Tout petit parmi les hommes
214 pages
Français

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Tout petit parmi les hommes , livre ebook

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214 pages
Français

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Description

Les nouvelles s'ancrent dans plusieurs pays d'Europe. Que les récits soient directement liés à l'histoire récente d'un pays ou non, la notion de voyage est au coeur de chacun, au sens littéral ou métaphorique. D'une nouvelle à l'autre, les atmosphères peuvent être nostalgiques, tendues où la violence est tapie dans chaque geste, oniriques ou ironiques.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 avril 2010
Nombre de lectures 33
EAN13 9782296694477
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0850€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Tout petit parmi les hommes
 
Adrien Granach
 
 
 
Tout petit parmi les hommes
 
Nouvelles
 
 
 
 
 
L’Harmattan
 
 
 
© L’Harmattan, 2010
5-7, rue de l’Ecole polytechnique, 75005 Paris
 
Fabrication numérique : Socprest, 2012
Ouvrage numérisé avec le soutien du Centre National du Livre
 
http://www.librairieharmattan.com
diffusion.harmattan@wanadoo.fr
harmattan1@wanadoo.fr
 
ISBN : 978-2-296-11197-4
EAN : 9782296111974
 
Sœur apocryphe
 
 
Dans un jardin public, deux enfants couraient pour aller se planter devant le manège. Le plus petit des garçons se retourna pour montrer à ses parents qui venaient de les rejoindre la voiture dans laquelle il voulait monter, tandis que son frère, plus grand, le toisa d’un regard condescendant car lui avait choisi la nacelle, la seule chose qui méritait un intérêt quelconque sur ce manège où tournaient des cris d’enfants. Non loin, au début d’une allée, il y avait une statue en bronze d’un cavalier des guerres napoléoniennes, dont le cheval se cabrait comme refusant l’obstacle, tandis que les pigeons venaient se poser sur le sabre que le militaire brandissait opiniâtrement, avant de repartir. Au bout de l’allée, une fontaine subissait les assauts des mains qui s’y plongeaient pour saisir un peu de fraîcheur en ce dimanche printanier. Une jeune femme essuya une de ses sandales, elle se devait d'être soignée. En passant près d’un bâtiment en pierre blanche aux allures de palais suranné que l’on pouvait visiter, alors que la femme qui l’accompagnait était partie acheter deux glaces, la jeune femme avait vu son visage rond aux lèvres épaisses et aux sourcils qu’elle épilait, ce visage coiffé d’une chevelure brune. Elle détourna la tête pour apercevoir la femme arriver, souriante, et qui allait bientôt lui tendre le cornet de glace. Elles échangèrent quelques mots mais la jeune femme contracta ses mâchoires. La femme posa une main sur son épaule tout en lui glissant quelques mots réconfortants. Merci Milena ! La jeune femme avait dit cela sèchement. Le ciel lui parut étincelant ici, différent du ciel de sa rue, de la ville où elle vivait et travaillait, il n’y avait pas cette infinie grisaille, sillonnant chaque visage, nébulosité ravinant les discussions, les gestes et les mots. Elle retrouva cet état flegmatique qui emplissait ses soirées lorsqu’elle se promenait dans des jardins publics. Elle y rencontrait des vieilles dames, des femmes qui vivaient dans les parcs en cette saison ou sous les porches. Elle avait connu une vieille, assise entre ses deux cabas. Leurs premières conversations furent pénibles car cette femme n’avait plus l’habitude de parler. Chaque parole pouvait être une agression, donnant l’impression qu’elle allait se crevasser en un sanglot fatal. Pourtant, la jeune femme était arrivée à pouvoir échanger avec elle.
Elle jeta le reste de sa glace, se leva pour faire quelques pas lorsqu’elle l’aperçut se diriger vers la buvette. Bien qu’il soit entouré par deux adultes d’une quarantaine d’années elle l’aurait reconnu, elle le savait, malgré l’accoutrement qu’il portait aujourd’hui. Si dans un premier temps elle fut contente de l’avoir reconnu, se réjouissant du fait de pouvoir lui parler, elle fut aussitôt chevillée par une profonde anxiété, ses muscles comme marbre, elle ne put faire un pas. Milena vint devant elle pour obturer son champ de vision, puis elle lui prit la main, en l’interpellant plusieurs fois par son prénom, Irena, prénom qui n’était pas le sien mais celui qu’on lui avait attribué dans l’espèce d’asile pour enfants où la jeune femme avait séjourné un temps avant d’être envoyée dans cette fabrique de cosmétiques pour travailler à la chaîne avec des femmes qui se targuaient de ne pas avoir manqué un seul jour de travail, 10 heures par jour, sans un pli dans leur existence. Elle vissait des bouchons qui teignaient ses mains à longueur de journée. La femme se redressa, attendant qu’elle fasse le premier pas. Agnieszka ! Agnieszka, c’est ça mon prénom. Et lui c’est Jacek. Le couple et l’adolescent s’installèrent à une table à la terrasse de la buvette, située non loin du manège. Il était là, ombragé par les arbres. Le couple parlait au garçon et lui souriait même, détendu, tout à fait à l’aise. Ils avaient déjà commandé lorsqu’Agnieszka et Milena arrivèrent. Avant de s’asseoir, Milena fit les présentations en français, à ce couple et au garçon qui sembla surpris et amusé, évaluant le corps de cette jeune femme. Il se cala dans la chaise en plastique de ce mobilier de jardin, échangeant poliment quelques mots avec la femme.
Jacek !
Après avoir jeté son prénom, en faisant attention au ton qu’elle employait, Agnieszka, les coudes sur la table, avança sa main vers le garçon. Réticent, il lui serra mollement la main. Elle fut attristée par son attitude. Milena échangea avec les parents du jeune homme quelques mots sur le temps extraordinairement beau et chaud pour la saison, pour les distraire. L’homme sembla loin comme perdu parmi les pliures de son costume en soie, la femme emplit sa robe jaune de cotonnade dont les coutures étaient tendues. Agnieszka ne voulut pas rester à le fixer, ses prunelles regardèrent vers le manège. Qu’il est beau ! Quel bel homme il sera ! Peut-être que si elle l’avait rencontré dans un jardin public, qu’elle se serait approchée de lui. Agnieszka se tourna vers Milena pour qu’elle traduise le fait qu’elle remercie les parents d’être venus ainsi que Jacek.
Julien, il s’appelle Julien et non Jachièque.
La mère qui avait presque interrompu Milena avait dit cela avec douceur, ne parlant pas trop vite, en insistant bien sur certaines intonations. Agnieszka remarqua tout de suite que Jacek s’impatientait, se demandant pourquoi il était venu perdre son temps devant une jeune femme venue d’un pays qu’il ne connaissait pas. De son côté, il ressentit une forme de fierté, car cette mocheté était venue de loin uniquement pour lui. Les deux adultes l’accompagnant se tenaient légèrement en retrait, bienveillants, prêts à le protéger de cette jeune hirsute. Sur le sentier de terre, aux lézardes d’eau, dans ce paysage sans soleil, ils arrivaient dans un hameau entouré de champs de céréales. Ils avaient trouvé refuge dans une grange, en se glissant entre deux planches ajourées, pour passer la nuit dans le foin, bien au chaud. Du haut de ses 6 ans, Jacek lui avait posé des questions sur leurs parents.
Qu’est-ce que j’en sais ? Fous-moi la paix avec ça.
Mais tu les as vus toi ?
Non je te dis ? Dors ! Demain j’irai voir les fermiers pour
voir si je peux travailler ici.
Moi je veux travailler avec toi.
Agnieszka ne pouvait s’empêcher de sourire. Mais elle reconnaissait qu’il était fort pour son âge. Dans la nuit, elle s’était levée pour observer le paysage, le vent frôlait les cimes des arbres, courbait les épis. Comme les moissons allaient avoir lieu, ils auraient sûrement besoin de mains.
Il y avait une fenêtre assez basse, avec un bac à fleurs taillé dans la pierre, puis la porte d’entrée. Elle frappa timidement. Au bout d’un moment elle perçut le raclement des pieds sur le plancher, une femme entrouvrit et la toisa de ses yeux bleu-vert perdus dans une nasse de rides. Essuyant ses mains sur son tablier elle ouvrit la porte en grand tout en lui faisant signe d’avancer. L’intérieur était sombre, la table occupait tout l’espace avec au bout une silhouette d’homme, le corps voûté vers son assiette. La porte se referma puis la femme regagna la cuisinière sur laquelle reposaient des casseroles au cul noirci. Dès cet instant cette femme aux doigts déformés, aux lèvres couvertes de fissures, ne devait plus se retourner. L’homme se leva, observa longuement Agnieszka, avant de venir vers elle et de lui donner une tranche de pain et un bout de saucisson. Il passa derrière elle pour aller prendre sa veste. Elle se pressa pour dire qu’elle était avec son petit frère et qu’il pouvait travailler, mais qu’ils devaient rester ensemble. Sans se retourner l’homme ouvrit la porte et lui fit un signe de la main. Gardant le pain et le bout de saucisson contre elle, Agnieszka le suivit. Lorsqu’ils arrivèrent près de la grange elle appela son frère. Un temps sur ses gardes, il rejoignit vite sa sœur. Ses petites mains étreignirent le pain que sa sœur lui donna. Ils montèrent dans la remorque qui était derrière le tracteur, continuant à manger.
Agnieszka fixant Jacek tenta quelques mots sur l’été où ils ramassèrent les bottes de paille pour les entasser dans une grande remorque. Elle revit son petit torse où déjà se profilaient des muscles, sa mèche brune collée à son front et l’éclat de so

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