Du sang sur la main
51 pages
Français

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Description

L’hôtel particulier d’une comtesse russe a été aménagé en fumerie d’opium pour une riche clientèle dépravée.


Un soir, Théodore ROUMA, le célèbre cambrioleur justicier, s’infiltre dans les murs en compagnie d’un homme de main, se faisant passer pour des drogués venus s’adonner à leur vice.


Pendant que son compagnon détrousse les fumeurs durant leur somnolence, Théodore ROUMA décide de visiter les étages.


Soudain, il entend comme un gémissement dans une chambre.


Il s’approche et aperçoit un individu allongé sur le lit, la poitrine en sang, pendant qu’un inconnu est en train de fouiller dans les tiroirs d’un bureau...

Sujets

Informations

Publié par
Nombre de lectures 3
EAN13 9791070033920
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0007€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

DU SANG SUR LA MAIN

Par
Jean d’AUFFARGIS
CHAPITRE PREMIER
MEURTRE DANS LA FUMERIE
 
Cela ne semble pas bien malin de passer devant une porte, d'attendre quelqu'un qui n'arrive jamais, ou, quand la nuit est tout à fait tombée, car la « planque » a été longue, de respirer innocemment l'air du Bois… tout en ayant l'œil sur les voitures qui s'arrêtent, les gens qui en descendent rapidement pour disparaître ensuite dans une maison tapie derrière l'écran d'une grille chargée de lierre. Cette besogne exige, au contraire, beaucoup de caractère et d'habileté et aussi une attention soutenue.
Voilà trois heures que Gilbert la menait à bien. Il avait compté jusqu'à présent dix-sept personnes arrivées par couple ou bien séparément, de vingt à vingt-trois heures. Du beau monde… Et comme Gilbert savait par cœur son Tout-Paris, il n'avait pas eu de peine à identifier certaines personnalités de la finance, du théâtre, des courses et même un sénateur et la femme d'un gouverneur des Colonies.
C'était un homme d'une cinquantaine d'années, droit, sec, rigide comme un maître d'hôtel. Son masque, comme buriné dans de l'ivoire ancien, vivait surtout par le regard. Valet de chambre, depuis dix ou douze ans, de Théodore Rouma, il se considérait à juste titre le plus proche collaborateur du prestigieux et insaisissable aventurier, du monte-en-l'air aux cent noms et aux incarnations multiples, dont les exploits décuplaient les tirages de la presse d'information et surexcitaient l'imagination d'un public fatigué du monotone concert des nations et de la progression continue des restrictions, pour qui la lecture des prouesses d'un Rouma correspondait à un besoin naturel d'évasion. Si le bourgeois frémissait parfois, car, enfin, Rouma, quoiqu'opérant avec élégance, en avait à ses biens, la femme la plus sage se voyait déjà transformée en héroïne d'un roman d'amour où un beau cambrioleur mondain remplaçait pour elle l'amant adorablement mystérieux des lectures de l'adolescence. Parce que, disait-on, la vie amoureuse de Théodore Rouma égalait son existence aventureuse.
Mais, ce soir-là, si Gilbert s'obstinait boulevard Maurice-Barrès, à quelques pas de la porte Maillot, c'est que le « patron » avait décidé de lever un « impôt » particulièrement lourd sur une catégorie de désœuvrés pliés sous la domination de l'opium.
— Néophytes, récidivistes, blasés, détraqués qui pensent que l'illusion s'achète, sacrifient au même culte dans une maison proche du Bois de Boulogne, avait énoncé Rouma. Il est temps que nous allions voir cela de près. Ce leur sera une leçon… Et pour achever de tranquilliser notre conscience, nous enverrons un chèque au Centre de désintoxication de Paris.
Cette façon d'apaiser ses scrupules, c'était bien dans la manière légèrement cynique de celui qui, après avoir subtilisé les diamants de lady Reafbury, signait un chèque de huit millions au profit de l'Assistance Publique (1) .
Gilbert s'était gravement incliné. Ce valet de chambre, aussi impassible qu'un vieux marabout, rien ne le déroutait et Rouma lui eût-il proposé d'aller en enfer cambrioler Satan que déjà le passe-partout, le ouistiti, le rossignol, la torche électrique, tout eût été prêt.
— Où en sommes-nous ? souffla une voix basse près de lui.
Gilbert ne tressaillit pas. Dans l'obscurité à peu près totale à cette heure, sur ce boulevard jamais éclairé, il avait reconnu le pas feutré du « patron ». Grand, mince, l'allure dégagée, trente-cinq ans environ, des yeux sombres dont on soutenait difficilement le regard et où brillait une flamme singulière, des cheveux bruns intacts, à peine grisonnants aux tempes, surmontant un front large, le visage mat, le pli des lèvres railleur, tel se présentait celui auquel tant de filles et de jeunes femmes dédiaient sans doute à cette heure-ci le meilleur de leurs rêves. Il était vêtu d'un complet bleu clair d'un goût sûr, cravate et feutre assortis, ensemble qui eut pu compromettre l'élégance de tout autre que lui.
— Une vingtaine de clients, patron, murmura Gilbert. Le dernier est entré voici une demi-heure. Ce doit être complet, maintenant.
Il s'interrompit. Dans la nuit tranquille, crissa un pas nonchalant. Ils virent à cent mètres de là, une lueur promenée sur la longue grille de fonte noire, festonnée de lierre qui, uniformément jusqu'au Rond-point des Sablons, enclot les villas et les hôtels particuliers du boulevard.
— Les vigiles font leur première ronde, dit Gilbert. Voici trois soirs que je les surveille. Nous pouvons entrer, la porte reste ouverte.
Ils traversèrent sans se presser une pelouse piquée d'arbrisseaux protecteurs et coupée d'une allée à gravier rose, escaladèrent un court perron et sonnèrent trois fois, puis deux. La maison, large et basse, comptait avec le rez-de-chaussée surélevé, un unique étage. Les fenêtres, fermées malgré la douceur de la saison, ne laissaient filtrer aucune lumière.
Le battant s'ouvrit, sans bruit, sur un personnage que l'ombre épaisse d'un vestibule ne permettait pas d'identifier. Sans mot dire, Rouma avança la main. La silhouette se pencha sur le petit carton qu'il lui tendait.
— C'est la première fois ? dit-elle sans surprise.
— Oui, la première, répéta Rouma qui comprit qu'il avait affaire à une femme plus très jeune.
Elle repoussa alors la porte, la verrouilla, tira une tenture et actionna un commutateur. Elle semblait attendre quelque chose. Rouma tira de son portefeuille deux billets de mille francs qu'elle reçut avec détachement.
Tout était silencieux en cette femme, sa démarche et ses mouvements avaient cette lenteur grave et recueillie qui imprime le respect. Mais sa contenance semblait être le résultat de l'habitude et mille choses étaient écrites sur son visage plein d'expression où se retrouvaient, sous les marques du temps et certainement des passions, quelques traces d'un éclat dont elle avait dû être jadis orgueilleuse.
Elle les introduisit dans un petit salon meublé à l'orientale, discrètement éclairé de bleu et s'en fut sans plus se soucier d'eux.
Un Chinois sans âge se leva à leur entrée et, sans mot dire, leur fit comprendre du geste qu'ils avaient à revêtir des kimonos ornés de dessins compliqués. Tout se passait selon un rite immuable, comme mécaniquement. Quand ce fut fait, le Jaune esquissa une grimace qui voulait être un sourire ; il souleva une tapisserie, poussa une double porte capitonnée, et tourné vers les deux hommes, ploya l'échine :
— C'est là ! murmura-t-il simplement, d'une voix zézayante.
Une odeur caractéristique les prit à la gorge et les immobilisa sur le seuil. Ils se trouvaient dans une fumerie d'opium, agencée clandestinement à quelques minutes de la porte Maillot. On y voyait mal, mais au bout de quelques secondes, ils distinguèrent néanmoins plusieurs êtres étendus sur des nattes et sur des coussins. Nonchalamment, ils fumaient des pipes dont un second boy chinois remplissait de temps à autre le fourneau. Le regard à demi éteint, ils poursuivaient le rêve dans lequel les plongeait la drogue. Pour Rouma, l'occasion s'était déjà présentée de visiter une fumerie, mais en dépit de tout son flegme, une crainte sourde s'emparait de Gilbert dont c'étaient les premiers pas en ces...

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