UNE ANNEE NOIRE ET AUTRES HISTOIRES
88 pages
Français

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UNE ANNEE NOIRE ET AUTRES HISTOIRES , livre ebook

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88 pages
Français

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Description

Une surprenante et douloureuse déconvenue morale et professionnelle ; une enfant abandonnée à sa naissance dans des circonstances dramatiques ; un homme voué à la solitude ; divers malheurs empruntés à la grande ou à la petite histoire.ŠTelles sont les nouvelles qui donnent sa tonalité mélancolique et son écriture tendue au recueil intitulé Une année noire et autres histoires : autant de brefs récits, à la fois réalistes et poétiques, où s'expriment tour à tour les sentiments de l'inquiétude, de la peur, du chagrin et du deuil. Chacun explore à sa manière les sources poignantes de la souffrance intérieure.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 juin 2011
Nombre de lectures 151
EAN13 9782296465503
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0450€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Une année noire
et autres histoires
© L’Harmattan, 2011
5-7, rue de l’Ecole polytechnique, 75005 Paris

http://www.librairieharmattan.com
diffusion.harmattan@wanadoo.fr
harmattan1@wanadoo.fr
ISBN : 978-2-296-55215-9
EAN : 9782296552159

Fabrication numérique : Socprest, 2012
Ouvrage numérisé avec le soutien du Centre National du Livre
Thierry Laspalles

Une année noire
et autres histoires


L’Harmattan
À ma famille
Ma blessure existait avant moi ;
je suis né pour l’incarner.
Joë Bousquet
Une année noire
L ’été avait poussé son ultime vague de canicule. Plusieurs jours durant, elle avait écrasé la ville. La bâtisse surchauffée du lycée l’avait transformé en une étuve qui rendait pénible la rentrée scolaire.
Pourtant il s’était donné à son travail avec un surprenant enthousiasme. Dans cette atmosphère quasi tropicale, l’effectif presque entièrement féminin d’une classe supérieure de lettres ne donnait-il pas, après tout ! à l’étude une allure de fête ?
Parfois la chaleur était telle qu’elle rendait éprouvante la concentration d’une cinquantaine d’élèves. Qu’à cela ne tienne ! ne pouvait-on étudier dehors, à l’ombre des magnolias, dans ce grand parc qui fait avec la cathédrale toute proche la renommée de l’établissement ? Bien sûr qu’on le pouvait !

Mieux, un après-midi que, sans le moindre souffle d’air sous le couvercle des nuages, la sensation de fournaise était devenue accablante, le maître et ses disciples avaient traversé la longue place pavée qui cerne la cathédrale, bien décidés, pourquoi pas ? à pousser jusqu’au café voisin. Une effervescence les emportait.
Une fois à l’intérieur, le maître avait donné ce qui lui semblait bon an mal an un cours. Puis, sous les rires complices, il avait accepté d’être photographié, mais alors en tenue improvisée de cow-boy au saloon, feutre sur le nez et pieds sur la table, enlaçant, nullement intimidées, les deux étudiantes blonde et brune les plus proches de lui !
Bref, en cette fin d’été torride, la rigueur professorale avait tourné à une franche excentricité.

Aurait-il dû s’en alarmer ? Il n’était pas dans ses habitudes, en effet, de se laisser aller, surtout en début d’année scolaire, à ces sortes d’échauffement d’où peuvent sortir de scabreuses mises en scène. Il s’était aisément rassuré : il serait toujours temps, la fraîcheur revenue, de faire preuve de plus de sérieux !
D’ailleurs, à bien y regarder, cela ne nuisait pas à sa tâche. Il s’en remettait à Julie peignant à Saint-Preux, dans le roman de Rousseau, l’idyllique tableau des vendanges au domaine de Clarens, tableau résumé en ces trois mots fameux : On chante, on rit toute la journée, et le travail n’en va que mieux.

Et même l’étude au programme des Châtiments de Hugo avait trouvé dans un tel optimisme de quoi sublimer la lecture d’ordinaire peu enthousiasmante du grand poète national. Oui, décidément, cette entame pétillante promettait un fameux millésime !
Entretenue par la durée d’un été exceptionnellement chaud, l’euphorie avait persisté jusqu’aux congés de la Toussaint.
Pourtant, quelques jours avant la rentrée, dans l’air déjà fraîchi d’un soir de novembre, tout avait basculé. Le ciel d’orage assombrissait plus tôt que de coutume les toits et les rues de la ville. Les habitants remontaient en hâte les avenues à peine éclairées par les premières lumières des vitrines des magasins.
Que lui arrivait-il soudain en cette fin de journée d’automne ? Non, ce n’était pas l’habituelle tristesse du crépuscule, dont l’empreinte d’ailleurs peut n’être pas sans douceur. C’était plutôt comme une morsure de l’âme dont le cuisant venin le paralysait.
Certes, comme chaque année, il s’attendait à une reprise pénible. En cette période, en effet, il éprouvait toujours, pareille au refroidissement d’un moteur surchauffé, la sensation d’une retombée. Il l’attribuait volontiers aussi au changement de saison. Mais pourquoi, ce soir-là, un tel abattement ?

C’est qu’en réalité, comme une source enfouie au ventre de la terre, une crise en lui avait fait sa sourde gestation. Elle avait jour après jour grossi son flot : des eaux longtemps dormantes avaient franchi la digue où elles s’étaient d’abord amoncelées ; enfin, roulées dans le tourbillon, elles l’avaient emporté sans la moindre résistance. Voilà comment en tout cas son imagination fiévreuse lui représentait son infortune !
Bientôt même, une tentation véhémente de suicide s’était emparée de lui, pour ne céder vraiment qu’au bout des deux semaines d’hospitalisation qui avaient été jugées nécessaires par son médecin. Et, pour la première fois de sa carrière, un congé de longue maladie lui avait été accordé par son administration.

Qu’allait-il faire d’une si longue période de repos ? Ne serait-il pas opportun, le calme retrouvé, de s’interroger avec assiduité sur les causes encore obscures de son malheur ?
Dans les journées plus brèves et plus froides du début de l’hiver, il était peu à peu revenu à sa table de travail longtemps désertée. Non sans quelque appréhension, il avait rouvert ses carnets de notes personnelles.
Ses réflexions s’orientaient d’abord, tout naturellement, vers le bilan de sa vie conjugale. Marié jeune et bientôt père de famille, peut-être, après tout, en était-il arrivé au déclin de l’amour. Dans son loisir contraint l’hypothèse revenait.

Tantôt, il se persuadait que les différences de caractère, lorsqu’elles sont trop sagement aplanies, mènent à une insensible désaffection. Tantôt, il était convaincu de la persistance malgré tout des sentiments mutuels. Le moment était venu de décider.
Au fond, rien ne lui permettait de croire qu’il fût devenu indifférent à la femme qu’il avait épousée : son exquise beauté d’automne avait l’arôme des grands liquoreux, dont la récolte n’est prévue qu’aux vendanges tardives. Non, leur sensualité était intacte, et intacte leur estime !
Maintenant que la nuit était tombée et qu’elle ramenait en son âme quelque sérénité, il ne pouvait se cacher qu’aujourd’hui encore, s’il était à refaire, il le referait, ce geste qui vient du fond des âges, et qui pousse les uns contre les autres des femmes et des hommes perdus dans un univers indifférent.
Une certitude l’emplissait, lui réchauffant le cœur : l’amour s’était établi parmi les humains dans le but de protéger les vivants de la solitude glacée qui règne au royaume des morts. Du moins sa mélancolie n’était-elle pas sans lyrisme !

Et c’est alors seulement que ses pensées se dirigeaient vers sa situation professionnelle. Était-ce donc sa fonction d’enseignant qui avait concouru peu à peu à son malaise ? Ne l’avait-il pas remplie au contraire avec passion ?

Elle s’était révélée dès les cours particuliers que, lycéen puis étudiant, il avait donnés avec un certain bonheur. Elle avait déterminé le cours et le succès de ses études.
Encore professeur stagiaire, elle lui avait même valu, lors de son premier cours, cet éloge murmuré à sa voisine par une élève du premier rang : « celui-là a le feu sacré ! ». Et elle avait formé bientôt un style d’enseignement enthousiaste et joyeux.
Cependant, n’ayant ni l’esprit administratif ni l’esprit de corps, il avait eu moins de chance avec l’institution, où il passait pour un incorrigible franc-tireur. Il est vrai qu’il se désolidarisait volontiers de ce qu’il considérait comme les contradictions du milieu enseignant : son idéologie de progrès et sa pratique élitiste ; ses convictions laïques et son fétichisme d’une nouvelle Sainte Trinité : celle de l’État, de la République, du service public.
Mais ce dogmatisme d’un autre genre, s’il l’irritait ouvertement, et l’éloignait jour après jour de la majorité de ses collègues, ne pouvait cependant expliquer la

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