L Enfant du pont du Diable
205 pages
Français

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L'Enfant du pont du Diable , livre ebook

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Description

Marie, la fille du boulanger de Bonnat, est une jeune femme intelligente et jolie, cependant son comportement est parfois étrange. Pas très loin, dans la Creuse, un vaste domaine familial est mené avec une main de fer par la marquise Isaure de La Frênaie. Son fils Germain fait un jour la rencontre de Marie ; il est alors depuis partagé entre son devoir de soumission à l'ancêtre César et la passion vouée à Marie. Mais le Pont du Diable est à mi-chemin entre le village et le château. Un maçon croyant bien faire juge un jour utile d'y replacer la pierre manquante. La malédiction liée à cet endroit semble se réveiller alors car un grave accident a lieu ce soir d'été 1951, non loin de l'édifice. La tragédie sera un élément déterminant de la destinée de Germain.


Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 31 octobre 2014
Nombre de lectures 124
EAN13 9782365751858
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0060€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Alain Lebrun L’Enfant du pont du diable
Roman des Terroirs de France
L’ACCIDENT
Sous un ciel étoilé de juillet 1951. Une auto dévale à vive allure la départementale 14 qui relie Chamglansardà Anzême. Il s’agit d’un modèle ancien et la lueur blafarde des phares éclaire tout juste une chaussée sinueuse, imprévisible. À en juger par la vitesse excessive du véhicule, les occupants semblent pressés de rentrer chez eux, au village de Longechaux. Il n’en est rien. L’auto est emballée et le conducteur essaie en vain de la ralentir. Un bruit de ferraille accompagné d’une horde d’étincelles : c’est le marchepied situé à gauche qui racle le flanc abrupt du massif montagneux. Cette manœuvre volontaire freine effectivement le bolide mais un silex érigé, tranchant comme une épée, déchire les deux pneus campés à gauche. Le véhicule se met alors à zigzaguer au gré du hasard. À gauche, les rochers escarpés, agressifs, menacent lors de chaque frottement d’empaler la guimbarde. Cinquante mètres plus bas sur la droite, le Pont du Diable. En face, un virage en épingle d’où l’on aperçoit la Creuse tout au fond de sa gorge, car le versant vient d’être déboisé. Gueule béante, le précipice affamé guette cette proie en détresse et se prépareà l’engloutir. Et dans ce ballet endiablé où chaque seconde n’est qu’un sursis, retentissent dans les vallons les crissements des pneumatiques et les grincements de la tôle, le tout accompagné de cris de panique. Au prix de maints efforts, le conducteur dirige au mieux son véhicule vers la gauche du muret ; un monticule de terre s’y trouve et évitera peut-être le pire. L’auto s’arrête d’un coup mais elle bascule immédiatement vers l’avant. Puis l’écho duplique dans le lointain des bruits sourds. Les crissements, les grincements et les cris se sont tus. L’auto virevolte et rebondit de part et d’autre dans le ravin. Elle s’embrase ensuite avant de disparaître dans le fleuve, au pied des quelques maisons de la Roche-Lambert. Le courant engloutit les corps sans vie des occupants. Cette route de montagne est assez peu fréquentée mais, quelques instants après le
drame, une camionnette bâchée s’arrête près du lieu de la tragédie. À son volant : Adhémar Fouriaud, originaire de Fresselines. Suite à une peur immense ressentie lors de la Grande Guerre, il grimace et gesticule sans arrêt. Ila d’ailleurs gardé de cette époque une conduite de « va-t’en-guerre ». L’homme est peu recommandable et, le cerveau grisé par un mélange d’alcools, il n’a pas remarqué l’accident. La raison de cet arrêt est un simple besoin corporel consécutif à sa beuverie de l’après-midi même. Puis il quitte les lieux en trébuchant, sans même remarquer qu’une épaisse fumée envahit progressivement le virage. Il arrive une demi-heure plus tard à la Frênaie, où il exerce le métier de mécanicien agricole. Les tics, l’ivresse et l’obscurité lui interdisent l’introduction de la clef dans la serrure. Il s’endort ainsi à la belle étoile, affalé sur les marches de la modeste maison ouvrière.
LA VIE
À LA FRÊNAIE
Le domaine de la Frênaie est situé un peu au nord du puy des Trois Cornes. Ony pratique l’élevage de charolais et de limousines ainsi que de maigres cultures. L’entrée principale est délimitée par deux imposants pilastres construits en pierre locale. Les siècles les ont quelque peu érodés, mais on y distingue toujours, profondément incrustées, les armoiries de la famille. Elles représentent les sept folioles d’une feuille de frêne, appelé parfois « l’arbre aux javelots ». La grande allée qui conduit au château est d’ailleurs bordée de ces arbres, grands et vieux témoignages d’un passé où l’on utilisait leur bois pour la fabrication de lances et d’épieux. Par la suite et durant les périodes de vache maigre, les jeunes branches étaient utilisées pour la fabrication des manches d’outils et le feuillage servait de litière aux animaux. Le bois séché alimentait les charronneries. Une autre ressource de ces arbres consistait à en presser les feuilles afin d’obtenir une boisson désaltérante et bon marché. Ils alimentaient également en combustible les âtres du château. Une vingtaine de maisons ouvrières et une chapelle furent bâties autour du château, ainsi qu’un édifice insolite fait d’acier et de verre. Cette construction faisait partie des nombreux pavillons provisoires érigés au pied de la tour Eiffel lors de l’exposition universelle de 1889. Les assemblages de pièces métalliques furent ensuite démontés et le châtelain de l’époque, Louis-Enguerrand, acheta cette verrière de forme elliptique, mesurant trente-cinq mètres sur dix. Il la fit reconstruire sur les terres du château. La construction atteint en son centre une hauteur impressionnante, mais une mezzanine qui occupe l’entière périphérie équilibre les proportions. Le lointain aïeul, destinant cet édifice à un usage de cultures marginales, avait pris soin de l’implanter au-dessus du ruisseau d’Isles. Ce cours d’eau dégageait une humidité favorable à la végétation. Il procurait également une réserve d’eau utile pour les arrosages. Parmi les bois alentour, de nombreuses clairières ont été aménagées en parcelles cultivables et au gré des saisons, le blé, l’avoine et le foin ornent ces terres de leurs couleurs changeantes.
* À la tête de ce domaine : la marquise Isaure de La Frênaie. Issue de la dynastie Frênaie, elle n’appartenait cependant pas à la filiation des héritiers. Mais après avoir vécu une enfance modeste, elle décida de séduire Alexis-Enguerrand de La Frênaie, un cousin éloigné qui détenait le domaine. Elle l’épousa, devint marquise et s’installa au château, mais peu de temps après son cousin-époux disparut à tout jamais. Isaure possédait dans ses gènes toute la rancœur que ses aïeux avaient accumulée depuis le renversement de cette monarchie si favorable à la noblesse. Cette rancœur lui donna la force d’assurer à elle seule la régence du domaine : elle allait redonnerà la Frênaie son gigantisme d’antan ! De cette union loufoque naquit Germain-Enguerrand, futur héritier du domaine ; il reçut par conséquent une éducation fanatique. Dès son plus jeune âge, il lui fut enseigné l’abnégation des sentiments humains au profit du devoir lié à sa condition de futur administrateur du domaine. On lui bourra le crâne avec l’histoire de la dynastie Frênaie, la révolution dévastatrice de 1789 et la revanche à prendre sur les républicains. Ses précepteurs lui inculquèrent l’ambition, la soif de richesse, l’art et la manière d’accroître le patrimoine. Élevé dans une ambiance féodale suivant des rites austères, les jeux lui furent proscrits pendant toute son enfance, et ce n’est qu’à l’adolescence, lorsqu’il dut fréquenter une grande école, e qu’il découvrit le XX siècle et sa modernité. La nuit, le jeune Germain-Enguerrand occupait la chambre des méditations. Il s’agissait d’une pièce dont l’accès n’était possible que par un étroit escalier en colimaçon qui semblait se visser dans les entrailles de la terre. Été comme hiver, il y régnait une température constante, guère plus de dix degrés, et peut-être était-ce là le secret de la conservation d’une fresque datant du siècle précédent. Selon la légende, un lointain aïeul, César-Enguerrand, aurait fait réaliser cet étonnant portrait par un artiste réputé de l’époque, afin de transmettre son génie aux générations futures. Chaque descendant pourrait ainsi bénéficier du regard doctrinaire du cavalier et devenir comme lui un être inflexible et accapareur. D’un réalisme saisissant, cette peinture gigantesque représentait l’ancêtre, tout en armes, chevauchant une monture chimérique. Le guerrier affichait un regard glacé qui suivait quiconque se déplaçait dans la pièce, et la tache de vin qu’il portait au cou représentait cinq folioles dentelées d’une feuille de frêne. Le blason brillait d’un rouge de braise ardente, comme si ces fers de lance étaient à jamais maculés par le
sang de ses victimes. L’inséparable faucon était hardiment juché sur l’épaule du maître. Mais le plus terrifiant était la monture diabolique qui, affublée d’un corps d’éléphant, de la crinière d’un lion et de la tête d’un cheval, symbolisait puissance, férocité et intelligence. La marquise vouait à César un culte solennel : elle affirma d’abord qu’il renaîtrait un jour, puis elle finit par le croire. L’évènement aurait lieu avant l’an 2000, et César serait reconnaissable grâce à la feuille de frêne. Sous la fresque elle avait ajouté ces phrases : « Germain-Enguerrand, ce chevalier est votre maître à penser, il dictera votre conscience à jamais et fera de vous un homme vaillant. Il sera prochainement de retour parmi nous, nous lui devrons honneur et servitude. » Face à ce cavalier austère, à ce monstre effrayant et à cette maxime incomprise, le gamin passait ses nuits blotti sous les couvertures. Mais, bien qu’il en eût peur, il ne pouvait s’empêcher de dévisager cet effroyable tableau dès qu’il allumait la bougie. Parfois, profitant de l’absence de l’un des gourous, le jeune garçon leur échappait. Il se réfugiait alors dans la construction d’acier et de verre. Il se cachait au beau milieu d’une végétation prolifique et sauvage. Ne connaissant pas l’usage des mots « bonheur », « merveille » ou « enchantement », il appelait cet endroit « son royaume ». Il s’y inventait une vie simple, et jouait avec des cailloux et des bâtons. Ily retrouvait également ses amis imaginaires, des animaux dociles mais invisibles, toute une fiction qui lui permettait d’exister comme un enfant de son âge. * Au fil du temps, l’éducation du jeune marquis devint de plus en plus dogmatique. Les précepteurs lui ressassaient des propos extrémistes qu’il avait bien du malà comprendre et à accepter. Lors de véritables séances de dressage conceptuel, Germain était contraint de s’identifier à un être atypique fabriqué de toutes pièces par la marquise. La créature reconquérait les plaines, les forêts volées jadis, afin de redonner au domaine le gigantisme d’un royaume. Les mots clés étaient « rentabilité maximale », « bénéfice important » et « développement du terroir ». Cette stratégie était dans l’ordre des choses mais peu de terres étaient disponibles ; il faudrait mettre la pression sur les paysans détenteurs. Il devrait les harceler et provoquer leur faillite jusqu’à ce qu’ils cèdent leurs biens. Cette démarche autorisait tous les coups bas et
l’éducation de Germain fit en sorte qu’il dispose d’un culot monstrueux et soit dépourvu de scrupules. L’amour, l’amitié, le remords, la pitié, tout sentiment devait à jamais être banni de l’état d’esprit du garçon sauf, bien sûr, la haine et le mépris. Au cours de ces leçons, César-Enguerrand et sa monture hideuse étaient souvent nommés, et la légende évoluait sans cesse au point de devenir totalement romanesque. Néanmoins, cette sévère éducation, basée sur l’implication exclusive au développement de la Frênaie, ne porta pas ses fruits. Malgré cette enfance à rude épreuve, un apprentissage de guerrier, les repas au pain sec et l’absence de jeux, aucune méchanceté n’altéra la bonhomie de Germain-Enguerrand. Il devint un garçon charmant et avait bon cœur. Ce caractère inattendu lui valut des remarques incessantes et vipérines. Toutefois, deux stigmates subsistèrent : une peur immense des chevaux et l’étrange sensation d’être englué sous la carapace d’un personnage qui dictait son attitude ; César, le maître à penser, infligeait sa volonté. * Devenu adulte, le jeune marquis s’employa à gérer de manière honnête les revenus des immeubles de la rue Moyenne, laissés par sa grand-mère à Bourges. Mais, au sein de l’exploitation, les cultures et l’élevage ne l’intéressaient pas. Il se limitait à rédiger les bulletins de paye des ouvriers et les différentes missives administratives avec le percepteur, les fournisseurs et les clients. Aux yeux de la marquise, tout cela n’était que paperasse inutile, foutaise et temps perdu. Elle pensait que ce fils, indigne de par sa gentillesse, devait plutôt venir en aide aux paysans démunis, mais pour les dépouiller ensuite de leurs biens puisqu’ils n’avaient pas assez d’argent pour payer les services rendus. Elle se disait que ce fils, coupable de bonté, n’avait qu’à inciter les vieux fermiersà lui céder leurs terres au lieu de les laisser à leurs enfants. Elle souhaitait que ce fils blâmable ratisse un jour les moindres parcelles, les bosquets, et même les talus rocailleux, afin que la Frênaie devienne un État éclatant dans cette république absurde peuplée de petites gens. Mais, bien que le maître à penser le lui rappelât régulièrement, Germain n’avait que faire de cette ambition folle et accaparatrice.
Il se passionnait pour la botanique et plus précisément la domestication des fleurs sauvages. La grande verrière continuait ainsi à être son lieu de prédilection. Il y exerçait son art et se plaisait à penser qu’il apprivoisait ces végétaux afin qu’ils deviennent de superbes fleurs, à offrir au même titre qu’un bouquet de roses ou de gerberas. À force de méthode et de persévérance, le jeune marquis obtenait des résultats encourageants. C’est ainsi qu’il maintenait en vie des bouquets de coquelicots mis dans un vase, alors que cette espèce se fane dès qu’elle est privée de ses racines. Il avait également mis au point une variété de boutons d’or aux pétales colorés et dont le pistil était lumineux comme un soleil. Son royaume de gamin était maintenant un jardin extraordinaire où l’on trouvait des violettes géantes et des bleuets multicolores, mais aussi des fleurs de tournesol miniatures et tout un tas d’espèces dont lui seul connaissait le nom. Le principe en était assez simple. Il lui suffisait de sélectionner à chaque plant le pied qui se rapprochait le plus de ce qu’il voulait obtenir. Il prélevait ensuite le pollen de certaines espèces pour le déposer sur le pistil d’une autre fleur. Puis, un processus de souffrance était infligé aux végétaux qui, par phénomène d’autodéfense, transformaient leurs gènes ; encore fallait-il savoir quel était le traitement nécessaire ! Il passait des journées complètes dans la grande verrière, se souvenant alors des fugues de son enfance, de ses copains fictifs, de son royaume qui étalait aujourd’hui mille et une couleurs. Cependant, sa destinée de premier fils le liait envers et contre tous à son devoir domanial, et le maître à penser le lui rappelait avec insistance. * La marquise ne quittait son château que le dimanche matin, pour se rendre à l’office religieux de la chapelle. Elle traversait alors le parc, le regard livide et hautain, dans un break attelé à un cheval. La messe dominicale était célébrée par le curé de la Frênaie, « curé de réforme », soulignait-elle, puisque selon sa volonté elle les recueillait lorsqu’ils étaient trop vieux pour officier en paroisse. En échange de cette hospitalité, leurs sermons devaient refléter son état d’esprit : soumission et obéissance pour les gens de petite condition. Assise au premier rang, elle soufflait à voix haute ce qu’elle voulait qu’entendent les pauvres ouailles. Isaure avait ainsi l’impression de régner sur le monde… un monde qui se résumaità
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