Prix Jean Fanchette 2019 - Vent d Est
65 pages
Français

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Prix Jean Fanchette 2019 - Vent d'Est , livre ebook

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Description

Fine et élégante, Aby, incarne sous sa varangue en bois, le doux parfum du passé. Rose, sa petite fille, est envahie par les histoires de famille qui se construisent et se délitent autour de sa grand-mère. Inondée par les pensées, elle s’épanche dans un journal. Entre le bruit des brisants et les plumeaux roses des champs de cannes, elle y restitue son enfance mauricienne à jamais perdue. Prix Jean Fanchette 2019 - Finaliste du Grand Prix du Roman Métis 2019. Les éditions L'Atelier des Nomades sont aussi lauréats du Prix de l'Édition Afrilivres 2020.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 janvier 2018
Nombre de lectures 62
EAN13 9782919300402
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0500€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

© Atelier des nomades, 2018
ISBN : 9782919300402
Aux habitants des Manguiers, des années 1970 à aujourd’hui.
Table des matières



Page de titre
Copyright
Dédicace
Exergue
Carnet rouge
Carnet bleu
Remerciement
Lexique
Dans la même collection
4e de couverture
Poste Lafayette.
Familièrement, ici on dit Le Poste.
Et la côte, Dieu merci, est toujours bien gardée.
Batteries et garnisons de France n’interdisent plus à l’Anglais l’accès de la Passe Canon, mais les vents sont toujours là qui ont pris la relève : pique-niqueurs et vacanciers ordinaires ne les aiment pas. Sans parler du touriste ! Surtout pas de vagues (même dans les piscines) semble être la règle d’or de l’hôtellerie des plages.
Alors on est tranquille.
Bien sûr, il y a l’accalmie de l’été – quand le brisant n’est plus que mince diadème d’écume sur l’émeraude du lagon – et l’incroyable douceur de la morte-eau à marée basse.
Mais la vérité du Poste, c’est, dans les filaos, la meute hurlante des alizés d’hiver.
Et la danse folle des pirogues à l’amarre de corps-morts.
Et le fracas de la houle aux récifs de la Grande Pointe.
Pour les romantiques de la mer, la belle saison.
Jean-Antoine Koenig, Vent d’Est
Carnet rouge
La pluie s’est enfin arrêtée de tomber.
Il fait chaud et humide, les averses torrentielles d’après-cyclone se sont enfin calmées et il monte maintenant du sol comme des vapeurs chargées d’humus. L’odeur des fleurs mouillées me rappelle celle du jardin de Léon et d’Aby, quand j’étais enfant. Il ne reste plus beaucoup de fleurs dans leur jardin, maintenant.
Sur une coupelle devant moi, quelques fruits tombés que j’ai réussi à sauver : mangues, letchis, longanes accumulés – leurs feuilles lustrées encore accrochées aux branches. Le soir va bientôt tomber, la montagne Ory se recouvre de mauve et se penche vers moi, aussi vivante qu’autrefois. Je brûle un peu d’encens pour éloigner les moustiques, pour chasser les fantômes aussi. Le muezzin ne va pas tarder.
En fuyant la pluie ce matin, j’ai fait une étrange découverte, dans le bureau de mon père : j’ai retrouvé dans une vieille valise tous mes anciens carnets, ceux du temps où j’allais au Lycée français, et les autres, tous ceux d’avant, les carnets bleus à motifs chinois que m’offrait Aby autrefois pour que j’y écrive mon journal. J’écrivais dans les arbres, sur le toit de la maison et dans les renfoncements du précipice – pendant que la rivière grondait et que les chats sauvages hurlaient. C’est peut-être de relire le carnet bleu à spirale, le dernier avant que je ne quitte Maurice, qui m’a décidée à me remettre à écrire aujourd’hui, après toutes ces années. Je ne sais plus exactement à quel moment je me suis arrêtée. Peut-être qu’à un certain moment, c’est le courage qui m’a manqué.
Et maintenant, assise sous la varangue près de la rivière, carnet de moleskine rouge sur les genoux, je suis inondée par les mots. Leurs flux et reflux coulent en moi sans que je puisse les stopper. C’est un peu comme une marée – ou plutôt un raz-de-marée. Essaient-ils de rattraper le temps perdu ? Étrangement, ils me remplissent de leur calme, d’une sorte de sérénité. Je ne sais pas d’où ils viennent, ni où je vais en commençant ce journal, mais je sais qu’il faut que j’écrive, avant que je n’oublie toute cette histoire.
En y repensant ce matin après ma découverte, je suis allée marcher au hasard dans les rues, à la recherche des ruines de Béthanie. Je n’ai rien reconnu, tellement tout a changé. Les allées, les avenues, les quartiers ont été entièrement remodelés – il paraît que c’est pour endiguer la surpopulation, depuis l’arrivée du métro léger. Je pense à cette grande promenade qui était autrefois le souffle de la ville, bordée de grands arbres – Intendances, Flamboyants, Mourouks aux fleurs rouges. Elle allait de la gare jusqu’à la maison de Léon et d’Aby et la nôtre, procurant de l’ombre à tous les passants et un peu d’harmonie au milieu du béton. Tout cela a été depuis si longtemps éventré.
J’ai maintenant un peu de mal à marcher, je m’essouffle vite. Et surtout, je suis devenue chez moi comme une espèce d’étrangère.
Rose-Hill
Chaque fois que je vois des longanes, je ne peux m’empêcher de penser à Jean-Antoine. Longanes , Jean-Antoine. Sa longue silhouette mince et un peu dégingandée, son rire nerveux, sa sévérité (et sa bouche mince.) Quel rapport entre ces petits fruits à la chair blanche et très sucrée et ce frère de ma mère – le seul – disparu trop tôt ?
Rose-Hill, peut-être. Il devait nous interdire de toucher à l’arbre de longanes de Léon, dans le petit bois d’eucalyptus. Ou peut-être la sonorité de ces deux mots nous les faisait répéter, enfants, quand nous scandions n’importe quoi à tue-tête, pour passer le temps.
La maison de Léon et d’Aby n’avait pas de nom. Généralement, à Maurice, toutes les grandes maisons de bois en ont un : Béthanie , La   Butte , Mon Repos , Mon Goût – je me souviens d’abord de ceux-là. Pourquoi n’avait-elle pas de nom ? Était-elle trop petite pour prétendre à une telle distinction ? Ou tout simplement, dans les complications engendrées par sa construction et le mariage de deux proches cousins, personne ne pensa à la nommer parce que cela paraissait complètement superflu.
Elle n’avait pas de nom, mais ne manquait pas de charme, pourtant. Sa varangue vitrée – un non-sens dans l’une des villes les plus chaudes, l’été –, son petit toit de bardeaux sans chien-assis mais bien proportionné, ses perrons de pierre grise et son air faussement sage de jeune fille rangée, tout cela encadré par quelques lataniers, letchiers, un énorme badamier, et bien sûr le frangipanier, au bord du Canal. Le Canal était en réalité un cours d’eau étroit et rapide au bout du jardin, mais nous l’avions surnommé assez pompeusement ainsi. De l’autre côté descendait presque à pic le précipice qui menait à la rivière, puis les champs de cannes d’Ébène et du Réduit – et la montagne Ory, veillant sur tout ce petit monde, d’un œil attentif.
 
La maison de Léon et d’Aby et la nôtre n’avaient pas de délimitation entre elles.
Pour y accéder de chez nous, il y avait plusieurs possibilités. On pouvait passer soit par la petite allée bordée de palmiers-bouteilles en bas du jardin, soit par le bois d’eucalyptus côté précipice, ou encore, si on était pressé, on pouvait couper par la Grande Plaine, c’est-à-dire un ancien tennis transformé en pelouse d’un vert anglais un peu triste. Ce trajet occupa mes journées jusqu’à l’âge de trois ans dès que je sus marcher, puis plus tard, quand je commençai à aller à l’école, chaque après-midi – ainsi que parfois, en douce, certains matins. Dans la rosée matinale, les toiles d’araignée minuscules entre les brins d’herbe recouvertes de gouttes innombrables se changeaient pour moi en palais de cristal, en robes de dentelle. La trace de mes pieds laissait apparaître derrière moi un sillage, un sentier.
Notre maison avait un nom, Les   Camphriers , écrit en lettres blanches sur le mur de notre longue allée bordée de palmistes . Dans un pays tropical où ces arbres venus d’Inde courent les rues, il nous paraissait assez banal ; mais plus tard, en écrivant ce nom devenu tout à coup si précieux sur des enveloppes-avion qui mettraient des semaines à arriver, je découvrirais qu’il ne l’était pas, vraiment pas du tout.
Aby était la personne que je chérissais le plus au monde. Sa voix douce, ses longues mains à la peau fine et soyeuse, ses yeux toujours bienveillants quand ils étaient posés sur moi me remplissaient d’un bonheur aussi profond que la rivière qui coulait en contrebas, jusqu’aux gorges de Sorèze. Elle s’appelait en réalité Agathe, mais tout le monde l’appelait Aby, à la suite de la nurse anglaise qui l’avait élevée, dans l’île Maurice des années 1910. Habillée le plus souvent de couleurs claires et de petites mailles fines qu

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