Temps de Toussaint
84 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Temps de Toussaint , livre ebook

-

84 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Description

Au bord, à bord d'une île bretonne ballottée dans la tempête d'automne, des humains meurent l'un après l'autre. Carole, femme de mer, quête là, dans le vent, les embruns et la pluie, un ami disparu. L'amarre qui relie ces disparitions entre elles se tresse et se tend au long du chemin hasardeux qui suit de l'une à l'autre l'ancienne navigatrice. Au gré de ses rencontres remonte le cours de son existence, et la silhouette de l'homme qu'elle cherche devient plus nette et plus proche...

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 octobre 2010
Nombre de lectures 12
EAN13 9782296705661
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0450€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

TEMPS DE TOUSSAINT
Benoît LUGAN


TEMPS DE TOUSSAINT


Roman
© L’HARMATTAN, 2010
5-7, rue de l’École-Polytechnique ; 75005 Paris
http://www.librairieharmattan.com
diffusion.harmattan@wanadoo.fr
harmattan1@wanadoo.fr
ISBN : 978-2-296-12681-7
EAN : 9782296126817

Fabrication numérique : Actissia Services, 2012
Je dois beaucoup, pour ne pas dire l’essentiel, à l’influence directe ou indirecte, attentive et affectueuse, de Suzanne, Annaïck, Gabrielle, Marcel, Claude et Bernard.
Ici ou ailleurs, qu’ils soient certains de mon amour et de ma gratitude profonds et éternels.
Paris, Toussaint 2007.
Un. Un papillon S’envole, Sur la fourmilière.
Accoudé au balcon entre deux hautes colonnes, il contemple la fumée hésitante de sa cigarette.
De la statue en gloire, son regard dérive sur les frondaisons feuillues des jardins, la flèche d’une église, l’eau glauque du fleuve.
La place ronronne en contrebas.
Les âmes pures choisissent-elles toujours un ciel clair pour s’évader ?
Il est entré la veille dans l’hôtel, a demandé une suite donnant sur l’extérieur et l’a payée en espèces.
Son sac posé sur la commode, il a ouvert les portes de l’armoire, effleuré les couvertures pliées, esquissé un pas de danse. Un chez soi.
Il s’est jeté sur le lit les bras en croix, puis en se retournant a saisi le téléphone et commandé un dîner de réveillon.
Il a passé en revue les chaînes de télévision sans s’arrêter sur aucune.
Lorsque deux miroirs sont face à face, leurs reflets se répondent à l’infini. Si le message semble découvert, une surprise nous entraîne plus loin dans l’écho de l’ombre.
A quoi bon cheminer sur ce sentier ? Je ne sais pas porter, je ne veux pas peser. Qui ne donne rien ne manquera pas. Je ne peux plus fuir, je ne veux pas être rattrapé. Quelle farce.
Il s’est endormi délicatement saoul.
Allongé sur les bancs écaillés d’une barque plate, il dérive sur un plan d’eau calme, poussé par un air essoufflé.
Un centimètre de liquide salé et trouble clapote au fond, sous son dos.
L’aviron inutile engagé dans sa dame de nage lui sert de repose-tête.
Au-dessus de lui planent des goélands paresseux et criards dans un ciel pommelé.
Soudain surgissent deux mains gigantesques de part et d’autre de l’embarcation, qui l’agrippent.
Son souffle est court mais muet, la lutte est ardente.
Il s’arrache à l’étreinte en laissant sa veste en pâture, se redresse et plonge.
Au matin donc, il porte un peignoir, la porte-fenêtre est grande ouverte. Des insectes sillonnent la place.
Sa cigarette se consume et la cendre s’incline.
La tasse fume dans l’air frais. Ses dents déchirent un croissant, une goutte de café glisse à gauche vers son menton.
Une miette, papillon sur la cuiller d’argent fané puis sur la nappe, sous une tulipe en révérence.
Passé dans la salle de bains, il ne regarde pas dans le miroir son corps long et pâle, qui pourrait lui donner des regrets.
Il se laisse couler en fermant les yeux, tête en arrière. Plus tard, inspecte ses orteils avec minutie. Asperge le sol négligemment en quittant la baignoire.
Un pantalon de velours brun et un pull-over confortable puis il ressort s’accouder à la balustrade. Le poste de télévision est resté en marche depuis son réveil.
Du vent.
Il enjambe le balcon, et murmure Adieu l’ami en chutant.
Sentinelle abattue sans sommations, il est tranquillement allongé sans vie sur le toit d’une camionnette.
Un filet de sang prend le chemin du café aux commissures de ses lèvres.
Les badauds s’attroupent, quelqu’un crie et le portier s’indigne.
Deux. Au pâle soleil Hésite, La tempête.
Il est une heure ce jeudi, et voici vos prévisions météorologiques. Une dépression centrée au Sud des îles voisines se dirige lentement vers nos côtes en se creusant.
Un flux de Sud doux et humide s’établit dans la journée sur la péninsule, avec des plafonds bas et des visibilités réduites par endroits.
Le vent se renforce dans la nuit en virant au Sud-ouest avec des précipitations plus importantes.
Demain, persistance de vents assez forts à forts et de pluies avec des températures plutôt douces, puis orientation du vent au Nord-Ouest et rafraîchissement dans la nuit.
De frêles gouttes troublent le pare-brise en écho à ces prédictions. Au sommet du pont, je devine l’île alanguie vers l’ouest.
En descente douce sous un ciel charbonneux, ma voiture amorce son atterrissage sur une langue de terre brune et verte entourée d’eau grise.
Les pilotes qui voient le sol en s’extrayant des nuages préviennent leur équipage pour le rassurer.
Je n’ai personne à rassurer.
J’aime toujours approcher un nouveau rivage.
On pressent à l’aube une côte encore dissimulée, en évitant les barques de pêche immobiles sur l’eau sombre. L’horizon se relève en montagnes puis se hérisse de toits de brique ou d’ardoise.
La fadeur du port remplace le large cru, et le piaillement des sternes éteint le craquement des bordés. Le matin frais apporte la promesse de rencontres au bord de mer.
Ici, tuiles et murs blancs en bouquets épars, pins et landes, l’île que je découvre aurait une apparence méridionale, si le ciel était moins pesant.
J’ouvre la fenêtre, on sent les algues et ma fumée s’envole. Sous l’arche centrale passe en direction du port une petite embarcation de pêche.
Seule à bord, la barre franche serrée entre les jambes, une femme love une aussière.
Elle ne quitte pas des yeux un repère de cap sur l’horizon, sauf parfois pour balayer du regard la mer autour d’elle et de son bateau.
Elle a aussi une cigarette calée au coin des lèvres.
Le moteur scande son chant d’effort. Un jet saccadé d’eau et de fumée, sur bâbord, témoigne de sa santé.
Chaque objet à bord est saisi, le petit tape-cul est ferlé. Le clapot inflige à la coque de rudes secousses. Une branche de goémon humide reste accrochée à l’orée des dalots du pont glissant.
Les couleurs éclatent, jaune pour le ciré, rouge pour la coque, vert et blanc pour les panneaux et le rouf.
Le vent mauvais peut arriver, le filet peut s’engager, une déferlante peut exploser, la barre ou le moteur peuvent se bloquer, elle est prête.
Comme chaque jour en mer, comme tous ses compagnons de marée, comme nous tous, elle joue et cherche sa vie, seule.
Les mots de Claude.
S’apprivoiser, apprendre à s’employer, à présenter et exploiter ses facultés utiles, à dissimuler et réduire ses faces sombres, pour en tirer le meilleur parti.
Portons-nous un message, a-t-il un rédacteur ?
Je ne serais pas surpris si l’on démontrait que le code qui nous conduit peut nous précéder et nous survivre.
Mais si c’était le cas, si nous sommes à la fois notre propre sillage et notre propre annonce, pourquoi vouloir créer malgré tout, et inscrire notre existence à force dans l’écoulement du temps ?
Car nous créons avec toute l’énergie dont nous disposons, suspendus dans cette forme terrestre, selon nos capacités et en fonction des circonstances.
Est-ce pour graver au mieux et à jamais l’alchimie étrange qui nous a composés, pour témoigner, émouvoir les autres ?
Il n’y a que deux sortes d’artistes, les vivants et les morts.
Le bateau s’est éloigné et je relance mon véhicule.
Longer la plage, traverser un premier village et un petit bois. Quelques vignes, on voit les bâtiments hôteliers au bord de l’eau, encore à droite jusqu’à l’impasse.
L’entrée de lambris sent la résine. Des cosmétiques sont exposés entre les deux portes du sas. L’hôtesse est une brioche châtain.
On me conduit jusqu’à ma chambre.
En sortant, nous croisons une grande femme mince en tenue de mer usagée.
Tâches de peinture et accrocs au pantalon, œil bleu et visage éprouvé.
Peut-être le patron pêcheur qui passait tout à l’heure sous le pont ?
Il bruine de plus en plus épais, l’eau colle aux cheveux.
Dans un échange rapide, j’apprends que Louise - c’était bien elle - livre chaque jour l’établissement en poissons frais et aide à l’entretien des bains de soin. Elle a pris un peu de sole.
La réceptionniste s’appelle Ludivine.
L’ensemble est bâti sous quelques pins parasols, fonctionnel et propre. Ma fenêtre donne sur un bras d’océan.
Au loin les bancs de vase découverts par la marée brillent sous la pluie.
La mer de plomb fondu ondule à peine, une compagnie de goélands en sieste se laisse dériver au gré de la houle.
Un couple déambule sur le sable en étirant la trace hésitante de ses pas, semblant ignorer le crachin.
Le front appuyé au carreau, je laisse revenir à travers la fumée ces temps vécus ici ou ailleurs, à filer au ras de flots souvent rudes et dangereux, assise au fond de carlingues agitées.
Défi envers une famille voyageuse qui n’imaginait pourtant pas qu’une femme puisse être autre chose qu’une mère au foyer.
Mais qui m’avait donné très jeune la planète à découvrir, au fil de ses amours sinueuses. Il m’en reste tant de parfums.
Nous sommes assises toutes deux au pied du tronc, sous le talus de la piste. L’éventail des palmes étend son ombre à peine rafraîchie sur la moiteur qui nous accable.
Le village bruisse toujours dans le lointain, sonnailles, beuglements et meuglements, nuages de poussière couleur brique.
Elle me tient contre ses jupes, la respiration lui manque encore, elle a chaud.
Le sentier file vers l’océan qui gronde derrière les cocotiers. Leurs cimes ébouriffées marquent le trait de côte.
Enfin elle se relève et secoue son boubou coloré, je cours déjà devant elle, escaladant les obstacles, bondissant d’un talus à l’autre en riant.
Cactées et broussailles poussiéreuses, arbustes secs composent une végétation rare sur le sol rouge.
Vient l’espace de la cocoteraie, plus fraîche et déjà sablonneuse, au sol jonché de noix éventrées et de branches séchées. Quelques barques aux robes délavées y sont couchées.
Les talus s’écartent enfin et l’horizon ouvre grand ses bras d’écume. La plage s’étend de part et d’autre aussi loin que porte le regard dans la vapeur des embruns, luisant au

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents