Mort en plumes
114 pages
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Description


De fantôme de maison à fantôme d’investigation, il n’y a qu’un pas que Roger Fournier n’hésite pas à franchir pour poursuivre ses enquêtes d’outre-tombe. Et bien que le luxe bourgeois ne soit pas au rendez-vous, le plaisir de retrouver Tovelle compense bien les petits inconvénients de la vie provinciale. D’autant que le fantôme se fait fort d’aider l’inspecteur et son adjoint à élucider un nouveau meurtre.


Dans ce second opus, on retrouve le délicieux trio dans une ambiance années cinquante pour une enquête aussi passionnante que drôle.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 26 novembre 2018
Nombre de lectures 14
EAN13 9782374536224
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0045€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Présentation
De fantôme de maison à fantôme d’investigation, il n’y a qu’un pas que Roger Fournier n’hésite pas à franchir pour poursuivre se s enquêtes post-mortem. Et bien que le luxe bourgeois ne soit pas au rendez-vous, l e plaisir de retrouver Tovelle compense bien les petits inconvénients de la vie pr ovinciale. D’autant que le fantôme se fait fort d’aider l’inspecteur et son ad joint à élucider un nouveau meurtre. Dans ce second opus, on retrouve le délicieux trio dans une ambiance années cinquante pour une enquête aussi passionnante que d rôle. ***
Sophie Moulay est née un beau jour de... nous tairons l'année et nous contenterons de mentionner qu'elle a découvert les livres de la Bibliothèque verte au milieu des années 80. À ce moment-là, il était trop tard pour espérer la guérir du virus de la lecture ; elle s'y est donc adonnée ave c bonheur. Plus tard, elle découvre
les équations et les racines carrées et va même jus qu'à les enseigner au collège. Elle a commencé à écrire en 2007, mais c'est en 200 9 qu'elle imagine le personnage d'Almus, en s'appuyant sur l'expérience acquise au contact des adolescents.*** AUTRES TITRES : L'Élu de Milnor, saga fantasy en version Intégrale ou en 5 tomes Traque, d'un homme à l'autre, novella de Science-fiction Inhumaine, Retour aux sources, roman de science-fiction Drôle de mort, Enquêtes post-mortem - 1, polar
MORT EN PLUMES
ENQUÊTES POST-MORTEM - 2
Sophie MOULAY
38 RUE DU POLAR
Chapitre 1
Samedi 25 août 1951 Et une secousse! Encore une. Dire que jusqu’à présent, j’avais tou jours pensé que les voyages en train représentaient le summum d u confort. Mais c’était avant de passer des heures assis sur une malle avec les autr es bagages! De mon vivant, jamais je n’aurais envisagé de m’installer ailleurs qu’en première classe. Aujourd’hui, comme tous les samedis de vacances d’été, le train est bondé. Je n’ai même pas pu caser un orteil dans un compartiment! Une nouvelle secousse me projette contre la paroi. Je serre les dents sur un juron bien senti. Quand nous arriverons à Poitiers, j’ira i me plaindre au chef de gare. Il ne m’entendra pas, certes, l’un des inconvénients de l a mort. Malgré ma résolution et mes nombreuses tentatives, je n’ai toujours pas rég lé ce problème de communication avec les vivants. Après ce qui me paraît une éternité, le contrôleur secoue sa clochette afin d’annoncer la prochaine gare. Pourvu qu’il s’agisse de Poitiers! Bien sûr, l’employé ne prend pas la peine de passer la tête dans la voi ture des bagages pour m’en informer. Le cœur plein d’espoir, je reste bien ass is sur la malle de l’inspecteur Tovelle. Enfin, je vais le revoir. Ces derniers moi s auprès de ma famille m’ont empli de joie. Toutefois, il m’a manqué une petite étince lle qui rendrait ma mort moins routinière. Je me souviens parfaitement du jour où la lettre de Tovelle est arrivée à la maison, lettre que j’ai lue par-dessus l’épaule de mon gendre. Leduc, Ma nouvelle affectation est pleine de surprises, ma is j’ai enfin trouvé à m’installer. Pourriez-vous m’expédier mes affaires à Poitiers, a ux bons soins de la SNCF? Merci. Tovelle PS : Félicitations pour votre mariage récent! La personnalité de Tovelle imprégnait la missive. P as un mot de trop, pas une fioriture. Sans hésiter, j’ai sauté sur l’occasion de pimenter mon existence. La malle et moi débarquons sur un quai grisâtre. Je cligne des yeux, ébloui par la vive luminosité. Il ne faisait pas si beau ce matin à Valenciennes; le ciel bas couvait la ville, fermement accroché à la cime des arbres. Le vaillant soleil qui brille actuellement au-dessus de ma tête éclipse la laideu r des rails et la morosité du train de marchandises arrêté sur la voie voisine. Poitier s se pare d’un air de vacances. Je suis la malle et ses porteurs d’un pas guilleret. L a pendule sur le quai indique 16 h 02. Au moins sommes-nous à l’heure. Et puis soudain, mon cœur se fige. Cette haute silh ouette là-bas! Nul besoin d’effleurer la douceur du feutre pour reconnaître d ans ce chapeau un authentique Mossant d’avant-guerre et, quelques centimètres plu s bas, le visage impassible de l’inspecteur Tovelle. Je grimace. Il n’a toujours p as trouvé de tailleur convenable. Son costume marron donne l’impression de s’être liq uéfié sous la chaleur, entre la veste qui s’avachit sur les épaules et le pantalon qui joue de l’accordéon sur les chevilles. Je chasse cette terrible vision de mon e sprit et m’avance vers lui, sourire aux lèvres. Je marche si vite que je traverse la ma lle sans ressentir plus qu’un léger
frisson désagréable. — Mon cher Tovelle! Comment vous portez-vous? Son regard s’éclaire tandis que j’arrive à sa haute ur. L’espoir m’envahit; j’ai toujours eu le sentiment que Tovelle pouvait presqu e me voir.Presque.Il se penche, sa main me traverse pour aller tapoter la malle qui vient de s’arrêter derrière moi. Je ravale ma déception et m’écarte. Tovelle s’adresse aux deux porteurs. — Messieurs, je suis l’inspecteur Tovelle et voici ma malle. Je m’en charge, merci à vous. — Vous ne voulez pas qu’on vous aide à la porter? souffle l’un des deux. C’est qu’elle est lourde! — Mon collègue va arriver d’un instant à l’autre, n e vous inquiétez pas. Comme pour lui donner raison, un homme trapu émerge des escaliers souterrains. Le soleil se reflète un court instant dans ses lune ttes, puis l’inconnu nous rejoint à pas pesants. Il ne cesse de cligner de ses gros yeu x de hibou. Tovelle incline légèrement la tête vers lui. — Laporte, vous tombez à pic! Le nouveau venu grommelle quelques mots indistincts avant de saisir une poignée de la malle. Tovelle se charge de l’autre e t nous voilà tous les trois partis en direction des escaliers. J’en profite pour détailler le dénommé Laporte. Si je devine bien, il s’agit de l’adjoint de Tovelle, son fidèle acolyte, son ombre . Je fronce le nez, peu convaincu de prime abord. Un costume clair de bonne qualité, bien que froissé, enrobe sa silhouette courtaude. Ses cheveux touffus auraient bien besoin d’un rendez-vous chez le coiffeur, ils lui confèrent une allure négl igée qui ne me semble pas compatible avec la fonction de policier. Je me repr ends; inutile de se montrer si dur. Après tout, Tovelle ne payait pas de mine non plus quand nous nous sommes rencontrés. Et pourtant, il a résolu mon meurtre av ec brio. Alors que nous empruntons un embranchement dans les souterrains, Laporte sort un grand mouchoir à carreaux de sa poche et s’épong e la nuque. Aux dires des porteurs, la malle pèse son poids. Quelques pas plu s loin, un dernier escalier nous attend. Nous attaquons courageusement les marches q ui nous promettent un retour à la surface. Entre le rondouillard Laporte et le g rand Tovelle, la malle penche dangereusement. Un rire m’échappe, on dirait Abbott et Costello, les deux nigauds des films. Tout à coup, les vêtements de Tovelle m’ apparaissent comme un élément comique et je m’attends presque à voir Laporte esqu isser quelques pas de danse. Je m’esclaffe davantage. Heureusement, ils ne peuvent pas m’entendre. Nous débouchons sur une petite place tannée par la chaleur; les voitures s’agglutinent au pied des arbres efflanqués dans l’ espoir de profiter d’une miette d’ombre. — Je suis garé tout là-bas, ahane Laporte. Il désigne du menton l’autre bout de la place. Non, pas ça! gémis-je. Je veux croire à une erreur. Mais, seule au milieu d’un esp ace vide, la 4 CV ne laisse planer aucun doute. Nous allons rouler en quatre pattes. L a police de Poitiers n’a-t-elle donc aucune dignité? Ne peut-elle procurer de confortables voitures à ses inspecteurs, si souple, si? J’ai une pensée émue pour ma merveilleuse Bentley racée. Tellement luxueuse. À mille lieues de cette voiture populaire. Je chasse cette pensée de mon esprit. Rien ne viendra entamer mon e nthousiasme. Je suis à Poitiers, j’ai retrouvé l’inspecteur Tovelle! — J’habite à deux pas, objecte Tovelle. Nous aurons plus vite fait d’y aller à pied.
— Par quarante degrés dehors, c’est la crise cardia que qui m’attend, grommelle Laporte. — Un peu d’exercice ne vous fera pas de mal. La messe est dite. Nous traversons la place. Par ch ance, ma condition de fantôme me met à l’abri des ruissellements intempestifs et malodorants qui n’épargnent pas Laporte. En face, plusieurs hôtels se pressent les uns contre les autres. Afin de se démarquer de la concurrence, ils rivalisent de coul eurs et osent des noms aux consonances italiennes.Printania, Regina.Nous affrontons la circulation et gagnons l’ombre des hôtels. Un peu plus loin, un petit gara ge BP se niche contre ses grands frères; je comprends avec un temps de retard que Tovelle nous y emmène. Ce n’est pas possibleus d’un garage,! Je n’ai pas traversé la France pour loger au-dess m’éveiller au son des clés anglaises et des cris de s mécaniciens! Et pourtant, il faut bien croire que si… Mon enthousiasme se grippe à la vue des crics. Une volée de marches derrière une porte nous emmène au premier étage et de là, chez Tovelle. Les deux policiers déposent la malle dans une petite entrée que j’ai tout juste le temps de voir et nous voilà repartis. Laporte souffle ostensiblement tandis que nous effectuons le trajet en sens invers e, jusqu’à nous caser dans l’horrible quatre pattes bleue de la police poitevi ne. À peine assis, l’adjoint allume une cigarette. — Laporte, vous ne pouvez donc pas attendre! peste Tovelle. — J’ai bien mérité de m’en griller une après tous c es efforts. Je préférais quand vous fumiez aussi. — Oui, j’imagine. Avec force grommellements, Laporte écrase sa cigare tte dans le cendrier. Tovelle entrouvre discrètement sa vitre. Je le dévisage ave c admiration. Cela n’a pas dû être facile d’arrêter de fumerncentrer.; dans mes souvenirs, la cigarette l’aidait à se co Enfin, je dois me tromper. Tovelle n’a jamais eu be soin de quoi que ce soit pour élaborer ses magnifiques raisonnements. Après quelques minutes de route, je dois reconnaîtr e que cette voiture a quelques qualités. Sans égaler le confort de ma Bentley, au moins nous évite-t-elle les pires cahots. La quatre pattes affronte avec une étonnant e vaillance les rues très raides qui montent vers le centre de Poitiers. Les deux ho mmes échangent à peine quelques mots, mais je n’y prête guère attention. J e reste collé à la vitre en prenant garde de ne pas la traverser. Cela m’est arrivé une fois, j’en garde un souvenir un peu honteux. Au détour d’un virage, le panorama se dévoile. Une gigantesque passerelle en cours de construction surplombe la ga re et son boulevard; ses lignes droites nous emmènent en pensée vers un quartier de maisons claires accrochées à une falaise majestueuse. Mais déjà la quatre pattes poursuit sa route et des arbres viennent masquer la vue. Cinq minutes plus tard, nous nous garons devant un magnifique bâtiment tout en pierres ocre, sans doute un ancien hôtel particulie r dans lequel j’aurais pris plaisir à établir mes quartiers. La grille ouvragée, les lign es simples et le toit d’ardoises brillantes confèrent un air distingué à l’ensemble. Je souris. La police poitevine vient de remonter dans mon estime. Laporte s’extrait de derrière le volant avec un bru it humide. Je frissonne à l’idée qu’il était collé au siège par la chaleur. — Je parie que c’est la fournaise dans le bureau, ronchonne-t-il. Comment voulez-vous travailler dans ces conditions? Dans un bâtiment de cette classe, je travaillerai v olontiers quinze heures par jour! Je ne me prive pas de le lui faire savoir. Mais Lap orte se contente de fixer le
commissariat de ses gros yeux de hibou. Je décide d e l’ignorer et emboîte le pas à Tovelle qui gravit déjà les marches du perron. L’in térieur me conquiert : le cliquetis des machines à écrire se réverbère sous le haut pla fond et le sol de marbre clair me donne envie d’y effectuer des glissades, tel un enf ant. J’inspire à pleins poumons : une saine atmosphère de travail règne ici. Un escalier en bois ciré nous mène à une galerie en vahie par la pénombre. Néanmoins, mes deux acolytes connaissent parfaiteme nt les lieux puisqu’ils se dirigent sans peine vers une porte et franchissent le seuil. Les volets tirés maintiennent une fraîcheur relative et une odeur te nace de vieux cendrier, désagrément auquel Laporte s’empresse de remédier e n s’allumant une cigarette. Tovelle actionne l’interrupteur de porcelaine. L’ob scurité se retire dans des recoins et la lumière électrique révèle une petite pièce encom brée. Deux bureaux se tournent le dos, une armoire bloque l’une des deux fenêtres. Je soupçonne le décorateur d’avoir opté à dessein pour une peinture marron déprimante afin que les policiers n’aient d’autre choix que de garder les yeux rivés à leur t ravail. Bien que je sois mort et immunisé contre tous les troubles psychologiques ex istants, je me surprends à fixer le parquet, vaincu par la tristesse des murs. Avec son flegme légendaire, Tovelle va s’asseoir à son bureau. Cet homme a toute mon admiration. — Laporte, avez-vous terminé de classer les pièces du dossier Verdon? Les grosses chaussures de l’adjoint raclent le parq uet sans enthousiasme. — Oui, le voilà! — Très bien. Je vais écrire le rapport final pendan t que vous apporterez ces papiers aux secrétaires pour qu’elles les tapent. Tovelle et moi restons en tête à tête. Il commence à feuilleter le dossier Verdon. Je m’assieds sur le siège de Laporte. Non, ça ne va pas. Je tourne le dos à l’inspecteur. Comment mener une conversation dans c es conditions? Si seulement je pouvais interagir avec les objets! C’est l’un de mes regrets. On n’imagine pas la difficulté qu’il y a à être mort. Finalement, je va is m’appuyer contre le bureau de Tovelle. — Alors, comment trouvez-vous Poitiers? demandé-je. Ça m’a l’air assez sympathique, mais je ne suis arrivé que d’aujourd’h ui, tandis que vous, vous êtes ici depuis trois mois. À ce sujet, il faudra que nous d iscutions de votre appartement. Êtes-vous si mal payé pour ne pouvoir vous loger ai lleurs qu’au-dessus d’un garage? Pas de réponse. Tovelle s’empare d’un stylographe e t commence à noircir une feuille d’une petite écriture serrée. Je plains la secrétaire qui va devoir déchiffrer ça. — Enfin, je suis content que nous soyons de nouveau réunis. Nous avions fait des étincelles sur mon meurtre. Qu’écrivez-vous?Il est donc acquis que M. Verdon n’a pu se faire renverser par un coureur cycliste comme il le prétend.Qu’est-ce? Je parcours rapidement le rapport, sautant à l’occa sion un mot par trop mal écrit. Le plaignant déclarait avoir assisté au passage du Tour de France sur le boulevard Solférino. Le Tour de France à Poitiers? Cette épreuve infernale où des vélos se pressent les uns contre les autres des kilomètres d urant? Trois témoins affirment l’avoir vu à Poitiers-plage dans l’après-midi, parfaitement valide.Une vulgaire fraude à l’assurance? Voyons Tovelle! Où sont les affaires intéressantes? Quelque part dans l’univers, quelqu’un m’entend. La porte s’ouvre sur Laporte, plus décoiffé que jam ais. Deux clignements d’yeux plus tard : — Inspecteur! On nous signale un meurtre à Buxerolles!
Chapitre2
Samedi 25 août 1951 Mon cœur bondit dans ma poitrine. Un meurtre? Les affaires reprennent! Je presse Tovelle de se dépêcher, mais celui-ci s’acco rde le temps de terminer sa phrase et de reboucher soigneusement le stylographe . Il se lève enfin. — Le rapport Verdon attendra, déclare-t-il. Que sait-on pour le moment? Laporte jette un œil sur son calepin et lit en fourrageant dans ses cheveux de plus en plus hirsutes. — Le corps flottait dans le Clain. Il a été repéré au niveau du Café Guyonneau. À Buxerolles, donc. — Noyade? — Un médecin l’a déjà examiné et exigé qu’on nous a ppelle. C’est tout ce que Suzanne a réussi à noter. La personne au téléphone s’est montrée très confuse. Je repense à la bonne qui avait découvert mon cadav re. Cette âme sensible avait aussitôt versé dans l’hystérie. J’étais quant à moi parvenu à conserver la maîtrise de mes nerfs, non sans quelque difficulté. Se voir mor t dans son lit aurait ébranlé n’importe qui n’aurait pas possédé ma force de cara ctère. Je reviens à notre affaire. Je peux déjà déduire qu e notre premier témoin est une personne fragile, peut-être même influençable. J’ai hâte de voir ce que Tovelle, véritable maître en la matière, va tirer de son interrogatoire. Nous descendons l’escalier. — Dites-moi, Laporte, devrais-je connaître le Café Guyonneau? — Non, je ne vous en ai encore jamais parlé. C’est une guinguette un peu excentrée, mais très agréable. — Une guinguette? L’un de ces endroits où on écoute de la musique? Laporte cligne des yeux d’un air ahuri. — Ma parole, inspecteur, vous ne sortez jamais! On fait beaucoup plus que ça, dans une guinguette. On trempe ses pieds dans l’eau , on mange, on musarde, on peut se promener en barque. On peut danser aussi, d e la vraie danse, hein! On ne se trémousse pas comme les Américains. Je retourne un regard stupéfait à l’adjoint. Pour l a première fois depuis notre rencontre, il est sorti de sa réserve d’ours. Mais une ombre ne tarde pas à voiler son visagel air renfrogné. Tovelle fait; lorsqu’elle s’efface, Laporte a repris son éterne mine de n’avoir rien remarqué, mais je le connais, mon lascar. Rien ne lui échappe. — D’accord. Merci pour toutes ces informations! Si ma mémoire est bonne, Buxerolles se trouve au nord de Poitiers, n’est-ce pas? — Oui. En temps normal, nous y serions en un rien d e temps. Mais aujourd’hui, la circulation va être infernale. Fichus congés payés! Tovelle ne relève pas. Nous ne tardons pas à retrou ver la fournaise de la 4 CV. Quand Laporte se glisse derrière le volant, je peux presque entendre son costume couiner lorsqu’il adhère de nouveau au cuir du sièg e. Nous démarrons. Mon cœur bat la chamade dans ma poitrine tant j’ai hâte d’arriver sur les lieux du crime. Nous n’empruntons pas la même route que tout à l’he ure, mais il est clair que nous descendons la butte sur laquelle Poitiers se t ient. Les maisons se pressent contre les maigres trottoirs comme des sentinelles grises. Un coin de ciel bleu surnage à l’occasion entre les toits. Nous filons à vive allure et un sentiment de crainte s’instille en moi à mesure que je note l’ét roitesse grandissante des rues. La
quatre pattes enfile des ruelles si tortueuses qu’u n curieux instinct de survie me pousse à m’accrocher à la portière. Et puis soudain , une file de voitures à l’arrêt surgit devant nous. Laporte appuie de toutes ses fo rces sur le frein. Les yeux résolument clos, je hurle à pleins poumons. Ça y es t, j’en suis sûr, nous sommes morts! Contre toute attente, la 4 CV s’immobilise. J’entro uvre une paupière prudente. Notre pare-chocs avant ne se trouve qu’à quelques m illimètres de la voiture devant nous. — Ma parole! explosé-je. Vous voulez nous tuer! Où avez-vous appris à conduire? — Si je ne me trompe pas, nous voilà sur la place M ontierneuf? demande calmement Tovelle. — Exact, marmonne Laporte. Et là-bas, quand nous au rons réussi à nous extraire de cet amas de paresseux en vacances, ce sera le po nt de Rochereuil. Je m’interpose. — Excusez-mois guides de! Nous venons d’échapper à la mort et vous jouez le voyage? Les battements de mon cœur paniqué finissent par s’ apaiser et je recouvre ma lucidité. Un accident ne m’aurait pas tué, bien sûr! Mais cela aurait été dommage que le monde perde Tovelle! Nous progressons à une allure de tortue en directio n du carrefour. Dans l’habitacle surchauffé, Tovelle et Laporte échangent de temps à autre des banalités pour tuer le temps. Mes doigts ne cessent de tambouriner la portière dans un silence complet. — Mais où vont donc tous ces gens? s’étonne l’inspecteur. — Vers la Porte de Paris et après, ils prennent la Nationale 10. Je vous jure, c’est pareil tous les étés! À croire que certains n’ont rien de mieux à faire que de cuire dans leur voiture et d’ennuyer les honnêtes travail leurs. Laporte finit par s’allumer une cigarette. Tovelle et moi le fustigeons d’un même regard désapprobateur, mais gardons le silence. Les policiers ouvrent les vitres. Une odeur de bitume et de vapeurs d’essence s’infiltre dans la voiture. Je décide d’aller faire un petit tour à pied. Ce n’est pas comme si n ous allions pouvoir repartir dans les prochaines minutes. — Je reviens! annoncé-je à la cantonade. L’ombre de la fin d’après-midi mange la ruelle. San s le bruit et les miasmes de l’embouteillage, la promenade pourrait être agréabl e. Je distingue le pont et au-delà, l’une de ces falaises de calcaire qui semblent ento urer Poitiers. J’arrive au carrefour. Le panorama s’ouvre de tous côtés, pour l’heure env ahi de voitures. Loin sur ma gauche, une tour médiévale parfaitement incongrue s urnage dans l’océan de métal chauffé à blanc. La fameuse Porte de Paris dont par lait Laporte? Un rire bête m’échappe. Les Parisiens ont leur Arc de Triomphe, les Poitevins se contentent d’un vestige d’autrefois. Quelle différence de prestige! Tout en surveillant l’avancée de la circulation, je traverse le boulevard pour aller m’accouder au parapet du pont. En contrebas, l’eau de la rivière, sans doute le Clain, s’écoule calmement, indifférente aux rituels migratoires des humains. Sur chaque rive, des arbres touffus paressent, leurs do igts effleurant la surface de l’eau. Un souffle d’air parfois leur arrache un soupir fat igué. Je profite de la vue pendant quelques minutes, puis l’impatience me gagne de nou veau. Nous sommes attendus! Une victime innocente a besoin de nous! Enfin, centimètre par centimètre, la vaillante quatre-pattes se fraie un chemin dans l’embouteillage. Il est temps pour moi de rejoindre mes collègues liquéfiés par la
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