Courts Métrages
95 pages
Français

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Courts Métrages , livre ebook

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Description

Faits anodins d'hommes ou de femmes dans leur vie ordinaire souvent à la limite d'une dérive que seuls d'étranges souvenirs de bonheurs musicaux parviennent à enrayer. Quinze courts récits d'un style classique, teintés d'un humour acidulé et dont les mises en scène efficaces accentuent le caractère insolite.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 septembre 2010
Nombre de lectures 201
EAN13 9782296935938
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0450€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Courts Métrages
 
© L'Harmattan, 2010
5-7, rue de l'Ecole polytechnique, 75005 Paris
 
http://www.librairieharmattan.com
diffusion.harmattan@wanadoo.fr
harmattanl@wanadoo.fr
 
ISBN : 978-2-296-12539-1
EAN : 9782296125391
 
Fabrication numérique : Socprest, 2012
Ouvrage numérisé avec le soutien du Centre National du Livre
Paul Van Ackere
 
 
Courts Métrages
 
 
Nouvelles
 
 
L'Harmattan
 
« Ce que je voudrais faire, comprenez-moi, c'est quelque chose qui serait comme l'Art de la Fugue. Et je ne vois pas pourquoi ce qui fut possible en musique, serait impossible en Littérature... »
 
Les Faux Monnayeurs,
André Gide
1. Les Editeurs sont des sales types !
 
A ssis au bord de l'étang, mon vieux gobelet de carton huilé de chez Mc Donald's bien posé devant mes pieds, je rêvais depuis un bon moment lorsque j'aperçus le pauvre Carl.
Le Parc Léopold est mon jardin. J'y viens au moins une fois par jour et j'en connais le moindre recoin. Il m'arrive parfois même d'y jouer le guide bénévole. « Là, en face de vous, c'est la bibliothèque Solvay, si merveilleusement restaurée IN EXTREMIS, sauvée de l'abandon et de l'oubli qui fut le destin dérisoire que nos édiles ont réservé à tant d'autres immeubles prestigieux à Bruxelles ! ». Je dispose ainsi d'un stock de phrases de ce genre que je débite sur un ton solennel lorsque j'en ai l'occasion. « Et en haut de la colline, cet immeuble de style américain qui aurait pu servir au décor d'un film de Hitchcock, est l'exacte réplique de ceux que visaient les terroristes le 11 septembre 2002 à Washington ». Cette phrase-là, je l'ai retirée de mon répertoire depuis qu'un touriste pris de frayeur en l'entendant, faillit se faire écraser en se précipitant hors du parc. Je préfère mener mon groupe le long de l'étang aux canards qui s'étend à l'angle des deux chaussées, limites vrombissantes de ce havre de paix. Je les informe alors que c'est dans cette pièce d'eau de facture romantique que les enfants des familles patriciennes, qui habitèrent le quartier jusqu'au milieu du siècle dernier, faisaient voguer leurs petits bateaux à voile durant les vacances d'été. Ces familles sont aujourd'hui disséminées dans les campagnes du Brabant wallon. Renonçant aux façades classiques de leurs hôtels de la rue du Luxembourg, ils y ont construit de grosses villas de briques, de type fermette flamande ou rappelant les cottages de la campagne anglaise. Je me refuse de citer les noms de ces familles depuis qu'un homme assis sur un banc et ayant tout l'air d'un SDF, m'interpella : « Qu'est-ce qu'elle vous a fait, ma famille ? J'habite encore le quartier et vous n'avez pas le droit de me considérer comme le dernier des Mohicans. Je vous ferai un procès ! ». Le groupe que je pilotais se composait de Japonais qui venaient de terminer une visite du Parlement européen. Selon leur coutume, ils photographièrent comme des malades le pauvre aristocrate. Celui-ci entra dans une colère aveugle qui se termina par l'atterrissage de deux Sony dans la mare aux canards. Beaucoup de touristes visitent mon parc, car il est situé à deux pas des principaux établissements de l'Union européenne. Au-delà de l'étang, sur les bords de ce qui reste de la Vallée du Maelbeek, s'élève le Conseil des Ministres. Ses murs impénétrables, aux vitres noires reflétant un flot ininterrompu de voitures aux formes éclatées, m'ont toujours fortement impressionné. J'imagine l'intérieur bourdonnant d'activités, de mignonnes secrétaires, de cadres foulant l'épaisse moquette des couloirs, à la recherche du dossier qui fera l'Europe de demain. Et cela m'emplit d'un immense bonheur, car j'ai acquis la conviction qu'assis dans ce parc, je participe à cette grande aventure ! Que de fois, ai-je ici croisé des hauts fonctionnaires en costume trois-pièces, des grands patrons discutant à voix basse, pesant le pour et le contre à propos de décisions à prendre pour le bien de centaines de millions de citoyens comme vous et moi. En général, ils me filaient la pièce sous le regard méfiant ou courroucé de leurs gardes du corps. L'un de ces V.I.P. me dit un jour en me filant un billet de dix euros : « Mais je vous connais, n'êtes-vous pas guitariste » ?
Affirmatif, lui ai-je répondu.
Il a rajouté :
C'était le bon temps, n'est-ce pas ? Je me souviens encore d'une de vos « chansons-histoires » comme vous les appeliez : «  C'est dans une arrière-cour comme celle-ci que Léonard Cohen avait égaré ses Sœurs de la Miséricorde, à deux pas de la Grand-place, en ce temps-là le plus beau parking du monde. Mais Graeme Allwright les avait surprises alors qu'elles tentaient de chiper les mystérieux pickings de Derroll Adams, comme en a témoigné David Mc Neil, l'autre voisin au sourire éternel. Eteins ton baladeur, toi qui regardes ces pavés. Ils sont autant de notes bleues échappées du banjo de l'homme qui se souvenait qu'il était né à Portland Town, de la guitare de celui qui avait rêvé qu'un jour il arpenterait les trottoirs de Sunset Boulevard à Hollywood. Tous ces clochards célestes, ces vagabonds que des trains incertains avaient amenés dans les années soixante à Bruxelles où l'on pouvait encore se loger pour quelques kopecks... »
Il s'interrompit brusquement, s'étant aperçu que ses compagnons l'attendaient à la sortie du parc. « Le bon temps ! ». Il ne croyait pas si bien dire ! Le temps où avec Carl nous pouvions jouer tous les soirs dans cinq ou six restaurants du bas de la ville. Le temps où nous étions accueillis partout, dans les maisons de la culture qui, à l'époque, poussaient comme des champignons, les foyers culturels, les salles paroissiales, les tournées avec Derroll Adams, le vieux cow-boy solitaire. « Le bon temps ! ».
M'ayant vu, Carl tenta de presser le pas en ma direction. Depuis l'accident, Carl ne s'est plus regardé dans une glace. A vrai dire, il s'est regardé une fois. C'était la veille de sa sortie de l'hôpital. Ce qu'il avait vu l'avait tellement bouleversé qu'il était tombé en syncope. Le médecin-chef avait prolongé son séjour d'une semaine. Depuis lors, il n'ose plus. Et il est presque arrivé à oublier ce qu'il avait vu : un nez arraché, mal recousu, une bouche sans lèvres, des joues lisses, imberbes. Suivant l'avis de la psychologue, il s'efforce de se convaincre qu'il est un homme comme les autres. Mais ce n'est pas facile. Une firme de transports internationaux, contactée par le Fonds de Reclassement, lui a proposé une place de veilleur de nuit pour ses garages, mais il a refusé. Depuis l'accident, il déteste tout ce qui ressemble à une automobile. Il aurait été capable de saboter tous les moteurs ! Et bien entendu, pour lui, il n'a plus été question de se produire en public et notre groupe a sombré dans l'oubli. Carl était devenu un excellent « five strings banjoman ». Et si ses accompagnements avaient trop souvent tendance à se cantonner dans des arpèges à la Johnny Cash, bien des critiques avaient loué ses talents de parolier. Depuis, il avait tenté de publier ses poèmes et ses chansons, mais en vain. Les refus, il les avait encaissés dans toutes les langues, en français, en anglais, en néerlandais et chaque fois c'était pour des raisons différentes : « trop romantique ! », « dépassé ! », « gnangnan ! »... etc. « Les éditeurs sont des sales types », en avait-il conclu.
Foutues bagnoles, qu'ont-elles fait de ma jambe, de ma gueule ? Et tout ça pour gagner un jour de vacances ! gémit-il en s'asseyant à côté de moi.
Je tentai de lui remonter le moral.
Allons Carl, cesse d'y penser, tu t'en es tout de même tiré ! Tu aurais pu perdre la vie. Chaque week-end, il y en a qui laissent des veuves et des orphelins, quand c'est pas des familles entières qui disparaissent ! ...
Un flic accompagné d'un chien s'approcha. Sans doute qu'il devait se méfier, car on n'avait plus ou pas encore l'âge pour glander. Il était nouveau dans le quartier. C'était un flic qui ressemblait à un flic de polar : costaud, les yeux

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