Les Bêtes à pain
125 pages
Français

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Les Bêtes à pain , livre ebook

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Description

Aux XIXe siècle, les confins de la Nièvre, du Loiret et de l'Yonne accueillent un grand nombre d'enfants de l'assistance de la Seine qu'on appelait les p'tits Paris. Lucien Forlac compte parmi ceux-là. À vingt ans, il se trouve propulsé dans la campagne paysanne avec sa jument, la dernière Morvandelle. Bêtes à pains, ils sillonnent les chemins de terre de la Puisaye et louent leurs services de fermes en fermes. Alors quand Saint-Amand fête pour la dernière fois la Saint Roch, Lucien décide de s'y rendre, conscient que la renommée de la foire attire tous les chalands, marchands de bétail et maquignons de la région... L'histoire retrace les mésaventures du p'tit Paris dans ce pays d'Histoire et de légendes. On y rencontre ainsi les paysans et les artisans, l'importance de la poterie de grès et l'organisation du travail des petites fermes entre l'Orléanais et la Bourgogne.


Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 13 décembre 2013
Nombre de lectures 198
EAN13 9782365752312
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0060€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Alexis Boucot


Les Bêtes à pain


Roman







Roman

Les Bêtes à pain



En mémoire des P’tits Paris, Marie, Henri, Charlotte…


La terre ne tient point sa pensée asservie ;
Le bel espoir l’enlève au triste souvenir ;
Deux ombres désormais dominent sur sa vie :
L’une est dans le passé, l’autre dans l’avenir.

Victor Hugo, Au vallon de Cherizy,
Ode troisième, juillet 1821


Au lecteur

Voici l’histoire que me conta par le curieux hasard d’une rencontre un vieux mendigot natif de la Puisaye. Celui-ci parcourait, il y a quelques années déjà, la rue Maître-Albert près de Notre-Dame-de-Paris, comme le ferait un Apache de la Maube, avec son pantalon à larges pattes et sa casquette à visière. Alors que j’allais à la promenade sur la rive gauche de la Seine, du côté du quartier Latin où j’apprécie de trouver encore quelques bistrots authentiques, j’orientai ma balade printanière autour du faubourg habité jadis par les tribus nivernaises, auvergnates et les étudiants internationaux qui fréquentaient la Sorbonne. Ayant des affinités et des filiations avec les trois sujets, je désirais m’y attarder et en apprendre un peu plus sur le quartier, l’une de mes aïeules de Chantenay ayant habité le petit hôtel de la rue Maître-Albert, dont la devanture verdâtre à coffrage de bois et de verre à vitre d’Alsace avait étonnement conservé ses attraits originels. L’homme, dont je n’avais vu que les yeux et la cicatrice au front tant la barbe dissimulait son étrange visage, était vêtu d’un triste pardessus noir et de vieilles guenilles que l’on ne rencontrait guère qu’au siècle dernier. Il m’avait un peu surpris de prime abord avec sa démarche en porte-à-faux, non pas comme celle de ces soulauds qui virent sur tous les bords en chancelant ; lui traînait la patte en musardant et vous fixait de ses deux grands yeux noir d’encre, un regard intrigant qui vous sciait d’entrée de jeu lorsque les vôtres croisaient les siens. Je tentai de passer outre les apparences et lui demandai humblement s’il connaissait le quartier, car il semblait en être profondément imprégné. Quelques bribes sortirent de sa bouche, puis ce fut un flot de paroles ininterrompues qui se déversa avec passion dans un jargon assez nuancé. Il me parla de ces petites rues qui filent de la place Maubert vers la Seine et dégoisa ainsi sur toutes ces petites gens qui, au siècle dernier, migraient de leur campagne afin de trouver du travail dans la capitale, ajoutant que le quartier avait accueilli toute une population de Nivernaises en quête d’ouvrage et qui se retrouvaient souvent, dès leur arrivée en gare, dans les bras des marlous. Il en ressortait des enfants non voulus que l’on abandonnait assez tôt à l’assistance de la Seine et qui devenaient, une fois déplacés à la campagne, de vraies bêtes à pain se louant aux foires. Aussi de fil en aiguille, la conversation s’animant au café, il vint me révéler, en inspirant continuellement sur le bec d’une pipe de bruyère, cette étonnante histoire que je vous transmets ici, du moins autant que je m’en souvienne. L’homme y ayant mis tant de conviction et de sincérité, il m’avait paru évident de rapporter ici ce témoignage d’une mésaventure ancienne, que j’ai agrémenté d’un peu d’histoire locale furetée dans les livres. Je me suis alors souvent demandé, du moins a posteriori, en y réfléchissant bien, si cette histoire qu’il me narrait fut réellement vécue ou bien si le plaisir du dire-vrai n’avait pas pris le pas sur le conte. Je n’ai jamais pu, au cours de mes pérégrinations solitaires, revoir cet homme qui me semblait alors être apparu comme une étrange hallucination de la rue Maître-Albert.


I. Un duo sous l’ondée

Août 1891.

La Puisaye s’éveillait dès l’aube sous la foudre et les formidables coups de tonnerre. Il pleuvait fort sur le chemin de campagne qui mène du village d’Arquian à Saint-Amand, et bien qu’elle s’engageât par le petit val d’Argenoux, la carriole, longeant les haies délimitant les pâtures à vache, avait peiné sur le pont enjambant la Vrille, l’averse ôtant la ligne de vue vers l’horizon ; le cocher avait dû faire ralentir au pas le trot du petit cheval dont les sabots frappaient alertement le sol glissant et frôlaient de peu les ornières gorgées d’eau. La Vrille, petite rivière qui baigne Saint-Amand-en-Puisaye, Arquian, Annay et se jette dans la Loire à Neuvy, avait soudainement gonflé et débordait de son lit, s’étalant d’un côté par un ruissellement successif dans les champs de trèfle blanc, de pâturin et de luzerne, et de l’autre, altérait en le heurtant le fonctionnement du vieux moulin à laitier qui s’emballait ; la crue subite et passagère de la rivière donnait alors une drôle d’allure à la roue de la bâtisse brinquebalante. Un reflet, une bougie, une silhouette derrière une lucarne, le pileur laitier s’activait vivement à broyer les scories des forges sur la pierre à moudre. Un arbre à cames entraîné par la pression hydraulique animait des marteaux qui se soulevaient, retombaient d’un coup sec et fracassaient le minerai brut. Les potiers, en très grand nombre dans la vallée, étaient dépendants de ces productions de glaçures colorées destinées à la fabrication d’émaux et au vernissage de céramiques. Comme chaque jour, l’homme se levait très tôt, et accompagné parfois d’un apprenti meunier, un « bât-l’âne » qu’il initiait aux rudiments de la profession et qu’il envoyait souvent à dos de ministre livrer les diverses scories vitreuses aux poteries, il exploitait les matières premières issues des ferriers qui foisonnent dans les petites carrières d’exploitation des alentours. Mais ce jour du 16 août, les intempéries malmenaient le petit moulin qui faisait des efforts pour tenir bon au milieu du val. Le rude mois d’août, chaud et sec, qui touchait jusqu’alors toute la Bourgogne et le pays nivernais, devait ce matin-là interrompre son cours du fait de la Trempée, cette giboulée intempestive et brutale, connue des habitants de la Puisaye, et qui stupéfiait à chaque fois par sa brièveté et sa force. Accompagné d’un orage de mille feux, un vent du nord-est, froid et humide, brusque, en rafale et que certains nommaient le dret-vent, frappait à chaque fois sans que quiconque ne puisse le prévoir et surprenait les paysans occupés aux dernières moissons tandis que l’eau crépitante, ruisselant dans les gouttières, inondant les ornières dans un tourbillon terrible, semblait sourdre de la terre. Aux abords du petit village d’Argenoux, la charrette à ridelle, abondamment chargée de marchandises destinées au marché, dut faire une halte forcée le long d’un mur en pierraille et sous la tonnelle naturelle d’un arbre pleureur. Lucien Forlac, le cocher, d’un geste sûr et adroit, profita de cet instant pour bâcher au mieux, avec une toile de tissu grossier, les cagettes en bois contenant les récoltes de légumes et de fruits, poires, haricots, salades, oignons, pommes de terre et poissons fraîchement pêchés dans la huche. Le matin même, le père Jean, le métayer, basse-courier de la vieille Bretauche qui l’employait pour la saison, avait envoyé le valet de ferme en charge du négoce des produits à la grande foire annuelle de la Saint-Roch. Très tôt, munis de trubles, on avait prélevé des viviers les truites, tanches et carpes pour les déposer dans une tine de pêcherie. Les poissons ainsi capturés furent enveloppés et conditionnés avec un peu de glace et de sel afin d’assurer leur conservation pour le transport. Cette fête de la mi-août à Saint-Amand, attendue de tous, était l’occasion, sinon d’une procession consacrant le martyr, de réaliser les meilleures transactions de la saison. Voilà une opportunité à ne pas manquer et dont les bénéfices permettraient de mieux passer l’hiver ; et celui-ci, selon les prévisions des grands-mères, serait cette année-là bien rigoureux. Depuis le début de la semaine, une grande foule occupait les faubourgs de la ville et nombre de chalands et de voyageurs venaient de loin pour assister à la fête. Certains, pour ne pas manquer le précieux rendez-vous, occupaient déjà depuis la veille les belles chambres des hôtels et des auberges de la ville. Dans tout le canton et même au-delà des terres du Nivernais, on se déplaçait pour participer a

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