Meurtres du côté de chez Proust
154 pages
Français

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Meurtres du côté de chez Proust , livre ebook

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Description

1895. Marcel Proust et son ami, le musicien Reynaldo Hahn, passent leurs vacances en Bretagne. Ils se rendent à Belle-Ile pour saluer la grande Sarah Bernhardt puis ils séjournent à Beg-Meil, la station balnéaire de Fouesnant encore méconnue. Durant ces semaines qu'ils espèrent agréables, une succession de drames et de crimes les accompagne comme si la délinquance s'était accrochée à leurs basques.

Quel est donc le plan diabolique concocté par Augustin Kérel, l'ancien bagnard ?

Le docteur Motel préfère-t-il l'argent au serment d'Hippocrate ?

La jeune Albertine a-t-elle raison de croire encore à l'amour ?


Naufrages suspects, chasse à l'homme et meurtres sanglants jalonnent cette histoire troublante pour le plus grand bonheur de Samuel Pinkerton, le fin détective chargé de dénouer l'écheveau des passions qui conduisent au crime. Inexorablement.

Informations

Publié par
Date de parution 25 mai 2015
Nombre de lectures 286
EAN13 9791094725580
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0060€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Meurtres du côté de chez Proust
Serge Le Gall
38, rue du Polar
Tout occupés des découvertes atroces où Proust nous engage, nous nous laissons, nous aussi, gagner à son indifférence pour tout ce qui n’est pas cette implacable recherche. François MAURIAC
Nous aurons pour otages ces captives divines qui suivront notre chance. Et la mort avec elles a quelque chose de moins amer, de moins inglorieux, peut-être de moins probable. Marcel PROUST
1
On aurait dit que le temps allait changer. Au loin, au-dessus de la presqu’île de Quiberon noyée dans une brume de chaleur tirant vers le gris, le soleil ne concédait pas un pouce de ciel. C’était plutôt du côté du continent que l’évolution climatique semblait vouloir exprimer sa volonté orageuse, voire son nouveau caprice.
Des nuages plombés approchaient en rangs serrés par le nord-ouest. Ils avaient louvoyé entre Groix et Port-Louis avant de venir s’effilocher ici, comme de l’étoupe à calfater, à l’aplomb du cordon ombilical reliant la presqu’île au reste du monde.
Comme souvent en ce lieu géographique particulier, le climat prenait un malin plaisir à faire mentir les prévisions. Il prenait à contre-pied les évidences météorologiques en instillant une pointe d’originalité dans le décor.
Du côté du golfe du Morbihan, le temps apaisé persistait et l’onde nonchalante montant de l’océan Atlantique grignotait inexorablement des étendues nauséabondes de vase grisâtre et visqueuse où s’activaient laborieusement des nuées de petits crabes pressés. Sur la face opposée, directement tournée vers le large, la mer lançait des bataillons de rouleaux grognons frangés d’écume à l’assaut des herbus austères.
À l’heure du flux, la presqu’île allait naturellement séparer l’océan fougueux des eaux plus tranquilles et s’approprier l’azur disponible, laissant la part de ciel moins clément à ces pauvres terriens. Ces farouches défenseurs du continent ne comprendraient jamais rien à l’essence même de l’insularité.
Le front appuyé sur la vitre maculée de traînées brunâtres dues aux embruns, le voyageur un peu fatigué songea, un court instant, à quelques phrases écrites par Hippolyte Taine, décédé depuis presque deux ans.
À une époque, le philosophe participa aux épreuves d’admission à l’École Militaire de Saint-Cyr. En parcourant la presqu’île, il nota scrupuleusement dans son carnet de voyage les émotions qui l’assaillirent quand il découvrit Quiberon : La double mer. L’une, d’un bleu intense et immobile ; l’autre, écumeuse en vagues incessantes, la mer sauvage…
Au terme de cet itinéraire éprouvant, le passager du train vérifiait combien le souvenir qu’il avait de cet écrit épousait parfaitement la réalité qui s’offrait à son regard mélancolique.
2
Le train ralentit en entrant dans la légère courbe annonçant le seuil invisible de la presqu’île. Le mécanicien, le corps adroitement penché au dehors de la machine trapue et fumante, accompagnait le mouvement du convoi qui semblait faire sa révérence au golfe du Morbihan.
Les lunettes rondes évoquant le roman 20 000 lieues sous les mers de Jules Verne, publié depuis un quart de siècle déjà, lui conféraient un air de globicéphale cruellement extrait de son milieu naturel. Peu lui importait l’inesthétique de l’objet usuel pourvu qu’il soit efficace. Cette encombrante paire de lunettes le protégeait contre les retours de fumée chargée de suie rabattue parfois brusquement vers la machine par le vent du large s’en donnant à cœur joie. Alors, comme s’il mettait en scène le geste traditionnel d’une affreuse sorcière balayant la plate-forme, le tourbillon malin dérobait au foyer rougeoyant quelques brûlantes escarbilles qui fusaient çà et là en crépitant.
D’un geste maintes et maintes fois répété, le conducteur tira sur la cordelette libérant immédiatement un jet de vapeur très blanche. Le sifflement strident ainsi engendré marqua symboliquement l’instant où le convoi ferroviaire abandonnait la quiétude de la terre ferme pour se risquer sur cette langue de terre à l’avenir somme toute incertain. Dans l’histoire de l’insularité, le pouvoir a toujours été détenu par l’océan.
Le jour de l’inauguration de la ligne de chemin de fer, le dimanche 23 juillet 1882, notre homme était présent. Il n’était pas encore le conducteur de locomotives d’aujourd’hui, calme et expérimenté, mais simplement un jeune apprenti, curieux et intrépide, embauché à tout faire sur cette nouvelle desserte qui semblait promise au plus bel avenir. Il ne savait pas encore que, bien des années plus tard, il serait le titulaire d’un poste envié par ses collègues de la gare d’Auray.
Depuis ce temps-là, à chaque fois ou presque qu’il pénétrait sur le territoire de la presqu’île, il se souvenait, le temps de quelques images fugaces, mais étonnamment précises, de ce moment si particulier qu’il avait vécu en ce dimanche ensoleillé.
Le premier train rutilant était pavoisé d’une multitude de drapeaux tricolores comme si une guerre venait d’être fièrement gagnée et que le peuple fêtait la victoire. Il roulait vers Quiberon d’un pas de sénateur pour permettre à la population massée sur le parcours de jouir pleinement du spectacle qui lui était offert en ce jour historique.
Quelque temps plus tôt, la construction de la ligne avait suscité bien des polémiques. D’aucuns avaient pointé du doigt l’activisme des habituels réfractaires à la moindre évolution. Ceux-ci avaient taxé le nouveau moyen de transport de fossoyeur de la vie presque insulaire. Ils n’ignoraient pas que le but avoué de l’opération était plus stratégique que touristique. Le chemin de fer allait permettre en effet d’approvisionner plus facilement les batteries de la côte et Belle-Ile en munitions. Cependant, ils devinaient aisément que l’utilisation du chemin de fer ne s’arrêterait pas en si bon chemin. L’avenir devait leur donner amplement raison.
Les autres, personnellement intéressés par un développement commercial qu’ils pressentaient ou tout simplement ouverts à la nouveauté et au progrès, applaudissaient l’initiative. Ils étaient même impatients de vivre le jour où le premier train déverserait son lot de passagers émerveillés sur les quais de la petite gare et ils les espéraient enclins à délier leur bourse pour fêter joyeusement l’événement.
Le train appartenant à la Compagnie des Chemins de fer d’Orléans prit un peu de vitesse. La voie rectiligne qui filait vers la mer n’exigeait plus une allure si mesurée que des enfants auraient pu monter sur la plate-forme des wagons sans grand risque de chute.
Les conifères plantés là sur des vallonnements de sable, de part et d’autre de la voie, semblaient être autant de stèles érigées à la mémoire de tous ces Émigrés défaits en 1795 par l’armée du général Hoche.
Ils avaient résisté durant des heures interminables, ces courageux chouans. Lazare Hoche, jeune général en chef de l’Armée Républicaine de l’Ouest, leur opposait une troupe plus nombreuse et mieux armée. Pour beaucoup de ces insurgés royalistes, le destin était de s’écrouler là, mortellement blessés, quelque part entre mer et continent, en ce lieu où ils avaient tant espéré trouver le refuge inexpugnable.
De saison en saison, les vents d’ouest avaient fait ployer ces arbres afin d’éprouver régulièrement leur résistance. Ceux-ci en avaient d’ailleurs gardé de sérieuses séquelles les contraignant à présenter une image penchée, tordue ou décharnée. Mais sans choir.
En ce jour du 4 septembre 1895, un siècle après la reddition, il y avait comme un regain de courage qui animait ces ramures.
3
Marcel Proust lissa méthodiquement sa fine moustache avant de passer la main ouverte dans ses cheveux afin de les rendre plus dociles. Le gardénia qu’il portait à la boutonnière n’arborait plus la fraîcheur éclatante qu’il affichait au moment de quitter Dieppe.
Madeleine Lemaire, son hôtesse, s’était délicatement penchée vers le jeune homme pour fixer la fleur resplendissante à son revers. Puis, dans un mouvement léger empreint d’un charme suranné, elle avait approché son visage du sien annonçant ainsi qu’elle voulait l

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