Private eye
15 pages
Français

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Description


Private eye

Un tueur en série bouleverse la tranquillité de la ville côtière d'Aldeburg dans le Comté de Suffolk en Angleterre, et par là même les vacances du commisaire Langsamer.





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Informations

Publié par
Date de parution 02 mai 2013
Nombre de lectures 7
EAN13 9782823806908
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0011€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

couverture
Jean-François Pré

Private Eye

images

Sous ses airs de gros ours bourru, Georges Langsamer cachait une sensibilité artistique. Un peu le cliché de la bête au cœur tendre, vieux comme Cocteau… mais Langsamer se foutait bien des clichés, autant que de l’image qu’il reflétait. Depuis sa retraite, il pouvait s’adonner sans retenue à ses deux passions : le golf, pour la santé du corps, et la musique, pour celle du cerveau. Il disait toujours « musique » et jamais « musique classique » car, pour lui, il n’existait qu’une forme musicale. Toutes les autres relevaient d’un tintamarre impropre à un bel esprit.

Ancien patron du commissariat de Deauville, Langsamer avait gardé ses pénates et ses habitudes dans la station normande. Il ne la quittait que pour s’adonner aux joies culturelles de la capitale ou participer à certains festivals comme celui de Snape Maltings, une bourgade voisine d’Aldeburg, ville côtière du Comté de Suffolk, en Angleterre, où avait vécu Benjamin Britten.

Britten était un des compositeurs préférés de Langsamer et sa ville lui rendait hommage à travers un festival que l’ex-commissaire se piquait de ne jamais rater. Il descendait toujours dans ce même hôtel de poche qui donnait sur la promenade longeant la plage. À mi-chemin entre la pension de famille et le B&B, il ressemblait à une bonbonnière que n’aurait pas reniée Agatha Christie. Tout juste arrivé, sans même avoir eu le temps de défaire ses bagages, Langsamer était en train de savourer le programme du festival quand son téléphone cellulaire se manifesta par les premières notes de la 40e de Mozart.

— Hello, c’est John. Bienvenue chez le grand Ben, Big Ben… ah, ah, ah ! (Le rire fit écho dans le haut-parleur. Un rire so british.) Je ne te dérange pas, au moins ?…

Langsamer grogna que non mais n’en pensait pas moins. Partagé entre le plaisir d’entendre son vieux complice, le superintendant John Trevelyan avec lequel il avait résolu quelques d’affaires, de part et d’autre du Channel, et la crainte d’être sollicité pour une nouvelle énigme à un moment où il ne fallait vraiment pas le déranger. Un petit rien suffirait à gâcher la fête. Lorsqu’il s’immergeait dans les abysses de la musique, Georges Langsamer devenait imperméable au monde extérieur. Toute ingérence était alors perçue comme un acte de guerre.

— As-tu lu la presse ? demanda Trevelyan.

— Pas eu le temps, vient d’arriver.

 Well. Alors, repose-toi ! Quand tu le pourras, jette un coup d’œil aux journaux. Es-tu libre pour dîner ?

— Le festival ne commence que demain.

Ça voulait dire : tu as jusqu’à minuit pour m’emmerder. Trevelyan le comprit ainsi. Avec un sourire en coin, il enchaîna :

— Très bien. Je passe te prendre à 6 heures et t’emmène dans le meilleur restaurant du coin. Ça te fait plaisir au moins ?

Langsamer avait autant envie de sauter de joie qu’un veau partant à l’abattoir. Meilleur restaurant du coin, ça voulait dire quoi en anglais… moins dégueulasse ? D’un ton qu’il s’évertua à rendre courtois, il émit un « oui » à peine audible. Comment peut-on avoir faim à 6 heures du soir ? se scandalisa l’ex-commissaire, touché dans sa franchouillardise. Au fond de cette province reculée de l’East Anglia, loin du cosmopolitisme londonien, l’Angleterre veillait à la sauvegarde de ses traditions.

Sir John Trevelyan semblait sortir d’une nouvelle de Somerset Maugham. Grand, élancé, le teint légèrement couperosé, des yeux gris-bleu qui respiraient la vivacité d’esprit et l’inévitable moustache « de chiendent » poivre et sel, ciselée avec une précision d’orfèvre. Élégance vestimentaire à base de tweed et de cachemire… Couverture d’un roman de gare. Rompu à l’école de Scotland Yard, Sir John avait gravi tous les échelons pour finir au sommet de la hiérarchie policière d’une petite province calme. Enfin, pas si calme…

— Alors, tu as lu la presse ? s’enquit-il.

Langsamer hocha la tête, sans quitter des lèvres sont verre de Talisker, vingt ans d’âge.

— Qu’en penses-tu ? demanda Trevelyan, pressé de recueillir l’avis de son ex-collègue.

— Que veux-tu que je pense de ce pia-pia journalistique ? Foin de sensationnalisme… Il me faut de vraies infos.

— Ça veut dire que tu vas nous donner un coup de main ? lança Trevelyan, une lueur d’espoir perçant son regard clair.

— Le festival ouvre avec la Simple Symphony, que je connais par cœur, et un petit quatuor. Ça, à la rigueur, je peux zapper… Ce sont les deux opéras de Britten, Peter Grimes et surtout Billy Budd, que je ne manquerai sous aucun prétexte. Ça me laisse un peu de temps pour fourrer le nez dans ton affaire.

Adepte de l’autodérision, Langsamer ne manquait jamais de faire allusion à son « blair », qui faisait oublier le reste de son visage. Plutôt commun, avec des bajoues rosies par l’abus de bonne chère, des sourcils broussailleux ombrant de petits yeux clairs en perpétuel mouvement, et un crâne largement dégarni. D’un geste de la main, il coupa court à la gratitude de Sir John.

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