Toiles d araignée
166 pages
Français

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Toiles d'araignée , livre ebook

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Description

Roman réaliste inspiré par l'expérience carcérale de l'auteur. Ibrahima Ly dénonce certaines pratiques traditionnelles (le mariage forcé, etc.) et les régimes militaires au pouvoir en Afrique noire (au Mali, en particulier) dans les années 1970.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 janvier 1985
Nombre de lectures 57
EAN13 9782296736986
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0800€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

TOILES D'ARAIGNÉES
 
 
 
 
IBRAHIMA LY
 
 
 
 
TOILES
D'ARAIGNÉES
Premier prix 1985
de la Fondation Senghor
 
 
 
 
 
 
 
 
Éditions L'Harmattan
7, rue de l'Ecole Polytechnique
75005 Paris
 
 
 
 
© L'Harmattan, 1982
ISBN : 2·85802-233-X
ISSN : 0223-9930
Réédition 1985
 
 
 
A ma femme
ce cœur piétiné
et froissé
mais qui sait toujours saigner
 
 
 
I
 
 
La ville de S... est au cœur du Sahel. Elle est connue dans tout le pays. N'est-elle pas le véritable grenier du Béléya, immense territoire continental, carrefour de civilisations nègres, berbères et arabes, berceau d'empires qui font la fierté de l'homme noir ? S... est une ville à part. Les pluies y sont certes peu abondantes mais les terres, noires de sang, sont extraordinairement fertiles. Le Blanc y a conduit le fleuve comme on conduit au champ un bœuf de labour. Véritable pays de cocagne, tout pousse à merveille dans la région. Les champs de riz, ourlet vert sur le manteau roux du Sahel, s'étendent à perte de vue. Le coton, quand il éclot, transforme la contrée en une mer blanche qu'un souffle léger fait onduler voluptueusement. La canne à sucre pousse drue et alimente de nombreuses usines. La boulbène occupe de vastes étendues où le millet est roi. Manguiers, bananiers et goyaviers produisent des fruits succulents. De novembre à février, l'irrigation permet des cultures potagères : de gros oignons auxquels le grand nombre d'habits qu'ils portent n'apporte guère un surcroît de respectabilité ; la pomme de terre et la patate douce, la salade et les choux, engoncés dans leur pomme, l'arachide et le haricot blanc cultivés pour leurs graines et leurs feuilles qui sont, en effet, un excellent fourrage.
La ville est un beau bijou serré dans un écrin vert, bordé d'un fin fil d'argent. Tout voyageur qui l'aperçoit pour la première fois est saisi de doute et pense à un mirage. Il ne peut croire à ce paradis, alors que, tout autour, il ne voit que baobabs nus, tels des arbres à l'envers, épineux, rabougris, menant sans cesse leur combat courageux contre le soleil écrasant, euphorbes lactescentes aux feuilles efflorescentes, larges comme la main d'un adulte, sol latéritique, désolé et craquelé, rappelant étrangement les talons de nos braves paysans. A l'approche de la ville une fraîcheur enivrante l'envahit comme pour lui souhaiter la bienvenue. Il voit brusquement des rôniers, tête haute, stipes droits, impeccablement alignés. Il ne peut alors résister à l'idée d'une haie d'honneur placée là pour l'accueillir. Un peu plus loin, il aperçoit d'énormes caïlcédrats pleins de noblesse, bougeant à peine dans leur robe gracieuse, toujours verte.
A ce visiteur fortuné, la ville se présente comme une belle dame, celle-là même que nos vieilles nous décrivent dans les contes qui exaltent la beauté, la générosité, l'enthousiasme et le courage. Une dame au regard d'eau de canal, aux cils de roseaux, à la chevelure de frondaisons des caïlcédrats géants. Les reflets des rayons solaires sur ce regard lui parviennent comme des clignements d'yeux d'une houri aguicheuse. Il se sent ragaillardi, remis des fatigues d'une longue route poudreuse, ondulée comme une feuille de tôle, dans un « Vingt-deux » ( 1 ) toussotant dont les sièges ont été remplacés par des bancs, pour transporter le maximum de passagers. Il oublie vite les descentes fréquentes pour pousser le véhicule poussif, à bout de force, les innombrables tracasseries des flics et des gendarmes qu'il a fallu inlassablement soudoyer.
 
(1). Camionnette Renault de vingt-deux places, servant au transport de voyageurs.
 
Quelle fatigue et quel souci résisteraient au contact d'une femme qui paraît aussi belle, aussi douce et accorte ? Et pourtant grande est sa déception quand il pénètre dans la ville. Il réalise vite que la belle dame, dont le fard fait tousser, est tout à fait décatie. Les termitières sont comme des verrues sur une peau aussi ridée que le derrière d'une tortue. Les drains et les arroseurs, jamais curés, envahis de fanes et de spirogyres filandreuses sont un peu la chassie qui coule d'yeux qui furent assurément beaux. Les rues sont poussiéreuses, tourmentées de fondrières et de puits perdus non couverts, aux eaux vannes puantes et verdâtres. Il faut garder le milieu de la rue au risque de marcher sur de petits tas de fèces, déposés le long des murs par des enfants trop petits pour se tenir accroupis au-dessus des fosses d'aisance. Un drain large d'une dizaine de pas, jamais entretenu et pareil à un gros intestin éventré, traverse la ville sur toute sa longueur. C'est un véritable dépotoir où grands et petits viennent se soulager et où croissent des nénuphars toujours engourdis - la tête paresseusement couchée sur cette sanie - et des roseaux vert foncé exhibant hardiment leurs sexes, en forme de double épi. L'eau corrompue où dorment toutes sortes de fièvres, l'hépatite virale et la bilharziose, exhale une odeur pestilentielle. Des gaz s'en échappent continuellement faisant apparaître à la surface verdâtre des bulles que les rais du soleil ne parviennent pas à égayer. Les coassements des crapauds sont entrecoupés par les « pssi, pssi » des bulles de gaz qui crèvent. S... est comme une belle femme piétinée par la vie, comme toutes les femmes de chez nous.
La ville « indigène » est bien lotie. Les rues larges se coupent à angle droit. Les maisons en pise sont malheureusement très étroites, bâties sans aucune recherche, avec une cour intérieure insignifiante, nue comme le fessier d'un hamadryas, partagée entre les latrines, le puits et un hangar de fortune pour les moutons occupés à bêler, à uriner, toujours abondamment, ou à se frotter contre le mur. Les gosses ventripotents et nus, avalant leur morve quand elle s'aventure dans leur bouche, trouvent toujours à s'occuper, grâce à une remarquable ingéniosité. Les adultes, des femmes surtout, veillent aux plis de leurs habits et déambulent dans les rues s'interpellant incessamment aux fins de faire remarquer leurs toilettes.
Les petits ponts sur les caniveaux sont tous affaissés, pratiquement assis par terre, jambes écartées, comme hébétés, curieux d'être là à l'orée du désert. Ne voyant l'eau que rarement, ils se refusent ainsi à la laisser passer. Les plus malins, très peu nombreux certes, restent debout, mais leur dessous regorgent d'eau, sale il est vrai, encombrés, envahis qu'ils sont de toutes sortes d'ordures. Dans le Sahel, toute eau ne vaut-elle pas plus que son pesant de diamant ?
On recherche en vain les pionniers qui ont transformé la nature tout autour, à des dizaines de kilomètres. Aucune rue, aucune place ne perpétue la mémoire d'ingénieurs entreprenants et savants dont l'œuvre porte témoignage du génie de l'homme, et pourrait susciter des vocations fécondes.
La partie de la ville qui était réservée aux colonisateurs, et qui abrite à présent les cadres supérieurs, est bien ombragée. Les frondaisons d'arbres géants cachent des villas à l'entretien douteux. Des bougainvilliers têtus sont les seuls vestiges d'un temps révolu, celui où le maître, avec un goût réel, cachait dans de la soie une main tout aussi féroce.
Les hommes sont tristes, avachis, fourbus par un combat sans fin contre toutes sortes de parasites. Aucun rameau ne retient les rayons solaires qui tombent sur la tête comme des gourdins, amortis fort heureusement par les cheveux enroulés en ressorts souples et de grande efficacité. A midi, il fait très chaud, quelle que soit la saison. Le soleil règne en véritable despote. La peau, les paupières et les narines sont chauffées à blanc. Les ombres effrayées se cachent sous les pieds. Les chiens efflanqués recherchent l'ombre et la fraîcheur. Ils se couchent près des canaris, haletants, la langue pendante. Des chèvres naines, hideuses comme de vieilles femmes barbues, fouillent de leur groin les vieux mortiers dans lesquels pourrissent des rogatons. Les ânes résistent admirablement. Ils braient ou s'ébrouent voluptueusement dans la poussière, se battant à coups de dents et de ruades, ou traversent la rue nonchalamment avec un rien de morgue, portant allègrement leur croix, à ces heur

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