Neuf mois de ponton - Paroles d un détenu
45 pages
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Neuf mois de ponton - Paroles d'un détenu , livre ebook

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Description

Pline, écrivant à son ami Minutius Fundanus, trouvait étonnant de voir comment le temps se passe à Rome. Si l’on prend chaque journée à part, il n’y en a point qui ne soit remplie ; rassemblez-les toutes, et vous êtes surpris de les trouver si vides ! Et, à l’appui de son dire, Pline ajoutait, en décrivant l’emploi de la journée : « Demandez à quelqu’un ce qu’il a fait de son temps. Aujourd’hui, vous dira-t-il, j’ai assisté à la cérémonie de la robe virile qu’un tel a donnée à son fils ; j’ai été prié à des fiançailles ou à des noces ; l’on m’a demandé pour la signature d’un testament ; celui-ci m’a chargé de sa cause ; celui-là m’a fait appeler à une consultation.Fruit d’une sélection réalisée au sein des fonds de la Bibliothèque nationale de France, Collection XIX a pour ambition de faire découvrir des textes classiques et moins classiques dans les meilleures éditions du XIXe siècle.

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Publié par
Nombre de lectures 2
EAN13 9782346124121
Langue Français

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Extrait

À propos de Collection XIX
Collection XIX est éditée par BnF-Partenariats, filiale de la Bibliothèque nationale de France.
Fruit d’une sélection réalisée au sein des prestigieux fonds de la BnF, Collection XIX a pour ambition de faire découvrir des textes classiques et moins classiques de la littérature, mais aussi des livres d’histoire, récits de voyage, portraits et mémoires ou livres pour la jeunesse…
Édités dans la meilleure qualité possible, eu égard au caractère patrimonial de ces fonds publiés au XIX e , les ebooks de Collection XIX sont proposés dans le format ePub3 pour rendre ces ouvrages accessibles au plus grand nombre, sur tous les supports de lecture.
Arthur Monnanteuil
Neuf mois de ponton
Paroles d'un détenu
I
Pline, écrivant à son ami Minutius Fundanus, trouvait étonnant de voir comment le temps se passe à Rome. Si l’on prend chaque journée à part, il n’y en a point qui ne soit remplie ; rassemblez-les toutes, et vous êtes surpris de les trouver si vides ! Et, à l’appui de son dire, Pline ajoutait, en décrivant l’emploi de la journée : « Demandez à quelqu’un ce qu’il a fait de son temps. Aujourd’hui, vous dira-t-il, j’ai assisté à la cérémonie de la robe virile qu’un tel a donnée à son fils ; j’ai été prié à des fiançailles ou à des noces ; l’on m’a demandé pour la signature d’un testament ; celui-ci m’a chargé de sa cause ; celui-là m’a fait appeler à une consultation... etc... etc... »
Chacune de ces choses, quand on l’a faite, a paru nécessaire ; toutes ensemble paraissent inutiles, et bien davantage encore, quand on les repasse dans la solitude. Alors vous ne pouvez vous empêcher de vous dire : « A quelles bagatelles ai-je perdu mon temps ? »
Si maintenant l’on veut réfléchir sur les occupations de la journée parisienne, n’y rencontre-t-on point autant de bagatelles, de vide et d’inutilité que Pline se plaisait à en constater dans la vie romaine, et ne comprendra-t-on point que le malheureux détenu n’ait, sur les pontons, trouvé une bien douce consolation à son infortune, en relisant cette lettre de Pline et en s’écriant comme lui : Oisiveté honnête, oisiveté aimable, que tu es préférable même aux plus illustres emplois, toi qui me permets de ne m’entretenir qu’avec moi ! Mer, rivage, qui formez aujourd’hui mon cabinet d’études, que vous m’inspirez de grandes et de nobles pensées, et combien il vaut mieux ne rien faire ici que faire des riens là-bas !
Satius est otiosum esse, quam nihila agere.
 
Cependant, lorsqu’après les terribles journées de mai et l’écrasement de la Commune, les razzias opérées dans tous les quartiers de Paris avaient empli d’habitants parisiens toutes les prisons et les forts, le camp de Satory, l’Orangerie de Versailles et innombrables autres lieux, comme les casernes, les ministères, les caves du Luxembourg, transformés pour la circonstance en autant de prisons, lorsque nous nous trouvions partout entassés pêle-mêle, parqués çà et là dans un mélange tel, que la plume de Dante seule le pourrait décrire, on peut dire que l’état d’esprit dans lequel se trouvait la généralité, pour ne pas dire la totalité des prisonniers, était un état inconscient de soi-même, un état de stupeur plutôt que de terreur, une véritable prostration.
Pourquoi vivait-on ?... Pourquoi votre voisin était-il emmené contre un mur pour être fusillé ?... Questions qui ne vous venaient même pas à ce moment encore, et qui ne vous sont venues à l’esprit que quinze jours après, lorsque vous aviez à peu près recouvré l’usage de vos sens !
 
Cependant, tel ou tel était calme ou paraissait l’être, tel autre était agité et se promenait à pas saccadés dans toute l’étendue de l’Orangerie. Celui-ci ne parlait que de sa femme ou de sa mère, au sujet desquelles il était en proie à la plus mortelle inquiétude. Celui-là se demandait avec angoisse ce qu’allaient devenir les quatre petits enfants qu’il laissait au logis. Un grand nombre semblait oublier tout pour ne songer qu’aux malheurs de la patrie.
Car, il ne faut pas qu’on l’ignore, si le nombre des coupables était grand, plus grand peut-être était celui des malheureux égarés qu’un tourbillon vertigineux avait enveloppés et soulevés dans une même et sainte indignation : la rage de ne pouvoir rien et d’être forcés, sans rien dire, à subir l’affront de l’invasion prussienne !
Le spectacle qu’il m’a été donné de contempler durant mon séjour à l’Orangerie, c’est-à-dire du 3 au 9 juin, n’a été qu’un long défilé hétérogène de détenus, tous plus ou moins absorbés dans leurs stupéfaction du premier moment, et qui arrivaient des divers lieux de détention, principalement du camp de Satory, pour se voir ensuite expédiés dans les différents ports, où ils allaient attendre, pendant de longs mois, le cours d’une si pénible et si laborieuse instruction.
Toutefois le calme renaissait peu à peu dans notre esprit, et c’était presque le cœur léger qu’on s’embarquait pour l’inconnu.
 
Arrivés sur le ponton, où le hasard nous avait conduits, le premier sentiment qui se manifesta chez nous fut tout simplement un sentiment de curiosité. On avait quitté l’Orangerie vers dix heures du soir, le 9 juin, — je parle de mon détachement, composé de cinq cents détenus, — et l’on avait pris le chemin de fer à onze heures, pour arriver à Brest le 11 juin, à quatre heures du matin
Trente heures de voyage dans des wagons hermétiquement fermés, ne recevant d’air que par quelques rares orifices de la largeur d’un sou, placés à de non moins rares intervalles ! Trente heures voiturés ainsi, pêle-mêle, courbés ou assis çà et là, les uns sur les autres, au nombre de trente-cinq par wagon, avec chacun un pain de trois livres, de l’eau à boire dans deux bidons, et sans qu’il nous fût possible un instant de descendre pour le plus légitime besoin !
Qu’importe ? Arrivés à destination, tous les transportés avaient presque oublié ce voyage pittoresque, et l’on ne jetait qu’un regard. curieux et avide de savoir, sur sa future et aquatique demeure.
Après les si poignantes et si diverses émotions qu’on avait éprouvées en si peu de temps, il était naturel qu’on fût, le premier jour de son arrivée sur les pontons, complètement béatifié !
Ne se connaissant personne, tant le hasard avait agi dans ces arrestations, on était logiquement peu communicatif, et, le soir de cette première journée, on n’avait pas trop d’yeux pour admirer un magnifique coucher de soleil, tel que les côtes de Bretagne seules nous en fournissent, et qui semblait avoir été commandé tout exprès pour nous, afin de réconforter un peu nos esprits. On eût dit que l’immensité sublime, au milieu de laquelle nous étions jetés, voulait attirer notre cœur à elle, nous donner une puissante consolation et nous apprendre à oublier le monde des humains. ses inanités. ses passions et ses turpitudes !
II
Les fatigues du voyage, les différentes émotions que l’on a éprouvées durant cette première journée, font qu’à peine étendus dans leur hamac, les nombreux détenus goûtent enfin, pour la première fois depuis leur arrestation, les douceurs d’un sommeil bienfaisant, et le lendemain on se lève presque gai, non pas au chant de la fauvette, mais au son retentissant du clairon qui sonne le réveil.
Il est cinq heures du malin.
Le soleil brille radieux et nous envoie par les sabords, sous forme de salut, un chaud rayon de’ liberté. La mer semble prendre sa plus belle toilette, et se montre à nos regards immense. calme, pure, sans avoir une seule ride à sa surface, la coquette ! On dirait qu’elle cherche à nous attirer à elle, et qu’elle veut nous cacher tous les redoutables et sublimes soulèvements qui la rendent si terrible dans ses jours de fureur et de déchaînement.
Elle est là, comme un vaste lac, s’efforçant de captiver notre esprit, et faisant luire à notre cœur les plus vivaces illusions du passé. Je m’attendais à tout moment voir arriver sur sa barque légère le. jeune pêcheur de Guillaume Tell, et je croyais l&

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