Margot
136 pages
Français

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Description

Le roman policier est le meilleur alibi pour pénétrer l'intimité des femmes et des hommes ordinaires, des sans histoires jusqu'à ce qu'une mort violente révèle leur complexité, leur originalité. Ainsi en est-il, à l’automne 1951, pour les habitants d'Ebrai, village normand, dont le train-train est mis à mal pas l'assassinat d'une jeune fille : Margot. Dans le monde paysan d'après-guerre, la coutume et ses tabous règnent encore en maître. Pour les jeunes villageoises qui désirent échapper au poids de la terre, la clandestinité s'impose. Voilà pourquoi Margot ne prendra pas l'autobus pour Carentan, mais se dirigera vers le souterrain abandonné qui sert de lieu de rendez-vous à la jeunesse. Voilà pourquoi son assassin l'attendra sur le sentier forestier qui mène au souterrain. Le commissaire Mathias Joffrey comprend vite qu’à Ebrai, deux clans hostiles cohabitent sous le regard désabusé d'un vieux châtelain. Un drame se joue avec la victime dans le rôle de Juliette et le fils du maire dans celui de Roméo. Pour le commissaire, ancien résistant dont le groupe est tombé en 1944 alors qu'il était réfugié dans le souterrain de la forêt d'Ebrai, le retour dans ce village n’est pas sans conséquence.

Informations

Publié par
Date de parution 26 octobre 2015
Nombre de lectures 3
EAN13 9782312037738
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0012€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Margot

Patricia Bertin
Margot


















LES ÉDITIONS DU NET 22, rue Édouard Nieuport 92150 Suresnes
A Sylviane qui, pour Margot , a eu toutes les patiences et pour son auteur tant de sincérité.





Autres publications de l’auteur :

Pourtant que la montagne est belle...
Maud, ou l’illusoire résilience
L’inondation
Car mon péché, moi, je le connais...












© Les Éditions du Net, 2015 ISBN : 978-2-312-03773-8
Chapitre I
M ARDI 30 OCTOBRE 1951





Le monde est un vaste temple dédié à la discorde .
(Proverbe français)

Au chaudron des douleurs, chacun porte son écuelle.
(Proverbe français)
En ce début d’après-midi grisâtre d’octobre, le commissaire Mathias Joffrey se sentait d’humeur maussade. Pas à cause de son patron, Robert Mauvoisin, qui l’avait convoqué dans son bureau pour lui balancer :
« Prenez vos bottes en caoutchouc, une fille de ferme s’est fait trucider à Ebrai {1} ! Vous connaissez le bled, y paraît !
Et qui, sans attendre de réponse, avait ajouté, en plongeant le nez dans un dossier posé sur son bureau comme un accessoire de décor :
– À la mairie, le gendarme Émile Turbeaud vous expliquera la situation. »

Non, ce n’était pas à cause de son patron, né dans les faubourgs de Paname, qui ne ratait jamais l’occasion de rappeler à son subalterne ses origines paysannes. Ni à cause de la route sinueuse au milieu de nulle part qu’il devra emprunter matin et soir durant toute la durée de l’enquête. Il aimait conduire sa Citroën Traction Avant achetée en 48. Qu’importe si la gestapo avait jeté son dévolu sur ses rondeurs et son intérieur de cuir avant que les FFI n’en fassent leur voiture de prédilection. Conduire le détendait. Assis derrière un volant, il oubliait sa démarche claudicante.

Le fait est qu’il ne l’appréciait guère, son patron. Le commissaire divisionnaire Robert Mauvoisin était aigri, un frustré de la gloire. L’homme avait été fidèle au Maréchal par confort, mais sans plus. En poste dans un commissariat de quartier à Paris pendant toute l’occupation, il avait réagi comme il avait pu en mettant au service de l’ordre allemand la lenteur de l’administration française. Son patriotisme le conduisait à pourchasser les profiteurs du marché noir et les métèques. Mais quand un petit gars de chez nous tombait, le fonctionnaire renâclait à la besogne. Après le service, il buvait un canon chez Mauricette, propriétaire du troquet en face de son turbin. Au bistrot, avec ses collègues, il parlait boulot assez fort pour que les oreilles indiscrètes glanent quelques informations. Il avait aussi égaré quelques lettres de dénonciation. Mais surtout, et cela avait pesé lors de son procès, il avait fermé les yeux sur les entorses au règlement de l’un de ses agents membres des FFI.

Il avait conservé son grade, mais perdu tout espoir de promotion. Mais ce qu’il digérait le plus mal, c’était sa mutation à Saint-Lô, lui le gamin de Ménilmontant qui rêvait du Quai des Orfèvres. Et pour nourrir ses maux d’estomac, il était contraint de travailler avec le commissaire Mathias Joffrey en poste depuis la fin de la guerre. Joffrey avec sa gueule de beau ténébreux, sa canne en guise de légion d’honneur et sa réputation. Joffrey, ce salaud de héros !



Mathias, au volant de sa Traction, s’enfonçait dans la campagne normande. Son spleen l’enveloppait comme un brouillard. Un temps, il avait cru que l’indifférence suffirait. Mais l’indifférence demande tant d’efforts. Il détestait le 30 octobre, jour de son anniversaire : trente-six ans ! Pas de rides, mais tant de cicatrices. Quelle crétinerie de célébrer une naissance pour un homme qui avait dû renaître des cendres de son amour pour l’amour de leur enfant.

Leur Juliette avait quatorze ans. Son visage ovale qu’ornaient de larges yeux noisette, un nez légèrement retroussé, une bouche généreuse sans être charnue, qu’encadrait une longue et épaisse chevelure auburn, portait avec une fidélité effrayante les traits de sa mère. Sa mère, jusqu’aux fossettes que dessinait son sourire, jusqu’aux rides que provoquaient ses larmes.
La semaine, l’adolescente vivait au pensionnat de jeunes filles de Saint-Lô. Le week-end, elle le passait chez son père. Durant les vacances, ses grands-parents paternels la recueillaient dans leur ferme à Lequêne. Juliette devenait difficile. La citrouille se transformait en carrosse. Son père se sentait impuissant à la guider. Car au-delà de l’obscure mutation du corps, l’homme s’inquiétait de la métamorphose des sentiments. Une ombre grandissait entre ces deux êtres liés par le sang et le deuil.


Un tracteur surgit d’un champ, obligeant Mathias à ralentir. Il se réveilla à une réalité plus rassurante. Une réalité où la douleur et la peur hantaient le corps et la conscience d’individus hors du champ de ses affections.
Les caprices de la départementale n’offrant guère de possibilités de dépassement, la Traction adopta l’allure de la machine agricole. Mathias s’intéressa au paysage. Dans ce paysage d’automne, aux couleurs alourdies par les pluies, de l’herbe des champs à l’écorce des arbres, de la terre labourée par la charrue aux sols des chemins damés par le pas des marcheurs, de la pierre des murs aux tuiles des toitures, tout paraissait plus mate. L’atmosphère humide assourdissait les sons comme une ouate spongieuse. Décidément, Mathias n’aimait pas cette saison. Il préférerait un hiver franc et dur où le givre rendait les aubes cristallines.


Ce paysage, c’était celui de son enfance… Lequêne, situé au sud de Saint-Lô, était un bourg d’importance. Il possédait une école primaire avec plusieurs classes, une élite composée, outre du maire et du curé, d’un docteur, d’un notaire, du directeur d’une laiterie et d’un propriétaire de haras. Comme tous les fils de paysans, le jeune Mathias en culotte courte avait gardé les vaches aux champs et guidé les chevaux aux labours. Des journées rudes pour tous. Mais le petit gars ne s’en plaignait pas. À cette époque, le garnement possédait une portion de liberté qu’il dévorait avec appétit. Le petit couteau, reçu pour son septième anniversaire, lui tenait compagnie dans ses escapades d’où il revenait la besace garnie d’œufs de pie, d’escargots, de châtaignes, de noisettes, de champignons, de pissenlits, de tout ce que le bocage offrait aux dégourdis. Mais la chasse la plus fructueuse restait celle des vipères qu’il assommait avec son bâton de vacher et décapitait avec son couteau de poche. Il revendait cinq centimes ses trophées au garde champêtre qui les brûlait. Une année, il gagna même la prime offerte par le maire de Lequêne pour la chasse aux nuisibles.

En grandissant l’enfant découvrit un autre langage que celui des saisons et des humeurs du ciel. Il entrevit alors l’immensité du monde.
Il adorait l’école que son père condamnait comme une perte de temps :
« S’asseoir dans une salle chauffée tout l’hiver pour écouter des parlottes toute la sainte journée, c’est bon pour les feignants ! »
Mais le directeur de l’école, un coriace, ne supportait pas tous ces talents gâchés par des préjugés d’un autre siècle. Il était intervenu pour que Mathias poursuive sa scolarité au-delà du certificat d’études.
« Vous avez trois garçons et deux filles. Si je vous en prends un, il vous en reste deux pour la ferme.
– Pendant qu’il est assis devant votre tableau noir, qui c’est qui paie sa nourriture ?
– Je le prends en pension. Il me donnera un coup de main contre le gîte et le couvert. »
Le père avait considéré ses cinq marmots comme on soupèse des bêtes à vendre à la foire. Il avait resservi du cidre, et prononcé, en levant sa bolée, un sonore : Tope là !

Cette conversation avait eu lieu l’année du certificat d’études de Mathias. Le gosse n’avait pas eu son mot à dire. Il aurait manqué plus que ça ! Ah le collège, quelle étrange délivrance se cachait derrière les murs du pensionnat et les pages des livres. Pour le collégien, le paysage qui s’estompait n’était pas celui du bocage qui avait abrité ses jeux, mais le paysage sonore aux résonances épaissies par les diphtongues du patois normand. La honte qui le taraudait ne provenait pas de sa fuite devant les moqueries de ses camarades de classe qui imitaient grossièrement sa parlure, mais venait du trésor qu’il venait de découvrir et qu’il ne pouvait pas partager avec les siens au village : une lan

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