Taxi-blues
187 pages
Français

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Taxi-blues , livre ebook

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187 pages
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Description

Vincent, chirurgien, voit son destin basculer du jour au lendemain. Dans l'impasse d'un travail de deuil impossible, il débarque sur le continent africain plein de certitudes et de suffisance. "Oui, j'avais cru que ce dépaysement signerait ma guérison, (...) la distance ne vous éloigne pas du chagrin." Toujours en quête de l'improbable trouée de bleu dans le gris de son existence, il fera la rencontre fortuite de Léa dans un taxi-brousse.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 octobre 2007
Nombre de lectures 179
EAN13 9782336274171
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0700€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Taxi-blues

Nadine Prudhomme
Du même auteur
Tam - tam Sénégal, L’Harmattan, 2005.
© L’HARMATTAN, 2007
5-7, rue de l’École-Polytechnique ; 75005 Paris http://www.librairieharmattan.com harmattan1@wanadoo.fr diffusion.harmattan@wanadoo.fr
9782296041790
EAN : 9782296041790
Sommaire
Page de titre Page de Copyright Aux naufragés du Joola et à leurs familles, Dedicace 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8. 9. 10. 11. 12. 13. 14. 15. 16. Remerciements
Aux naufragés du Joola et à leurs familles,
A Christine, repose en paix, au large de la Casamance.

La vie ne va jamais aussi mal qu’on le craint, aussi bien qu’on le veut, aussi loin qu’on le souhaite. Elle va, elle vient. Parfois elle rampe, boueuse, avant de renaître avec des souliers neufs dans l’éteint de ses cendres. Et puis, un jour, des yeux insistants, de la lumière en paroles ou le goût de la bergamote font se dessiner sur nos lèvres un immense buisson de sourires.
Gilles JOBIDON
A Quentin, mon petit-fils.
1.
A Ziguinchor, la grève des chauffeurs de taxi est tombée ce matin sans préavis. Un ras le bol crié au gouvernement sénégalais pour l’état des routes cabossées, défoncées, menant jusqu’au Cap-Skirring. La Casamance avait payé un lourd tribu en vies humaines après toutes ces années de guérilla. L’insécurité faisait fuir les touristes attirés par cette région, appelée à juste titre le grenier du Sénégal. Petit à petit, les hôtels et campements, en bordure de mer, fermaient les uns après les autres à cause des rebelles qui n’hésitaient pas à débarquer sur les plages, en pleine nuit, afin de dévaliser les étrangers. Ils s’en prenaient ensuite de façon plus musclée aux populations des villages environnants. Il ne m’appartenait pas de prendre parti pour ce conflit, n’en saisissant pas toujours les tenants et les aboutissants un peu hermétiques aux yeux d’un occidental. Par contre, je comprenais le ras le bol de ces hommes et de ces femmes qui n’aspiraient qu’à une seule chose : vivre tranquillement avec leur famille.

Depuis deux ans, le calme était revenu. La paix allait être signée. A nouveau, les agences de voyage inscrivaient la Casamance et principalement Le Cap sur leurs dépliants pour des clients en mal de soleil et d’exotisme. Bien cachés dans leurs résidences climatisées avec piscine et commerces en tous genres pour ne pas être trop dépaysés, certains auraient aimé tout de même s’évader de leur ghetto, un brin aventuriers. Mais voilà ! Les quarante kilomètres qui séparaient Zig du Cap devenaient une sortie tape-cul, la voiture zigzaguant de droite à gauche entre les nids de poule et les trous plus gros que des baignoires. On se déroutait alors vers la piste, avec le plus souvent la crevaison comme rançon et des nuages de poussière à avaler, vers une destination qui n’en finissait pas. Ceux qui avaient essayé de s’africaniser un tant soit peu en utilisant les transports locaux, en dehors des quatre-quatre proposés à des tarifs prohibitifs, voire indécents, renonçaient à voyager. La grogne n’en finissait plus de monter. Des routes en bon état feraient rebondir le commerce et augmenter le chiffre d’affaires de tous ces hommes qui prenaient leur tour à la gare routière ou patientaient devant les hôtels en quête d’un client. La course négociée, suivant le nombre de kilomètres, pouvait nourrir toute une famille pendant quelques jours. A cela s’ajoutait la hausse du prix du carburant, exaspérant toute une profession officielle ou officieuse. Cette colère rentrée, ces doléances énoncées mais jamais entendues par les autorités, avaient mis à bout la patience de ceux dont le gagne-pain était de rouler. Toutes les routes furent donc bloquées pour quarante-huit heures ou plus, Inch Allah, empêchant tout trafic. Aucune destination ne serait desservie.

Je fus déconcerté par le calme qui régnait ce matin-là. Les taxis orange que l’on arrêtait dans les rues de Zig, d’un signe de la main, en tous lieux et à toutes heures, pour la modique somme de 400 CFA avaient rejoint leurs compagnons grévistes. Je sortis, la tête embrumée d’une nuit alcoolisée, enfumée et trop courte, pour prendre mon petit déjeuner. J’y avais mes habitudes. A quelques mètres de ma chambre, je m’asseyais sur un banc de bois en plein air, le long de la chaussée, au ras des pots d’échappement. Une femme servait, chaque matin, du nescafé et de l’eau chaude dans un verre qu’elle lavait entre deux clients. Ajoutez à cela quelques pierres de sucre, un morceau de baguette croustillante, un petit carré de beurre, le tout pour trois francs six sous, avec en prime les dernières nouvelles que commentait Ousmane, mon voisin.
- Si je comprends bien, personne ne va pouvoir m’amener à Elimkine. Je suis attendu à Karrabane. Puis, je dois me rendre à Oussouye et dans les villages environnants. On m’y attend pour les consultations.
- Ecoute toubib, tu ne trouveras aucune voiture pour t’y emmener. Celui qui prendrait la route s’exposerait aux foudres de ses collègues. Par contre, tu peux profiter de la pirogue qui remonte le fleuve Casamance. Je crois qu’elle part vers onze heures. Ils te déposeront sur l’île de Karrabane en cours de chemin. Compte trois à quatre heures pour t’y rendre. Tout dépend de son chargement. Je descends sur les quais. Je t’ accompagne si tu veux.
- Tu as raison, c’est la meilleure solution. Je vais chercher mon sac et je te suis.
Rangeant ma trousse de toilette dans la salle de bains, je me suis regardé machinalement dans la glace. J’ai eu conscience, à ce moment précis, du profond changement qui s’était opéré en moi tant sur le plan physique que psychologique. Au bout du compte, ma vie se résumait à ce mince bagage. Comment en étais-je arrivé à un tel dénuement ? Pourquoi occultais-je toutes les questions existentielles que j’aurais dû me poser légitimement ? Pourquoi, d’un seul coup, je vis ma gueule telle que le miroir me la renvoyait : marquée par la vie et le temps, légèrement bouffie par l’alcool, mais tellement plus humaine que deux ans auparavant? Débarqué sur le sol africain, plein de suffisance et de certitudes, péremptoire à l’excès, à l’image de celui qui arpentait les couloirs de sa clinique dont il était actionnaire bien sûr, blouse blanche impeccable, col relevé, à la commisération étudiée envers ses patients. Oui, ses patients ! Ne détenait-il pas dans son esprit, inconsciemment, le pouvoir de vie et de mort sur ceux qui le consultaient avec des pupilles dilatées tantôt par la peur, l’attente, l’espoir, la désespérance, la reconnaissance ? Ce panel d’émotions qui vous ébranle, en début de carrière, vite transformé en un cynisme froid pour oublier ce pourquoi vous êtes là : soigner, prendre les décisions en son âme et conscience dans l’intérêt de celui qui vient se confier à vous. Comment étais-je arrivé à un tel renoncement, à une telle médiocrité auraient dit certains, sans pour autant en être affecté outre mesure ?
Je m’assis sur le lit, la tête dans les mains. J’aurais aimé m’allonger, réfléchir à tout cela. Ma vie, en France, avait presque basculé du jour au lendemain.
Ousmane interrompit ma rêverie. J’en fus contrarié. Il me semblait que, tout à coup, je pouvais répondre à toutes ces questions. Qu’étais-je venu chercher ici ? Un sens à ma vie ? N’étais-je pas en train de la perdre en la mettant à mal par mes excès ? Inconsciemment, je me punissais de continuer à respirer.
Pourquoi cette culpabilité de poursuivre la route sans toi ? Comment t’expliquer ce manque d’envie et de vie ? J’ai si froid de l’intérieur ! Le temps qui passe ne semble en rien altérer ce marasme dans lequel j’ai peut-être une propension à me complaire. Je ne suis pas loin de le penser, tant je n’arrive plus à trouver quelques agréments à mon quotidien. J’ai signé un contrat de trois ans. Je ne sais pas si je vais pouvoir l’honorer. Je suis si fatigué.
- Vincent, tu viens ? Tu vas la rater cette pirogue.
- J’arrive. Pour une fois qu’un Sénégalais me demande de me presser, c’est le monde à l’envers !
Il prit mon sac sans que je ne lui demande rien, le temps de fermer à clé ma chambre au confort spartiate, mais située au bord de l’eau. J’y avais installé un hamac. Mon plaisir était de flâner, alangui, en buvant une bière Gazelle bien fraîche, le r

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