Tyrannicide
30 pages
Français

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Tyrannicide , livre ebook

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30 pages
Français

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Description

" A bien y regarder, on retrouve dans ces pages une étourdissante réfl exion sur le roman dans le roman. Sans compter que le décor et les personnages en font une histoire haute en couleur et assez palpitante, à mon sens. Je suis vraiment navré que vous n'ayez pas perçu son potentiel cinématographique. Navré pour vous, j'entends. Vous manquez drôlement de fl air, Monsieur Sollers. "





Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 17 octobre 2013
Nombre de lectures 8
EAN13 9782841116942
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0052€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Collection conçue et dirigée par Claire Debru
Quand tout a été dit sans qu’il soit possible de tourner la page, écrire à l’autre devient la seule issue. Mais passer à l’acte est risqué. Ainsi, après avoir rédigé sa Lettre au père, Kafka avait préféré la ranger dans un tiroir.
Ecrire une lettre, une seule, c’est s’offrir le point final, s’affranchir d’une vieille histoire.
La collection « Les Affranchis » fait donc cette demande à ses auteurs : « Ecrivez la lettre que vous n’avez jamais écrite. »
L’auteur
A vingt-deux ans, Giulio Minghini quittait Ferrare et l’Italie pour Paris, afin de mener à terme ses études sur le situationnisme. Son goût pour les objets littéraires insolites, les écrivains marginaux, les avant-gardes contrariées, lui donne une telle maîtrise du français qu’il écrit Fake (Allia) dans sa langue d’adoption. Coup d’essai et coup de maître : cette fable désopilante sur la séduction électronique rencontre le succès critique et public. Traducteur de Crevel, Simenon, Mac Orlan, lecteur insatiable, il bâtit une œuvre à placer sous le signe de l’art du détournement, dans l’étonnante poupée russe des relations humaines où il sait si bien reconnaître l’éternelle comédie.
Giulio Minghini
TYRANNICIDE
© NiL éditions, Paris, 2013
Conception graphique : Joël Renaudat / Éditions Robert Laff ont
EAN 978-2-84111-694-2
ISSN 21111-0638
Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo
Pour Vana
A l’attention de Philippe Sollers
Editions Gallimard
5, rue Sébastien-Bottin 75007 Paris

Monsieur,
 
Vous avez enfin eu l’amabilité (j’ignore si le mot est bien choisi) de répondre par un billet de votre main à mon sixième envoi de manuscrit. Il n’était pas trop tôt, ai-je envie de dire. A votre mot, comme je vous l’avais demandé à maintes reprises, vous avez joint le rapport de lecture de l’un des sbires de Gallimard – j’entends par là l’un de vos lecteurs (des étudiants en lettres payés au lance-pierre, bien sûr). Je profite de l’occasion pour vous remercier également de cela. Mais permettez-moi d’entrer tout de suite dans le vif du sujet – ou de la controverse, comme il vous plaira peut-être de la considérer. Depuis ce lointain mois de novembre 1994, quand pour la première fois j’osai vaincre ma timidité (timidité qu’une si honorable et respectée maison d’édition inévitablement impose) et vous envoyer la première version de Tyrannicide , je caresse le rêve d’être publié dans votre collection « L’Infini ». J’avais alors quinze ans de moins et j’étais destiné à figurer dans votre catalogue en tant que « jeune promesse de la littérature française contemporaine ». Je n’ai pas de doute sur le succès que mon roman aurait pu rencontrer en France et, pourquoi pas, à l’étranger. Certes, mon éloignement de la capitale et de ses cercles mondains a dû jouer en ma défaveur. Mais, cher Philippe Sollers, cela ne peut suffire à expliquer ma situation éditoriale – je me refuse à le croire. A l’époque, vous n’avez pas eu le temps, ou l’envie, de lire cette première version de mon roman, et aujourd’hui, hélas, l’adjectif jeune serait probablement déplacé. Ce fut une belle occasion manquée, pour vous en votre qualité d’éditeur, comme pour moi, espoir contrarié des lettres de notre pays. Je vous l’accorde : une éducation sentimentale de neuf cent trente-quatre pages risque de décourager le lecteur, surtout si elle détaille – dans une prose que je qualifierais d’un « classicisme baroque », et qui représente, à mon humble avis, la réfutation stylistique des grands maîtres français du vingtième siècle – les déboires d’un provincial aux prises avec une mère mutique et autoritaire (qui le maltraite depuis son enfance), et amouraché d’une charcutière nymphomane (N., sa maîtresse). Un petit carton pré-imprimé, triste comme une giboulée de mars, avait accompagné le retour de mon roman au bercail. Les pages étaient aussi immaculées qu’au moment de l’envoi, et je n’avais remarqué aucun signe de manipulation (pas de feuille cornée ou soulignée, pas même une tache de café). Par la suite, et jusqu’au sixième et dernier envoi, j’avais pris soin de poser un fil de colle sur les tranches du manuscrit. Un piège élémentaire, vieux comme le monde, si je puis m’exprimer ainsi, dans lequel vous êtes tombés comme des gamins, vous tous, toute la bande de la rue Sébastien-Bottin ! C’était la preuve irréfutable que le livre n’avait même pas été ouvert ! J’en ai bien rigolé (jaune). A quoi bon, donc, joindre cette réponse toute faite et parfaitement hypocrite : « Nous avons bien reçu votre projet. Nous regrettons cependant de ne pouvoir le publier car il ne correspond pas aux critères de notre politique éditoriale. Nous vous souhaitons meilleure chance auprès d’un autre éditeur. » Vous avez des regrets ? Vous avez bien raison ! Je pense que vous avez franchement manqué de discernement. Savez-vous que ce même « projet », que je n’ai eu de cesse de peaufiner depuis près de vingt ans, est devenu le livre d’étude de ma classe de seconde ? Imprimé et élégamment relié (à mes frais, bien entendu, un petit crédit à la banque – mais des frais qui me seront rendus un jour au centuple), il a fait, j’ose l’espérer, le bonheur de plusieurs classes du lycée où Gallimard m’a relégué. Parfaitement ! Gallimard… Pécherais-je vraiment par injustice si je vous disais que c’est votre faute, Philippe Sollers, si ma renommée dans le monde des lettres françaises n’est pas encore faite ? Si, à cause de cette reconnaissance manquée, refusée, littéralement confisquée, je me suis vu contraint de mendier auprès de l’Education nationale un poste non pas déshonorant, mais très au-dessous de ma juste valeur ? Si ma prose, trop étrangère à vos nauséeuses expérimentations (je parle de l’époque où vous pataugiez encore au Seuil) – et davantage encore à vos derniers ouvrages de vulgarisation, triviaux et aussi insipides qu’une tasse de verveine froide – n’a pas trouvé sa place dans votre catalogue ? Aviez-vous jugé mon style trop audacieux ? Trop dérangeant ? Je ne le saurai sans doute jamais. Sûrement pas dans l’air du temps, ça je suis prêt à parier que non, ni assez « germanopratin ».
 
« Chapeau pour le titre, quand même ! » m’écrivez-vous, et, sans crainte de séquelles judiciaires (ignorant naïvement mon naturel procédurier), vous avez le toupet d’ajouter « Je m’en servirai peut-être un jour ! »… Non, Monsieur, cette lettre est la dernière que je vous adresserai jamais, et vaut pour avertissement. N’y comptez pas ! Je vous refuse officiellement mon autorisation (par ailleurs, mon roman est dûment enregistré à la Société des gens de lettres, je vous laisse le loisir d’aller vérifier). Tyrannicide , il faut le prendre tel quel, passez-moi l’expression. Pas une seule virgule ne changera de place de mon vivant. Je porte en moi ce roman depuis trop longtemps désormais, et je l’ai façonné selon mes idées esthétiques – idées que j’ai l’ambition, cher Monsieur, d’imposer aux lecteurs et aux universitaires de demain. A cette fin, je vous le répète pour la dernière fois : j’ai besoin de votre aide . Vous connaissez tout aussi bien que moi la pénible tâche de ciseler la même phrase pendant une semaine, deux mois, un an entier ! Esquisser une structure romanesque, la bâtir patiemment pour après la détruire d’un seul coup comme un château de cartes, et tout ça au fil des saisons, tandis que votre vie se forme, entre en ébullition et se dissout inexorablement (je vous ai parlé, dans la lettre qui accompagnait mon avant-dernier envoi, des quelques historiettes qui m’ont éloigné de la gent féminine, mais aussi de ma vie retirée, de ma bibliothèque un tantinet extravagante, de l’amour sans faille que je porte à ma mère), telle est la tâche du créateur… Aiguiser une phrase comme une lame, puis regarder cette lame se rouiller sans que jamais elle n’ait servi à couper quoi que ce soit, ni &

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