker et Hamadi, fut encore plus surpris quand, arrivé au lieu indiqué, apparut au-devant de lui l’homme en tarbouch qui lui avait donné l’adresse de cet ultime refuge. Il lui souhaita la bienvenue, l’invi-tant à pénétrer dans sa petite masure. Elle n’était pas à vendre, tout simplement à occuper jusqu’à la fin des jours contre un loyer spirituel, plutôt que matériel, équivalent à une poignée de prières, à s’en acquitter régulièrement, en plus du précepte quotidien de l’Islam que nul musulman n’était censé ignorer, auquel personne ne pouvait se dérober.
Avant de partir et de céder les lieux, l’homme s’adressa au jeune Boubaker, lui disant qu’il l’avait choisi pour accomplir cette noble tâche et s’acquitter de ce dû. Puis, avant de disparaitre dans le cimetière, il se tourna vers les nouveaux locataires et leur
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3 lança un chaleureuxSalam aleïkoum ,qu’il appartenait ajoutant au monde des « prédécesseurs » et qu’eux, ils étaient les « successeurs ». Drôle de façon de retourner les choses ! N’étaient-ce pas les vivants qui, en pénétrant dans le monde du silence et du recueillement, s’adressaient aux âmes des disparus en ces termes solennels : « Que la paix soit avec vous, vous êtes nos devanciers et nous sommes ceux qui vous suivront » ?
Brahim, le père, était ravi. Un « prédécesseur » lui avait loué un abri, excluant tout argent, toute monnaie, moyennant un prix équivalent à quelques prières. Drôle de contrepartie ! Heureuse-ment qu’il y avait des défunts qui revenaient d’outre-tombe pour faire un geste de bonté et secourir les survivants. Paranormal, l’échange !
Comme un bonheur n’arrivait jamais seul, la foi se manifesta en lui. Dieu n’avait pas finalement oublié l’intermittent de la prière qu’il était, pas du tout un habitué des lieux de culte, consacrant beaucoup plus de temps aux lamentations qu’à la contemplation. Pris par l’émotion, il ne put se retenir. Il pleura de bonheur. Après les larmes, le temps était venu pour Brahim de prier jusqu’à la fin de sa vie. Il entraîna dans sa quête du pardon son fils âgé d’à peine dix ans. Boubaker, appelé, désigné même, à payer contre quelques prières l’occupation d’une masure, s’exé-cuta de bonne grâce. Un bail de dévotion avec un supplément d’invocations de Dieu et de prosternations devant l’Éternel !
Hamadi, l’aîné de quelques années de Boubaker, fut le seul à ne pas montrer un quelconque étonnement. Il savait. De ces hommes-là, ou plutôt de ces spectres-là en tarbouch, il en rencon-trait souvent quand il se nouait les synapses pour se projeter dans le monde de l’illumination, s’égarant au royaume des hallucina-tions. Cependant, il se sentit quand même un peu offensé de ne pas avoir été choisi par le « prédécesseur » pour remplir ce devoir, s’acquitter d’un surplus de piété. Il était surtout jaloux de Boubaker, ne ménageant guère son cadet, lui intimant des ordres, le corrigeant, lui reprochant de se livrer sans cesse à des péchés.
3 Que la paix soit avec vous.
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Anxieux, éprouvant du dégoût pour tout ce qui l’entourait, Hamadi se laissait aller jusqu’à perdre toute notion d’espace et de temps, basculant dans la sphère du délire, dans l’extra-sensoriel, dans le monde du néant. Goulu de plasma mystique, il remontait le temps jusqu’à accéder à l’époque révolue du Califat lumineux 4 et conquérant de Haroun el-Rachid , dont il était le fervent admirateur. Dans la peau d’un sujet de l’émir des croyants, il prêtait l’oreille à l’Islam authentique, se nourrissant de la pensée divine, devenant boulimique du hadith, de la Charia, de la voie la plus rigoriste. À l’âge de la puberté, il grimpait déjà sur la petite colline de Sidi-Belhassen. Le saint homme était enterré dans un mausolée, sur les hauteurs de la capitale, au-dessus des vivants, tout en haut de la pyramide des trépassés du célèbre cimetière du Djellaz. Hamadi y venait pour s’imprégner d’austérité et de don de soi. Il passait des heures à méditer jusqu’à ce que coulât sur ses joues et débordât de son cœur le trop-plein d’amour et de passion envers l’idole, le démiurge, le créateur du vivant. Son premier coup d’éclat, il le réalisa quand il fut appelé pour effectuer son service militaire. Dans la caserne où il avait été affecté, le général de brigade n’hésita pas, après deux mois d’intégration dans un bataillon d’infanterie, à signer un certificat d’invalidité qui rendit Hamadi à la vie civile. Réformé pour toujours ! L’indiscipline dans une garnison, ça se soigne, mais comment remédier au comportement d’un bidasse illuminé, qui à l’heure de la prière, se transformait en fidèle, obéissant à l’appel de Dieu plutôt qu’au garde-à-vous ? Le sergent-chef qui com-mandait l’entraînement, la cadence du pas et le rythme des exercices ne comprenait pas. Plusieurs fois, il avait failli étrangler Hamadi, lui sautant au cou pour tenter de lui faire avaler l’appel à l’insoumission. On était dans une caserne et la compagnie qu’il dirigeait était composée en majorité d’infidèles et non de bigots.
4  Cinquième calife abbasside (786-809). Il eut des échanges avec Charlemagne.
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Après la destitution du bey de Tunis et la proclamation de la République, soufflèrent sur la théologie les embruns de la laïcité. Cela heurta particulièrement les cheikhs formés à l’école 5 coranique et aux châtiments de lafelqa. Ils étaient allergiques à un air d’inspiration occidentale dont les fragrances délétères ris-quaient d’empester souk el-Aatarine et de profaner la belle et fière mosquée d’el-Zitouna. La marche en avant vers le progrès et le bien-être ainsi que les projections sur un futur moderne tournaient le dos aux mœurs et aux traditions ancrées depuis des 6 siècles sur la terre islamique d’el-Khadhra . Le raïs Bourguiba 7 s’attaquait auxfouquahas qui virent leur pouvoir considérable-ment amoindri, leur sphère d’influence réduite et leurs idées rétrogrades dénoncées. On cria au loup. L’identité arabo-musulmane était en danger ! La tournure que prenaient les événements était tout simplement inadmissible, intolérable. Révoltant ! Le père de la nation apparut comme un chef aux idées malsaines, éloigné des principes sécu-laires et communément admis. Le jour historique du retour où il apparut comme un justicier blanc était désormais bien loin. Il se faisait l’avocat du diable. Dans le grand Sud, dans la petite localité de Ghanouch écrasée par le silence du désert, un grand cheikh, défenseur de l’Islam et de la tradition, assisté de ses deux collaborateurs, discutait. Ils proféraient des menaces contre le chef de l’État, père de la nation, jugeant sa politique néfaste, particulièrement dangereuse. – Absurde… Mon Dieu ! – C’est cette Indépendance-là qu’il a ramenée dans ses bagages ! – On va lui rappeler qu’Allah est grand et que Mohamed est son prophète.
5  Châtiment corporel qui consiste à administrer des coups de bâton sur la plante des pieds. 6 La verte. Autre nom donné à la Tunisie. 7 Théologiens.
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