Rock Star
144 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

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Description

Liza a été la star du groupe Blue Hallway, qui connut un triomphe mondial dans les années 1970. Son passé tumultueux, les anciens scandales de son groupe, le monde fiévreux et souterrain du rock ressurgissent brutalement à la veille de son retour.
Une photo de James Dean est glissée sous sa porte, une tunique indienne à l'odeur de patchouli arrive par la poste, une enveloppe contenant du verre brisé se retrouve dans son réfrigirateur, une photo d'elle couverte de sang frais au fond de son sac, un couple, la nuit, dans une ruelle de New York lui casse un doigt " pour qu'elle se souvienne "... Quelqu'un veut lui faire payer sa vie sulfureuse. Est-ce Mitsy, son amie inséparable qui a fait fortune sur son dos ? Lieber, le bassiste, son ex-mari qu'elle a tant bafoué ? Spike, le batteur de génie qui ne l'a jamais trahie ? Ou son producteur, Brickmann, prêt à tout pour que les médias parlent du groupe ?
Entre Londres et New York, une course à la poursuite d'un fantôme s'engage, au rythme d'un morceau de rock où le gin tonic se mêle au suspense et à l'humour. Coup d'essai, coup de maître : pour son premier roman, Alexandra Julhiet a écrit un de ces thrillers psychologiques qu'on ne peut pas lâcher, digne des meilleurs du genre.





La limousine a ralenti et s'est rangée au bord du trottoir, devant une adorable maison couverte de vigne vierge sur les hauteurs de Notting Hill. Brickmann (Harold maintenant que Mitsy m'avait rappelé son prénom) avait dû attendre le nez collé à la vitre car il a jailli comme un pantin obèse de sa boîte dès que le moteur a été coupé. Comme d'habitude, malgré son costume sur mesure de grand couturier, il avait quand même l'air sorti tout droit d'une donation de la Croix-Rouge... Mais j'avais des choses à me faire pardonner niveau business ; ma petite escapade à New York en premier lieu : j'ai donc gardé mes réflexions vestimentaires pour moi et plaqué mon plus beau sourire factice sur mon visage fatigué. L'album avant tout.


Son chef cuisinier, un petit Vietnamien mutique, nous avait préparé des mille-feuilles végétariens à base de betterave et d'un autre légume inconnu ainsi qu'une salade germée au tofu. Nous avons mangé consciencieusement dans la salle à manger rococo sous son œil inquisiteur, dans un silence religieux... Ce n'était pas mal. Et, me concernant, ce n'était pas le moment de faire des vagues. Donc vive les légumes.
Pendant le repas, Brickmann a longuement récapitulé le déroulement de la matinée de dimanche lorsque nous tournerions le clip sur le pont, à une heure indue.
–; Donc, début du tournage à 5 h 45 dimanche matin. Il fera nuit mais l'aube arrivera rapidement ; nous avons la permission de bloquer l'entrée du pont durant trois heures, ce qui est déjà énorme. Ma chérie – ce dernier mot a désagréablement sonné à mon oreille –, j'espère que tu te rends compte des difficultés que nous avons eues à obtenir ces autorisations... Et que tu seras à la hauteur.
–; Ça veut dire quoi, ça ?
–; Je pense que tu le sais aussi bien que moi.
Je n'ai pas relevé. Ça signifiait : pas d'alcool, pas de gueule de bois prévue ce jour-là. Il me retaperait à la kétamine s'il le fallait, mais je n'avais pas intérêt à foirer mon coup. J'ai vigoureusement hoché la tête en signe d'assentiment.
–; Contrairement au plan initial, nous n'aurons au final qu'une dizaine de figurants qui croiseront ta route. Toi, tu seras sur le pont, juste après la tour Nord, adossée au parapet, face caméra, Tamise en arrière-plan.
–; Et s'il pleut ?
–; S'il pleut, tu prends la pluie, face caméra, Tamise en arrière-plan, tu passes la main dans tes cheveux mouillés et tu essaies d'avoir l'air sexy. De toute façon on va te faire un maquillage tellement waterproof que même une tornade n'y changerait rien.
–; Ça donne envie. Miam.
–; Concernant les vêtements, derniers essayages demain, chez Mitsy – j'espère qu'ils conviendront, avec tes conneries dans le timing on n'a plus le droit à l'erreur. S'il fait mauvais on prendra la veste en cuir façon skaï, le photographe m'a promis que ce serait du plus bel effet. Sans ça celle en daim. L'album sort lundi, on espère un passage dans le journal du dimanche soir sur le tournage du clip et la sortie de l'album. Les récents... bouleversements jouent en notre faveur.
En effet les possibilités de grands articles en termes de presse avaient dû augmenter en flèche depuis que deux des membres avaient disparu et que je m'étais fait agresser, le tout dûment relayé par la presse à scandale... Je n'ai rien dit à ce sujet. À la place, j'ai demandé :
–; Je croyais que les deux avaient lieu le même jour.
–; Depuis quand un album peut-il sortir le dimanche, Liza ?
–; Depuis que j'ai arrêté de réfléchir. En 1996, je crois. Il pleuvait ce soir-là.
Ma blague n'a fait rire personne. Mitsy prenait des notes fébriles sur un carnet à rayures, relevant machinalement une mèche de ses cheveux gris qui retombait aussitôt. Brickmann faisait les cent pas devant la baie vitrée, les mains derrière le dos comme un professeur d'histoire-géographie, son ventre proéminent comme un bouclier. Quant à moi je faisais un réel effort pour me concentrer... Malgré cela, je ne pensais qu'à un verre et surtout à dormir. Dormir ! J'étais absolument épuisée, avec le sentiment de ne pas avoir fermé les paupières depuis des années. Le rythme excessif de ces derniers jours était en train de me retomber dessus et j'en sentais les contrecoups. J'ai étouffé un immense bâillement tandis que mon manager détaillait étape par étape le tournage du clip.
Tout ce que j'aurais à faire, en résumé, serait de chanter en play-back face à la caméra tandis que celle-ci tourbillonnerait sur le pont. Je serais adossée contre la rambarde pendant la première partie, puis seule au milieu de la chaussée durant la seconde. Avec toutes ces explications je n'avais toujours pas compris pourquoi une chanson se prénommant " You wanted to " allait se tourner sur un pont anglais dans l'aube glacée... D'un autre côté, il était peut-être un peu tard pour poser la question. Une sucrerie impromptue est soudain apparue dans les mains du petit cuisiner, un soufflé au litchee accompagné d'une cascade de framboises fraîches, et même moi qui ne trouvais en général aucun intérêt à la nourriture ai apprécié ce dessert. Comment Harold pouvait-il être aussi gros en mangeant tous les jours comme ça ? Il devait passer ses soirées à s'empiffrer de Häagen Dazs, une fois que son chef était couché, voire aller zoner au McDo gloutonner des Big Mac, déguisé avec une perruque et une fausse moustache...
–; Il y a quelque chose qui te fait rire, Liza ?
–; Non, mon capitaine.






Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 16 mai 2013
Nombre de lectures 18
EAN13 9782221138823
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0037€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

ALEXANDRA JULHIET
ROCK STAR
roman
« Cette œuvre est protégée par le droit d’auteur et strictement réservée à l’usage privé du client. Toute reproduction ou diffusion au profit de tiers, à titre gratuit ou onéreux, de tout ou partie de cette œuvre, est strictement interdite et constitue une contrefaçon prévue par les articles L 335-2 et suivants du Code de la Propriété Intellectuelle. L’éditeur se réserve le droit de poursuivre toute atteinte à ses droits de propriété intellectuelle devant les juridictions civiles ou pénales. »
© Éditions Robert Laffont, S.A., Paris, 2008
© Tsaplia/Fotolia.com
EAN 978-2-221-13882-3
Ce livre a été numérisé en partenariat avec le CNL.
Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo
À Leonard. Au Grand Chelem.
« Your love is a rainbow, and from what I know you are the only one... »
Blue Hallway,
« Abecassis », 1974

 
Mercredi 15 février
James Dean me toisait et son regard accusateur me fixait sans ciller. De cette fameuse photo qui avait fait le tour du monde et symboliserait pour encore quelques générations la quintessence de la rébellion adolescente, je ne voyais que les yeux noirs qui semblaient me reprocher... J’ai retourné la carte postale, mal à l’aise, mais il n’y avait aucune indication au dos, juste écrit en petit en bas à gauche « James Dean, États-Unis, 1952 ». J’ai lissé un coin corné du bout du doigt, avec un étrange goût de souvenir perdu dans la bouche.
 
Qui avait pu glisser cette carte vierge sous la porte de mon appartement, pourtant mieux gardé que la Maison-Blanche un jour de grandes manœuvres ? Quel fan désaxé avait réussi à se frayer un chemin jusqu’à mon palier, et quel message cherchait-il ou elle à me faire passer ? Ayant appris la sortie prochaine de l’album, il s’était sans doute réveillé un matin avec une mission divine à accomplir qui me concernait. Je me suis approchée du bow-window qui donnait sur St James Park, en écartant lentement les lourds rideaux de lin. Et si ce n’était pas un fan... J’ai immédiatement éliminé cette option. Cela n’était qu’une mauvaise coïncidence, un de ces tours du destin dont il avait le secret. Je laissai donc sa chance au hasard, contre toutes les probabilités, comme un outsider qu’on veut à tout prix jouer gagnant.
 
Les branches des arbres dodelinaient de l’autre côté de la fenêtre, verts clair et foncé mêlés par l’arrivée du printemps. Les passants dans le parc arboraient le sourire heureux des premiers rayons du soleil après un long hiver. Un couple, elle robe trop légère et jambes trop blanches, lui en bras de chemise, veste négligemment jetée sur l’épaule, marchaient lentement dans l’allée qui bordait l’avenue, main dans la main, l’air ailleurs. Je me suis surprise à les envier un instant, moi qui avais tout et plus encore. Leur petite vie, leur monde médiocre sur lequel j’avais toujours officiellement craché, leurs certitudes établies, leurs convictions politiques de centre droit. De loin ils étaient moches ; de près ils devaient être affreux et pourtant, juste là, j’aurais bien aimé être à leur place.
 
James Dean me narguait sur son bout de carton. Je l’avais trouvé trois jours plus tôt mais c’était la première fois que j’osais le regarder en face, des bribes de passé venaient cogner contre mon front. Lui savait bien sûr, pourquoi je l’avais reçu, qui l’avait amené à moi, il le savait mais il ne me dirait rien, trop fourbe. Assez. Je le rangeai soigneusement dans ma cave virtuelle, celle située derrière mes hontes et mes bas instincts, et mis un mouchoir mental par-dessus.
 
Les bouquets de lys blancs, artistiquement placés sur les tables d’angle du salon, étaient magnifiques et embaumaient l’immense pièce d’un tenant où tout était blanc, blanc, toujours blanc. Les canapés, les fauteuils, les châles délicatement posés à des endroits stratégiques. Seule la table basse, petite chose de métal et de verre de couleur estampillée Starck ou je ne sais qui, tranchait sur cette immensité polaire. Beau, froid, et triste, l’œuvre d’un décorateur qui m’avait convaincue d’un besoin irrépressible de pureté et m’avait délestée d’un chèque conséquent.
 
J’ai examiné le salon et les hautes fenêtres donnant sur St James Park qui laissaient filtrer la lumière de printemps à travers les interstices des rideaux, et j’ai décidé que j’en avais marre du blanc. Une couleur de vieux, une non-couleur. Alors qu’aujourd’hui j’étais en manque de couleurs criardes, pétantes, pour symboliser mon grand retour, mon come-back, comme une revenante, une survivante. Il faudrait que je fasse repeindre le mur du fond en jaune soutenu, orange peut-être, ça irait bien avec les deux œuvres de Peter Beard que je venais d’acheter. Et ce serait une bonne toile de fond pour les photos quand l’album sortirait, si je mettais un canapé bleu juste en dessous, un de ces monstres minimalistes « bleu Klein » que j’avais repéré quelque part.
 
Je pourrais replier les jambes sur le côté, pieds nus, avec une tunique blanche très ouverte et pantalon blanc... Non, blanc sur blanc ça ferait retour d’Inde. Plutôt un lin naturel genre écolo responsable et l’air serein de celle qui est revenue de tout et a trouvé la sérénité. Si Rock & Folk se décidait enfin à me donner la couverture, elle pourrait être superbe, avec un titre du style « Liza Ethancoe, un nouveau son ». Non. « Liza Ethancoe, trente ans après ? » Quelle horreur, comme si j’étais un vétéran de la guerre du Viêt-nam. «  San Pedro’s Beach , l’album solo » ? On verrait.
 
Les cinq coups de l’horloge m’ont tirée de ma rêverie. 5 heures, l’heure du crime, l’heure d’ouvrir le bar. J’ai hésité un instant entre un classique gin-tonic et un chardonnay glacé, avant d’opter finalement pour un shiraz australien qui trônait sur le comptoir de la cuisine. Moi qui préférais le blanc, on ne pourrait pas m’accuser de manquer d’audace... Raté. Le vin était trop boisé et trop chaud, l’inverse de ce dont j’avais envie. J’ai donc pioché dans une des nombreuses bouteilles de chablis qui s’échelonnaient dans le frigidaire et, armée d’un tire-bouchon et d’un grand verre à pied, j’ai été m’installer sur les moelleuses banquettes du bow-window gorgées de soleil. Le blanc était glacé, une merveille minérale courant le long de mes veines comme un torrent de montagne.
J’ai expulsé avec bonheur un immense nuage de fumée par la fenêtre entrouverte, tout en pensant que j’allais devoir réduire considérablement ma consommation ces prochaines semaines – et me faire très discrète sur le sujet. En 1999 j’avais été le porte-parole officiel de l’Association britannique contre le cancer de la gorge avec le slogan « Si j’ai pu arrêter, vous aussi ». Et j’avais bien l’intention de recommencer afin de profiter de leurs publicités presse... Ce n’était donc pas le moment de se faire griller avec une cigarette au coin des lèvres comme une adolescente en flagrant délit. En attendant j’en ai rallumé une au mégot de la précédente. On verrait plus tard les précautions d’usage.
 
Mon portable a désagréablement sonné sur la table basse, rompant le silence de cette fin d’après-midi. Je n’avais pas envie de répondre ; à tous les coups il s’agissait encore de Spike qui faisait une crise d’angoisse et voulait savoir si je croyais en Dieu. D’un autre côté... s’il s’agissait de Brickmann, mon manager, ça avait sans doute à voir avec la sortie de l’album. À contrecœur je me suis levée pour récupérer le téléphone.
 
— C’est Spike.
Et merde, mauvaise pioche. J’ai failli raccrocher mais je me suis retenue.
— Comme ça va, Spike ? ai-je dit le plus aimablement possible.
— Mal. Je deviens dingue ici ! Roberto s’est fait mordre par le doberman, ce con a essayé de le caresser, comme si on caressait un doberman ! Je n’ai pas dormi de la nuit.
— Prends des calmants.
— Ah ah 

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