Les Vignes de l exil
132 pages
Français

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Description

Noël 1794. Près d'Issoudun, un macabé courageux découvre sept séminaristes vendéens passés au fil de l'épée. Crispé sur son médaillon, le jeune homme survivant est ramené amnésique au presbytère des Bordes où le curé Dutilleul lui prodigue des soins et lui fournit une identité : Moïse Lefort. Chez la veuve Boucié, Lefort s'adonne aux travaux d'une petite locature. Reprenant confiance en lui, il s'éprend de la jolie blanchisseuse Marie et l'épouse. Dans la foulée Angèle, sa patronne, décède en léguant au couple le Bois du Tertre, objet de convoitise des vignerons locaux. Coaché par Dutilleul, fils de viticulteur bourguignon, Moïse fait pousser là-bas ses premiers pieds de Genouillet lorsque sa bien-aimée perd la vie accidentellement. Résistant à la douleur et aux malveillances du gros entrepreneur Torcheboeuf, il se réfugie dans son labeur et fait remarquablement prospérer sa vigne. Vulnérable, il est victime d'une machination et se voit contraint de se marier avec la fille de ce dernier, Léontine, future mère de ses deux fils. L'exécution capitale d'Abel l'égorgeur, brigand coupable de l'attentat de Noël 1794, déclenche un choc qui ramène peu à peu la mémoire au héros. Un passé étrange vient alors l'envahir et le perturber. Abandonné par sa femme vénale et ses fils ingrats ainsi que par son mentor Dutilleul, chassé de la paroisse, Lefort mettra fin à une longue période de solitude en recueillant une fillette tzigane. Insupportée, Léontine décide de supprimer l'enfant avant qu'elle ne représente un intrus dans l'héritage futur des Torcheboeuf. Un incendie mal géré et un plan mal calculé rendront celle-ci prisonnière de ses propres flammes. Épargnée, la petite Clothilde verra son père adoptif se lancer dans le feu pour en sauver Léontine au prix de brûlures mortelles. Avant de mourir, Moïse confie à Clothilde son médaillon porteur d'une formule énigmatique.


Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 13 décembre 2013
Nombre de lectures 32
EAN13 9782365752411
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0060€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Marie-Agnès Bavay-Bezançon & Christian Benz
 
 
Les Vignes de l’exil
 
Tome I : Moïse
 
Roman
 
 

 
 
PROLOGUE
 
Il avait neigé à gros flocons durant une de ces interminables nuits d’hiver. La lune ne tenait plus qu’à un fil et les premières lueurs de l’aube s’imposaient. Telles des lanternes fatiguées, les ultimes étoiles déclinaient tandis qu’une lumière pure et douce colonisait graduellement le sol.
Le Berry gelait à pierre-fendre. La plus affamée des souris n’aurait pas aventuré son museau pointu hors du grenier vermoulu. Spectres désarticulés, les arbres squelettiques grelottaient et sous leurs branches de porcelaine, des guirlandes de stalactites fines et délicates comme des doigts de fées irisaient la poudrerie nacrée de reflets topaze.
 
*
 
Le vent sifflait une longue plainte aiguë sous la lourde porte rongée par les ans. Attisés par son souffle piquant, des fagots bien secs se consumaient dans les profondeurs noires de l’imposante cheminée avant de se répandre en lambeaux dans le ciel encore voilé de pénombre.
Habituée aux prières, la roche des murs réverbérait les matines monocordes de sept voyageurs. Les louanges achevées, le silence reprit posément ses droits, ponctué par le crépitement des flammes rougeâtres. Les bures agenouillées se redressèrent puis, dans un rituel collectif, ajustèrent d’un geste mesuré leurs larges capuchés sur leurs visages émaciés avant de gagner la cour verglacée.
Dehors, enserrée par les limons, une paire de boulonnais trapus tapait du sabot sur le pavé luisant, les naseaux actifs comme des hauts-fourneaux. Quelques ombres s’emmitouflèrent sur les bancs de la charrette aux larges essieux pendant que les plus charpentées halèrent sur son plancher une malle pesante. Sous l’effort, vaincue par l’usure, une poignée de bronze céda net. En gerbes scintillantes, une foison de candélabres, ciboires, calices, ornés d’or et de pierres précieuses percuta le sol dans un vacarme strident, rompant la quiétude boréale de ce 4 nivôse an III, veille de Noël 1794.
Aussi vite l’incident fût clos, soutenu par un mutisme constant. Finalement, obéissant à un claquement de bride, les équidés à peine reposés de la veille s’élancèrent stoïques à travers l’épais tissu de brume qui ceinturait l’abbaye cistercienne de la Prée.
 
*
 
Dans la pâleur diaphane du petit jour, il ne subsista bientôt du passage des séminaristes qu’un point sombre vacillant sur l’horizon, prolongé par une paire de sillons parallèles tracés à même la neige ferme.
 
 
CHAPITRE I
 
Par groupes de trois ou quatre, les hommes s’étaient dispersés dès l’aube dans les bois dénudés afin d’y prélever l’énorme bûche, un tronc bien souvent, qui une fois enflammée se consumera sans discontinuer entre la Nativité et la Saint-Sylvestre. Rentrés avant le souper, ils avaient glissé difficilement leur prise dans les cheminées, chaque fois trop étroites, puis allumé le foyer méticuleusement préparé entretemps par les femmes. Collectées puis placées dans quelque endroit secret, les cendres seront ensuite rituellement conservées l’année durant pour appeler la paix et la santé sur la maisonnée. C’était à ce moment précis, lorsque la traditionnelle Cosse de Nau* distillait sa chaleur revigorante dans les chaumières, que les vignerons savaient que l’éreintante driaille* devait débuter.
Le courageux Tiremouche avait décidé que Noël de l’an III ne serait pas pour lui jour de repos, mais qu’au contraire, il profiterait des chemins désertés pour accéder plus facilement à sa vigne située à l’ouest d’Issoudun. Résident peu fortuné des Bordes, il n’avait d’autre choix pour éviter l’octroi que de contourner la ville à travers la forêt en suivant des sentes défoncées. L’astre du berger brillait encore lorsqu’il fit grincer le petit battant qui séparait sa demeure de torchis de l’étable fraichement empaillée. Après avoir une dernière fois vérifié le contenu de sa besace et réparti les éplettes* dans l’un et l’autre des deux mannequins*, il bâta son âne, s’installa assez gauchement sur son dos et encouragea celui-ci d’un mouvement machinal du bassin.
 
*
 
Solitaires, les deux compagnons trouvaient le trajet plus long qu’à l’ordinaire et progressaient péniblement sur une farine creusée d’inconfortables fondrières. En temps ordinaire ils auraient croisé un va-et-vient incessant de macabés*, à pied ou bien perchés sur une monture, foulant le passage et papotant sans relâche, mais jamais avec le mot de trop. Il fallait voir tous ces ouvriers déterminés se mettre en route avant le lever du soleil et revenir à la nuit tombée, exténués mais contents ! Tout le travail s’effectuait vouté et engendrait de lancinantes courbatures. À onze heures le labeur s’interrompait pour une pause bien méritée à l’abri de cabanes faites de bric et de broc, les loges. Là, silencieux et soucieux de ménager leurs forces, les viticulteurs partageaient le pain bis, mangeaient un bout de cochon ou un oignon en buvant la piquette, ce vin rallongé qu’ils ne pouvaient vendre.
Au milieu de la brume givrée, la robe noire de l’animal contrastait avec le tablier de drap blanc et les guêtres de toile claire de l’humain. Malgré le froid cinglant qui transperçait ses vêtements et s’engouffrait dans la paille de ses sabots, Tiremouche oscillait avec nonchalance, de droite et de gauche. À la façon de ces mégères qui se lamentent à longueur de journée, la souffrance insolente ne lui inspirait plus qu’indifférence. Bien qu’il fût d’un âge peu avancé, tout juste 40 ans, il trimbalait déjà un corps meurtri par un métier rude et ingrat. Sa peau tannée et fripée pleurait les trop longues heures passées sous le soleil brûlant, les rides profondes qui creusaient son visage suivaient chacun des sillons de son outil, ses mains crevassées et noircies racontaient la terre sombre et les grappes cramoisies de Genouillet*. Quant à son dos irrémédiablement arqué, il ne lui permettait plus de voir le ciel qu’avec beaucoup de peine.
Depuis Issoudun jusqu’à l’orée de Chârost, les vignobles parés de leurs capes cristallines mimaient à perte de vue la majesté des plaines immaculées de Sibérie. Le bourriquet allait librement, à un rythme immuable, les rênes pendantes sur le licol. Depuis longtemps Cadi n’avait plus besoin d’être guidé, ainsi les répits offerts par les trajets étaient mis à profit par son cavalier pour anticiper de savants calculs sur la vendange à venir ou, plus fréquemment, s’abandonner à la rêverie. En apercevant la Croix du loup, Tiremouche esquissa un sourire ; les arabesques rouillées marquaient la mi-chemin entre son village des Bordes et les coteaux du Clos du pied de l’ange. À la hauteur du fer forgé, il souleva son tricorne rabougri et se signa, autant par habitude que pour conjurer le mauvais sort, car très tôt on apprenait aux gamins de la campagne qu’il ne saurait y avoir de bonne récolte sans la divine providence.
 
*
 
Les premiers rayons de soleil blanchirent peu à peu la longue nuit et le matin s’installa, stérile du moindre gazouillis de mésange ou de rouge-gorge. Les petits plumages patients attendaient sagement le dégel, engourdis au creux d’une écorce condescendante, dépouillant par-là le décor de leur activité incessante et de leurs chants bucoliques. En approchant du but, Tiremouche se disait que si le ciel ne lui envoyait pas la pluie, il pourrait retourner avant le soir un demi-arpent dans le bas du coteau et que, par-dessus le marché, si cette clémence voulait perdurer trois jours il aurait terminé le labour plus tôt que l’année précédente. Espérant une réponse, son regard scruta la charmille avant de s’attarder sur un goupil roux qui fouillait l’or blanc près d’un perrier* dans l’espoir d’y dégoter une maigre pitance.
Alors que la forêt hibernait, une nuée criarde de corneilles déchirait l’horizon orangé par-delà la Côte des Chardons, au-dessus de la cime de grands chênes. Ce tohu-bohu se constatait parfois lorsqu’un gibier s’était laissé mourir sur l’humus ou que des braconniers p

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