L Ami commun - Tome I
299 pages
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L'Ami commun - Tome I , livre ebook

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Description

Le corps d'un homme est retrouvé dans la Tamise. Après identification, il s'agit de John Harmon, de retour à Londres pour recevoir son héritage. Le père de John avait ajouté une clause particulière à son testament : Il ne pourrait recevoir l'héritage qu'à la condition d'épouser la jolie Bella Wilfer, dont il ignorait tout. Dans la cas contraire, la fortune du vieil Harmon irait à son ancien bras droit, Nicodème Boffin.Ce roman, dans lequel on sent l'influence de Wilkie Collins, est le dernier terminé par Charles Dickens.

Informations

Publié par
Date de parution 30 août 2011
Nombre de lectures 536
EAN13 9782820602756
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0011€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

L'AMI COMMUN - TOME I
Charles Dickens
Collection « Les classiques YouScribe »
Faites comme Charles Dickens, publiez vos textes sur YouScribe YouScribe vous permet de publier vos écrits pour les partager et les vendre. C’est simple et gratuit.
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ISBN 978-2-8206-0275-6
X – CONTRAT DE MARIAGE
Grande émotion chez les Vénéering ! La jeune fille très-mûre est sur le point de se marier, poudre de riz et le reste, avec le jeune homme également très-mûr que nous avons déjà vu. C’est de la maison Vénéering qu’on partira pour l’église, et ce sont les Vénéering qui donneront le déjeuner. Le valet chimiste, qui, par principe, désapprouve tout ce qui se passe dans la maison, blâme nécessairement ce mariage. Mais on ne lui a pas demandé son consentement ; et une tapissière décharge à la porte son contenu de plantes rares pour que la fête du lendemain puisse être couronnée de fleurs. La jeune fille est très-riche, le jeune homme également ; il place des fonds, va dans la Cité, suit les réunions d’actionnaires, et a des rapports personnels avec les dividendes. Il est avéré des sages de cette génération que le trafic des dividendes est la seule chose avec laquelle on ait affaire. N’ayez ni antécédents, ni savoir, ni éducation, ni esprit, ni figure, mais ayez des dividendes. Ayez-en assez pour être inscrits en lettres capitales sur les registres de la compagnie. Flottez sur des affaires mystérieuses entre Paris et Londres, et vous serez un grand homme. « D’où vient-il ? – Dividendes. – Où va-t-il ? – Dividendes. – Quels sont ses goûts ? – Dividendes. – A-t-il des principes ? – Dividendes. – Qu’est-ce qui l’a poussé au parlement ? – Dividendes. » Peut-être, par lui-même, n’a-t-il eu aucun succès, n’a-t-il réussi en quoi que ce soit ; peut-être n’a-t-il rien commencé, rien achevé, rien produit. Mais dividendes, dividendes ! Ô tout-puissants dividendes ! Placez-les bien haut ces images flamboyantes qui nous induisent nuit et jour, nous autres, humble vermine, à crier comme sous l’influence de l’opium ou de la jusquiame : « Seigneurs, délivrez-nous de notre argent, dépensez-le pour nous, achetez-nous, vendez-nous, ruinez-nous ! Seulement, nous vous en supplions, prenez rang parmi les puissances de ce monde, et engraissez-vous de notre propre chair. » Tandis que les amours et les grâces préparaient la torche que l’Hyménée doit allumer demain, Twemlow a souffert plus que jamais : les deux futurs, évidemment, sont les plus anciens amis de Vénéering, peut-être ses pupilles ? Toutefois, cela ne se peut guère, car ils sont plus âgés que lui. Vénéering possède leur entière confiance, et a fait beaucoup pour les entraîner à l’autel. Lui-même a raconté à Twemlow comment il avait dit à mistress Vénéering : « Anastasia, cela doit faire un mariage. » Il a de plus ajouté qu’il considérait les deux futurs, Alfred Lammle et Sophronia Akershem, comme son frère et sa sœur. Twemlow lui a demandé s’il avait été au collége avec Alfred ? « Pas tout à fait, » a-
t-il répondu. Si la jeune Sophronia était fille adoptive de sa mère ? « Pas précisément. » Et Twemlow a porté la main à son front d’un air désespéré. Mais il y a quinze jours ou trois semaines, comme il était chez lui, au-dessus des écuries de Duke-street, la tête penchée sur son journal, sur son thé faible et sa rôtie sans beurre, Twemlow reçut un billet fortement parfumé, portant le monogramme de mistress Vénéering. Cette dame suppliait son très-cher Twemlow, si toutefois il était libre, d’être assez aimable pour venir dîner en quatrième avec ce cher Podsnap, afin de prendre part à une affaire de famille du plus haut intérêt. (Ce dernier membre de phrase souligné deux fois, et rehaussé d’un point d’exclamation.) « Pas d’engagement ; et plus qu’enchanté, » avait répondu le gentleman. Et il s’était rendu à cette invitation pressante. « Mon cher Twemlow, s’était écrié Vénéering dès qu’il l’avait aperçu, l’empressement que vous mettez à répondre à la demande d’Anastasia, demande un peu sans-façon, est des plus aimables et tout à fait d’un vieil ami. Vous connaissez notre ami Podsnap ? » Twemlow s’était rappelé l’ami qui l’avait tant confusionné ; il avait reconnu le cher Podsnap, qui l’avait reconnu à son tour. Il paraît que Podsnap avait été l’objet de tant de démonstrations affectueuses qu’il pouvait se croire l’ami de la maison depuis maintes et maintes années. Il se mettait à son aise le plus amicalement du monde, tournait le dos au feu, et se transformait en statuette du colosse de Rhodes. Twemlow, dans sa faiblesse, avait déjà remarqué avec quelle rapidité les hôtes de Vénéering étaient infectés de la fiction amicale, et ne s’apercevait nullement que c’était là sa maladie. « Mes très-chers, avait dit Vénéering, vous serez heureux d’apprendre que notre ami Alfred est sur le point d’épouser notre amie Sophronia. Comme nous avons fait de ce mariage, ma femme et moi, une affaire personnelle, et que nous en avons pris la direction, notre devoir est naturellement de communiquer le fait aux amis de la famille. » Oh ! s’était dit Twemlow en jetant un coup d’œil sur Podsnap, il n’y en a que deux, et c’est lui qui est le second. « J’espérais, continua Vénéering, avoir lady Tippins ; mais elle est toujours en fête, et malheureusement elle avait promis ailleurs. » Ciel ! avait pensé Twemlow, dont les yeux s’étaient tournés de côté et d’autre, il y en a trois, et c’est elle qui est la troisième. « Mortimer Lightwood, que vous connaissez tous les deux, avait repris Vénéering, est à la campagne ; mais il m’écrit, avec l’originalité qui le distingue : « Puisque vous voulez que je sois premier garçon d’honneur, je ne refuse pas, bien que j’ignore par quel motif vous avez pu me choisir. » Ô ciel ! avait pensé Twemlow, dont les yeux avaient roulé avec inquiétude, il y en a quatre, et c’est lui qui est le quatrième. « Je n’ai pas invité aujourd’hui Boots et Brewer, que vous connaissez également, dit Vénéering, je les réserve pour un autre jour. » Alors, avait pensé Twemlow en fermant les yeux, il y en a donc… Et tombant dans une prostration complète, il n’était revenu à lui qu’à la fin du repas, lorsque le chimiste avait été congédié.
« Nous allons maintenant, avait dit Vénéering, aborder le véritable objet de ce petit conseil de famille. Sophronia est orpheline ; par conséquent elle a besoin de quelqu’un pour la conduire à l’autel. – Chargez-vous-en, avait dit Podsnap. – Non, mon cher, avait répondu Vénéering, et cela par trois raisons. La première, c’est que je n’oserais pas m’adjuger cet honneur en présence des amis de la famille qui le méritent davantage. La seconde, c’est que je ne suis pas assez fat pour croire que j’ai le physique de l’emploi. La troisième, c’est que ma femme a sur ce point certaines idées superstitieuses : il lui répugne de me voir conduire quelqu’un à l’autel avant l’époque où bébé se mariera. – Et pourquoi cela, madame ? avait demandé Podsnap. – C’est une sottise, cher monsieur, j’en conviens, avait-elle répliqué ; mais si Hamilton servait de père à quelqu’un en pareille circonstance, j’ai le pressentiment qu’il n’assisterait pas au mariage de bébé. Mistress Vénéering, en parlant ainsi, avait les mains ouvertes, appliquées l’une contre l’autre ; et ses huit doigts aquilins ressemblaient tellement à son nez, que les joyaux tout neufs dont ils étaient garnis étaient nécessaires pour les distinguer de ce trait crochu. « Mais il y a un ami de la famille, avait repris Vénéering, mon ami Podsnap le reconnaîtra, je l’espère, un ami auquel revient de droit cette agréable fonction. Cet ami est parmi nous (ici l’orateur avait enflé la voix comme s’il eût parlé à cent cinquante personnes) et cet ami, c’est Twemlow ! – Assurément, avait dit Podsnap. – Cet ami, avait continué Vénéering avec une énergie croissante, est notre excellent Twemlow ! Il m’est impossible, mon cher Podsnap, de vous exprimer suffisamment tout le plaisir que j’éprouve en voyant cette opinion, qui est la mienne et celle d’Anastasia, si franchement confirmée par un autre ami de la famille, également cher et non moins sûr, un ami placé dans la haute position… je veux dire hautement placé dans la position, ou plutôt qui place Anastasia et moi dans l’éminente position de le voir lui-même dans l’humble position de parrain de notre bébé. » Et Vénéering avait éprouvé un soulagement réel en voyant que Podsnap ne témoignait aucune jalousie de l’élévation de Twemlow. C’est par suite de ces événements qu’une tapissière vide ses fleurs sur l’escalier des Vénéering, et que Twemlow surveille le théâtre où il jouera demain un si grand rôle. Il a été à l’église, et a pris des notes sur l’encombrement des bas-côtés. Il a fait ce travail sous les auspices de l’ouvreuse de bancs, une veuve excessivement lugubre, dont la main gauche semble contractée par un accès de rhumatisme aigu, mais qui est repliée volontairement afin de servir de bourse. Tandis qu’on décharge les fleurs, Vénéering s’arrache de la bibliothèque où, dans ses jours contemplatifs, il suspend son âme aux dorures des pèlerins de Cantorbéry, et va communiquer à Twemlow la petite fanfare qu’il a composée pour les trompettes de la fashion. Il est dit dans cette fanfare comment, le 17 du présent mois, le révérend Blank Blank, assisté du révérend Dash Dash, a uni par les liens sacrés du mariage, en l’église de Saint-James, Alfred Lammle, esquire de Sackville-street, Piccadilly, et Sophronia, fille unique de feu Horatio Akershem, esquire, du Yorkshire. Comment la
jeune et belle fiancée partit de la demeure d’Hamilton Vénéering, esquire, de Stucconia, et fut conduite à l’église par Melvin Twemlow, esquire, de Duke-street, quartier Saint-James, cousin au premier degré de lord Snigsworth de Snigsworthy Park. Tout en écoutant cette composition épique, Twemlow perçoit vaguement à travers la brume qui l’enveloppe, que si, après cela, le révérend Blank Blank et le révérend Dash Dash ne sont pas sur la liste des plus chers et des plus anciens amis de Vénéering, c’est à eux-mêmes qu’ils devront en savoir gré. Après cette lecture apparaît Sophronia, que Twemlow a vue deux fois dans sa vie, et qui vient le remercier de vouloir bien remplir à son égard le rôle d’Horatio Akershem, du Yorkshire ; apparaît Alfred, que Twemlow n’a jamais vu qu’une fois ; il vient lui faire les mêmes remercîments, et jette une sorte de lueur pâteuse : comme une bougie qu’on allume en plein jour. Arrive ensuite mistress Vénéering dans tous ses états aquilins, d’une humeur où s’aperçoivent toutes les verrues de son caractère, pareilles à celles qui décorent son noble nez. Elle est épuisée d’émotions et d’agacements, comme elle le dit à son cher Twemlow, et ravivée malgré elle par le curaçao que lui apporte le chimiste. Des différents points du royaume commencent à déboucher les demoiselles d’honneur, ainsi que d’adorables recrues enrôlées par un sergent invisible, et qui, débarquées au dépôt Vénéering, font partie d’une légion étrangère. Twemlow s’esquive et rentre chez lui, Duke-street, quartier Saint-James. Il prend une assiettée de bouillon de mouton, où baigne une côtelette ; puis il ira de nouveau à l’église, afin d’être bien sûr que demain le service nuptial aura lieu à la bonne place. Il est abattu, et se sent triste en mangeant sa côtelette. Il aperçoit nettement dans son cœur l’empreinte qu’y a laissée la plus adorable des adorables ; car, jadis, le pauvre petit gentleman a eu son rêve comme nous tous. Elle n’a pas répondu à sa flamme, ainsi qu’Elle fait souvent ; mais il croit qu’Elle est toujours comme il la voyait alors (ce qu’elle n’a jamais été), et il se dit en lui-même que si elle n’en avait pas épousé un autre par intérêt, et qu’elle se fût mariée avec lui, par amour, ils auraient été bien heureux, ce qui n’est pas vrai du tout. Enfin, il pense que cette âme sensible (dont la dureté est proverbiale) lui conserve un tendre souvenir, et c’est la plus grande erreur. Plongé dans cette rêverie au coin de son triste feu, son petit front sec dans ses petites mains sèches, et son petit coude sec sur ses petites jambes sèches, Twemlow est mélancolique. Pas d’adorable pour lui tenir compagnie ; pas d’adorable chez soi, pas d’adorable au club ! Le désert, rien que le désert ! Pauvre Twemlow ! Puis il s’endort, et des frémissements galvaniques parcourent toute sa personne. Le lendemain matin de bonne heure, cette affreuse lady Tippins, veuve de sir Thomas Tippins, anobli par une erreur de S. M. Georges III, qui croyait en baroniser un autre, et qui pendant la cérémonie daigna lui faire cette gracieuse observation : « Quoi, quoi, quoi ? qui, qui, qui ? pourquoi, pourquoi, pourquoi ? » Cette vieille lady Tippins, disons-nous, commence de bonne heure à se faire teindre et vernir pour la circonstance. Elle a la réputation de raconter les choses d’une façon très-piquante, et il faut qu’elle arrive l’une des premières chez ces gens-là, afin, ma chère, de ne rien perdre du plaisant de la comédie. Dans cet amas d’étoffe, surmonté d’un chapeau, qui est annoncé sous le nom de
lady Tippins, y a-t-il un fragment quelconque de substance féminine ? Peut-être sa femme de chambre le sait-elle ; mais vous achèteriez dans Bond-Street la totalité de ce qu’elle montre à vos yeux. En la scalpant, la grattant, la dépouillant, vous en feriez deux ladies, et vous n’auriez pas pénétré jusqu’à l’article réel. Lady Tippins a un grand lorgnon d’or qui lui est indispensable pour regarder ce qui se passe. Si elle en avait un dans chaque œil, l’autre paupière tomberait peut-être un peu moins ; d’ailleurs ce serait plus régulier. Mais lady Tippins a dans ses fleurs artificielles une éternelle jeunesse ; et la liste de ses adorateurs est toujours au complet. « Mortimer, s’écrie-t-elle en promenant son lorgnon, où est le futur ? misérable que vous êtes ! – Je n’en sais rien, parole d’honneur ; et cela m’est fort égal, dit Mortimer. – Malheureux ! est-ce de la sorte que vous remplissez votre charge ? – Si ce n’est une vague idée que le futur doit s’asseoir sur mon genou, et qu’à un moment donné je dois lui servir de témoin, comme pour un duel, j’ignore, je vous assure, en quoi consistent mes fonctions. » Eugène fait également partie du cortége ; et la sombre tristesse dont il est drapé ferait croire qu’il est question de funérailles. La scène se passe dans la sacristie de l’église Saint-James, entre des tablettes couvertes de vieux registres parcheminés, dont la reliure pourrait bien être en ladies Tippins. Mais, silence ! Une voiture s’arrête : apparaît une contrefaçon de Méphistophélès, quelque bâtard de la famille de ce gentleman, que lady Tippins trouve un homme charmant ! une véritable conquête ! et que Lightwood examine d’un œil peu satisfait. « Je crois, dit-il, que c’est mon clerc ! Vraiment, oui ! Que le diable l’emporte ! » Les voitures se succèdent ; mais voyons d’abord ce qui est arrivé. D’après lady Tippins, qui, debout sur un coussin, passe en revue l’assemblée à travers son lorgnon, la chose se résume ainsi : « La mariée : quarante-cinq ans, ou je ne m’y connais pas ; robe (le yard), trente shellings ; voile, quinze livres ; mouchoir superbe : un cadeau. « Demoiselles d’honneur, choisies de manière à ne pas éclipser la mariée, conséquemment pas très-jeunes ; douze shellings six pence le yard ; fleurs données par Vénéering. La petite au nez raccourci n’est pas mal, mais trop occupée de ses bas. Chapeaux, trois livres dix. « Twemlow : quel débarras pour le cher homme, si vraiment c’était sa fille ! Agacé rien qu’en pensant qu’on pourrait croire qu’il en est le père ; et il y a de quoi ! « Mistress Vénéering : on n’a jamais vu de pareil velours ! Telle qu’elle est, deux mille livres au bas mot ; une véritable montre de bijoutier ! Son père a dû prêter sur gage : autrement, comment ces gens-là feraient-ils ? « Assistants inconnus très-mêlés. » Cérémonie terminée ; registre signé ; lady Tippins conduite par Vénéering. Équipages roulant vers Stucconia ; valets décorés de fleurs et de rubans. Arrivée chez Vénéering : salons magnifiques ; nombreux amis attendant l’heureux couple. Mister Podsnap : cheveux en brosse, dont on a tiré le meilleur parti possible. Mistress Podsnap : majestueusement folâtre.
Boots et les trois autres tampons : fleur à la boutonnière, cheveux frisés, gants étroitement boutonnés ; prêts à remplacer le futur, si un accident fût arrivé à celui-ci. La tante de la mariée, sa plus proche parente : une veuve du genre Méduse, bonnet de pierre et des regards pétrifiants. Le curateur de la mariée : physique d’un homme d’affaires nourri de tourteau, larges lunettes à verres ronds, personnage du plus haut intérêt. Vénéering se précipite vers ce gentleman, son plus ancien ami (ce qui fait le septième, se dit Twemlow). Comme il l’entraîne d’un air confidentiel, au fond de la serre, on pense qu’il est de moitié dans la gestion des biens de la jeune épouse, et qu’il va s’occuper de la fortune de celle-ci, dont l’apport est considérable. Les Tampons vont même jusqu’à dire à voix basse : « Tren-te mil-le li-vres ! » et accompagnent ce chiffre d’un claquement de langue et d’une aspiration qui évoquent le souvenir d’huîtres exquises. Très-étonné de son intimité dans la maison, la fournée d’inconnus s’enhardit, croise les bras et commence à contredire Vénéering, même avant d’être à table. Pendant ce temps-là, mistress Vénéering apporte Bébé en costume de fille d’honneur, voltige de l’un à l’autre, et fait jaillir de ses rubis, de ses diamants et de ses émeraudes, des éclairs aux mille nuances. Enfin, le chimiste ayant conclu d’une façon satisfaisante les diverses querelles qu’il a cru de sa dignité d’avoir avec les garçons traiteurs, annonce le déjeuner. La salle à manger n’éblouit pas moins que les salons. Table superbe ; tous les chameaux dehors et pliant sous leur charge ; gâteaux splendides, ornés de cupidons et de lacs d’amour ; splendide bracelet offert par Vénéering avant de descendre, et mis au bras de la mariée. Personne, néanmoins, n’a plus d’égards pour les Vénéering que s’ils étaient simplement de braves traiteurs faisant la chose à tant par tête. Les nouveaux époux causent ensemble, et rient en aparté, comme ils ont toujours fait. Les Tampons expédient les plats avec la verve qu’ils y ont toujours mise ; les inconnus s’invitent mutuellement avec une extrême bienveillance à multiplier les verres de champagne. Mistress Podsnap, qui se rengorge et se balance de son air le plus majestueux, est bien autrement écoutée que la maîtresse de la maison ; et c’est tout au plus si Podsnap ne fait pas les honneurs de la table. Un grave inconvénient pour Vénéering est d’avoir à sa droite la séduisante Tippins, et à sa gauche la tante de la mariée, qui sont loin de vivre en bonne intelligence. La Méduse ne se contente pas de jeter des regards pétrifiants à la charmante lady ; elle accompagne tous les propos de la divine créature d’un reniflement sonore, qui pourrait s’attribuer à un rhume de cerveau chronique, mais qui peut provenir de l’indignation et du mépris. Cet ébrouement revient avec une telle régularité, qu’on finit par s’y attendre ; et le silence que font les convives, chaque fois qu’il va se produire, devient embarrassant. La tante rocaille a, en outre, une façon injurieuse de repousser les plats dont mange lady Tippins, en disant tout haut quand on les lui présente : « Non ! non ! non ! pas pour moi ; emportez cela. » Elle a évidemment l’intention de faire savoir qu’en partageant la nourriture de cette charmeresse elle craindrait de lui ressembler, ce qui, pour elle, serait une fin déplorable. Voyant cette inimitié, lady Tippins fait feu de son lorgnon, et décoche une ou deux saillies juvéniles ; mais tous les traits s’émoussent sur le bonnet impénétrable, et sur l’armure ronflante de cette vieille pétrifiée.
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