Une poignée de journées
179 pages
Français

Une poignée de journées , livre ebook

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179 pages
Français

Description

Hier comme aujourd'hui, les destinées humaines se déroulent selon des plans qui paraissent échapper à toute explication rationnelle. Comment trois jeunes filles russes, que la révolution d'octobre 1917 avait dispersées, arrivent-elles à se retrouver après la guerre ? Que penser de cette jeune Ukrainienne dont les parents sont repartis vivre dans la zone interdite autour de Tchernobyl ? Pourquoi, en France, un homme encore jeune et en bonne santé décide-t-il d'aller dans une maison de retraite ?
Construit comme un kaléidoscope, ce recueil de nouvelles traite avec subtilité de ce qu'est la destinée, avec ses tremblements, sa luminosité et aussi ses zones obscures.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 26 septembre 2019
Nombre de lectures 1
EAN13 9782140131288
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0750€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Philippe AuvernyBennetot
Une poignée de journées
Nouvelles
Une poignée de journées
collection Amarante
Une poignée de journées
AmaranteCette collection est consacrée aux textes de création littéraire contemporaine francophone. Elle accueille les œuvres de fiction (romans et recueils de nouvelles) ainsi que des essais littéraires et quelques récits intimistes.
La liste des parutions, avec une courte présentationdu contenu des ouvrages, peut être consultéesur le site www.editions-harmattan.fr
PhilippeAuverny-Bennetot Une poignée dejournées Nouvelles
Du même auteur Les morts dans l’âme, Publibook, 2012. La colline, L’Harmattan, coll. « Amarante », 2017. © L’Harmattan, 2019 5-7, rue de l’Ecole-Polytechnique, 75005 Paris http://www.editions-harmattan.fr
ISBN : 978-2-343-18236-0 EAN : 9782343182360
Une fois sorti de l’enfance, il faut très longtemps souffrir pour y rentrer, comme tout au bout de la nuit on retrouve une nouvelle aurore.
Georges Bernanos,Dialogues des Carmélites, Le Seuil.
Journées volées
La nuit dans le compartiment surchauffé lui parut inter-minable. Mademoiselle Nicole l’avait accueilli dans le hall de la gare de Lyon où déjà six enfants, tous plus jeunes que lui, l’entouraient. Tout de suite son souriant visage, sa douce voix, son manteau avec un col en renard l’avaient surpris et favorablement impressionné, il n’avait pas l’habitude qu’une si jolie jeune femme s’occupe de lui.
Pendant le trajet il s’était retenu d’aller au water pour ne pas déranger la jeune fille que les demandes incessantes des petits maintenaient éveillée. Lui aussi n’arrivait pas à dormir, bouleversé, que son oncle, qui veillait sur lui depuis quatre années, l’ait laissé emmener si loin pour si longtemps.
Ils attendirent dans la gare de Grenoble, l’heure du départ de l’autocar, les biscottes et les bananes étaient finies depuis longtemps et beaucoup d’enfants déclaraient leur faim. Une grande affiche aux couleurs vives attira son attention : des enfants en combinaison de sport faisaient de la gymnastique sur une terrasse inondée de soleil, au cœur d’un paysage en-neigé entouré de montagnes. Il déchiffra : VILLARD DE LANS - DAUPHINE - LE PARADIS DES ENFANTS.
Il savait juste que pour améliorer sa santé on l’avait sorti du camp de Jargeau dans le Loiret pour l’emmener dans une
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maison d’enfants à la montagne, très loin de Paris. L’institutrice confia que c’était bien là qu’ils allaient.
L’atmosphère féminine qui régnaitAux Jours Heureux le surprit, alors qu’au camp les hommes étaient omniprésents, les femmes se terrant dans les dortoirs et les cuisines, ici, au préventorium, tous les adultes étaient des femmes, à l’exception du jardinier et du chef-cuisinier, et toutes étaient célibataires. Cependant on comptait une lingère qui avait perdu, un an auparavant, son mari et un fils, tués par les Allemands dans les combats du Vercors, et la directrice, de formation comptable, qui avait dû prendre un travail après que son mari l’ait abandonnée pour vivre avec une docto-resse de l’armée américaine.
Une lettre l’attendait, elle lui apprit que son oncle, qui en avait dicté le contenu à une dactylo du camp de Jargeau, s’attristait du départ de son neveu – qu’il exhortait à l’obéissance et à la prudence – il l’informait aussi qu’il était toujours sans nouvelles de ses parents.
Après avoir pris connaissance de la lettre – elles étaient lues avant d’être remises aux enfants – Nicole, son institu-trice, demanda le dossier et le carnet anthropométrique d’identité de Ruben, elle y apprit que ses parents, tous deux Tsiganes, internés dans un camp dans le Pas-de-Calais, dé-partement qui dépendait du commandement militaire alle-mand de la Belgique, avaient été déportés en octobre 1943 dans l’est de l’Europe. Ruben, lui, avait été interné avec son oncle à Montreuil-Bellay dans le Maine-et-Loire – camp pour individus sans domicile fixe, nomades et forains, ayant le type romani – où il était resté toute la guerre car, contrai-rement à ce qui se passa dans d’autres territoires occupés par
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les Allemands, ceux-ci ne donnèrent pas l’ordre de déporter les Tsiganes résidant dans la zone française d’occupation. Puis, après la Libération, l’oncle et le neveu avaient gagné le camp de Jargeau où les conditions de vie étaient bien diffé-rentes : les barbelés avaient disparu et plusieurs heures par jour ils pouvaient quitter le camp. Dès qu’il eut la lettre entre les mains, l’enfant avait san-gloté, et cela avant même d’avoir lu le dernier paragraphe concernant ses parents. Mais Nicole ne savait pas s’il pleurait parce que la lettre venait de son oncle, dont il était séparé pour la première fois depuis quatre ans, ou parce que la lettre ne venait pas de ses parents. Elle savait, par contre, combien devenait inquiétant d’être sans nouvelle d’eux, quatre mois après la capitulation des nazis et l’ouverture des camps.
L’arrivée de ce garçon de douze ans – selon ses papiers mais beaucoupAux Jours Heureux pensaient qu’il était plus âgé – filiforme, à la démarche féline et à l’épaisse tignasse noire ne passa pas inaperçue. Les premières nuits, avant la visite au cabinet médical, il dormit dans une des chambres d’isolement puis il gagna le dortoir des grands où l’attendaient une quinzaine de garçons plus jeunes.
N’étant pas porteur du bacille de Kock, il obtint, du mé-decin du bureau d’hygiène de Villard-de-Lans, le document certifiant qu’il n’était pas « …atteint de tuberculose pulmonaire ou chirurgicale, ni d’aucune affection présentant un caractère fébrile ou suppuratif, ou contagieux et qu’à la connaissance du médecin il n’avait pas été récemment en contact avec un cas de maladie contagieuse, érup-tive ou épidémique ».le cas contraire, il aurait dû immé- Dans diatement quitter le canton conformément à un arrêté muni-cipal.
En fait, il souffrait d’avoir passé quatre années dans un camp d’internés, humide, à peine chauffé, mal nourri, sans
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hygiène, sans véritables soins médicaux alors qu’il y grouillait une grande variété de vermines. Outre un fortifiant à base de sang de bœuf, le docteur comptait pour le remettre en forme, comme pour les centaines d’enfants déficients con-centrés sur le plateau de Villard-de-Lans, sur des exercices physiques au grand air, beaucoup de repos et une suralimen-tation.
En arrivant il avait troqué ses habits usés, mais comme il était trop grand pour les vêtements queLes Jours Heureux détenaient en stock, on le repérait avec son pantalon et son manteau trop courts qui le faisaient ressembler à un épou-vantail famélique, Nicole, souffrant de cette situation, rallon-gea les manches et acheta un pantalon.
En 1922, un sanatorium soignant les tuberculeux avait vu le jour à Villars-de-Lans, mais trois jeunes du canton avaient été contaminés et emportés par la terrible maladie.
La « peste blanche », comme l’appellent les médecins, ap-porte fièvre, amaigrissement, épuisement et toux jusqu’à l’étouffement, et, si elle déborde les poumons, elle entraine la destruction des os ou une méningite foudroyante. Les poètes parlent eux de « fièvre de l’âme » car la maladie a consumé des âmes tourmentées entre autres celles de Frédéric Cho-pin, d’Amedeo Modigliani et d’Anton Tchekhov.
Après la mort des jeunes, le conseil municipal, soutenu par la population, décida de chasser du canton les tubercu-leux. Pour cela il racheta et ferma le sanatorium et prit un arrêté interdisant la présence de tout porteur du bacille de Koch.
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