Embrasement
143 pages
Français

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Embrasement , livre ebook

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Description

Dans la marche tragique, quasi inéluctable vers la catastrophe finale, qui l'anime, ce roman solaire superpose deux voyages. Un voyage réel dans quelques villages reculés du Maroc, qui fait voir aux membres de l'équipée extravagante la misère, la dureté, l'exclusion mais aussi la solidarité, la compassion, l'amour, l'espoir peut-être. Et une immersion dans l'univers mental des personnages déroulant réflexions sur l'homme en soi, alentour, en exil intérieur, dans ses songes, croisant ainsi des vies contrastées...

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 janvier 2011
Nombre de lectures 57
EAN13 9782296715684
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0000€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Embrasement
 
© L’Harmattan, 2010
5-7, rue de l’Ecole polytechnique, 75005 Paris
 
Fabrication numérique : Socprest, 2012
Ouvrage numérisé avec le soutien du Centre National du Livre
 
http://www.librairieharmattan.com
diffusion.harmattan@wanadoo.fr
harmattan1@wanadoo.fr
 
ISBN : 978-2-296-13810-0
EAN : 9782296138100
Abdelkhaleq Jayed
 
 
 
Embrasement
 
 
Roman
 
 
 
 
 
L’Harmattan
« Mais les faisant, mon cœur, préservez-moi de toute haine
 
Ne faites point de moi cet homme de haine pour qui je n’ai que haine Car pour me cantonner en cette unique race
 
Vous savez pourtant mon amour tyrannique
 
Vous savez que ce n’est point par haine des autres races
 
Que je m’exige bêcheur de cette unique race
 
Que ce que je veux
 
C’est pour la faim universelle
 
Pour la soif universelle
 
 
La sommer libre enfin
 
De produire de son intimité close
 
La succulence des fruits. » (Aimé Césaire)
1
 
 
L e rendez-vous fut donné aux Songes enchanteurs , un troquet célèbre pour être pris d’assaut dès le matin. De neuf heures du matin à minuit, des hordes de petits fonctionnaires et de bricoleurs du même acabit s’y succèdent pour s’égosiller autour de bouteilles de bibine trônant comme les trophées des vaincus sur des tables écornées et crasseuses. C’est une raclure de plaisir bon marché qu’on vient y chercher, car tous les bars miteux de la métropole se ressemblent, de la bière populacière et des tirades interminables sur les soucis de la petite vie, ragots et provocations parfois couronnées par des énucléations prodigieuses ou des balafres que, plus tard, on exhibera ostensiblement comme un palmarès.
 
Sérieusement esquinté par un long trajet, je m’y rendis à la tombée du soir avec le frêle espoir de décompresser un peu en concluant une bonne affaire avec Mimouna. Le bar était plein à craquer. Des habitués aux coudes limés sur le comptoir paludéen m’aperçurent, et en se serrant, me firent une place. Ils s’enquirent vite de mes nouvelles. Sans préambule ni ambages, ils me posèrent, comme à l’accoutumée, un tas de questions indiscrètes. Ils cherchèrent à s’incruster, les ivrognes, à fouler de leurs panards le jardin secret de la famille. Je bredouillai des réponses laconiques pour ne pas remuer le fiel tout rance que je suspectais sous la langue, en arborant le sourire de façade habituel par lequel j’arrivais assez souvent à désamorcer l’éruption de violence. Découragés par mon évasive discrétion, ils échangèrent entre eux, de minces filaments de bave coulant à la commissure de leurs lèvres empâtées, des mots infâmes qu’ils proférèrent de leurs bouches écumeuses et visqueuses.
 
Quelques verres d’élixir plébéien, et la vigilance flanche comme, sous l’assaut du vent, un épouvantail de fortune. Le cerveau ploie petit à petit sous l’effet d’une ivresse désirée de toute la force de la pensée paniquée. L’alcool s’étend partout, s’incruste dans les moindres interstices du corps. Les particules de Bacchus assomment discrètement le discernement.
 
Malgré ma faible résistance à l’alcool, mes yeux gardaient un semblant de résolution mais assez de lucidité pour ne pas me départir de mon mutisme et de ma retenue. Je clignais joyeusement des yeux, prêt à ingurgiter tout le spectacle situé dans mon champ. L’ouïe, par contre, paraissait sérieusement atteinte par ce breuvage de toutes les amertumes. Rien de ce que criaient en gesticulant les pochards agglutinés aux tables et au comptoir ne parvenait plus aux oreilles. Mais les yeux que j’écarquillais assez fréquemment ne rataient rien des gestes, des mimiques et des grimaces qui agrémentaient les joutes d’esprit. Ils se délectaient, les yeux indemnes, comme un enfant vicelard, mis très tôt dans les confidences de la misère humaine.
 
Les cacahuètes, d’abord tripotées par des bouts de doigts crasseux, puis prises par des tenailles incertaines, atterrissaient entre les molaires caverneuses. Commençait alors un concassage sec, puis humide. La langue infinie se risquait dans toutes les anfractuosités ténébreuses pour récupérer les miettes fugitives. Elle les ramenait sous les concasseurs infatigables pour briser le dernier atome mutin qui leur restait. Les boulettes pétries dégringolaient bruyamment dans les gosiers secs. Le maïs soufflé et des bouts de légumes suspects subissaient le même sort. Les nombreuses bouches noircies par la nicotine mastiquaient et avalaient énergiquement. Les langues, ces grandes besogneuses, sondaient les dents creuses, délogeaient toutes les prothèses alimentaires et les précipitaient bruyamment dans l’œsophage. Les clients autour de moi étaient maintenant tout entiers réduits à ces monstrueuses bouches, vulves carnivores ingurgitant et régurgitant sans relâche, et si férocement que j’imaginai un moment qu’elles allaient se ruer sur moi pour m’engloutir.
2
 
 
L ’heure du rendez-vous était passée d’une trentaine de minutes quand je m’extirpai de ce cauchemar. Je me levai et réussis à me frayer un chemin vers la sortie. L’air chaud du dehors me cingla vigoureusement le visage. Je sentis une saveur ferreuse dans ma bouche. Je me tenais tant bien que mal à l’entrée du bar. Mes jambes commençaient à flancher lorsque Mimouna apparut au coin d’une rue, trottinant comme une biche insouciante. Une valise rouge qu’elle venait probablement d’acheter pour son voyage de noces, pendouillait dans sa main droite. Au moment où elle voulut traverser la rue qui la séparait des Songes enchanteurs , un homme d’un certain âge, grand de taille, enveloppé dans un trois-quarts de demi-saison, de couleur beige, l’aborda soudainement et l’arrêta, le sourire aux lèvres. Mimouna leva les yeux vers lui, le reconnut et tenta de se libérer de sa poigne de fer. L’inconnu tenait solidement dans ses deux paluches la main de la jeune femme qui, visiblement affolée, et tout en se débattant, se mit à l’insulter et à crier de toutes ses forces pour ameuter les passants. Mes jambes reprirent subitement leur résolution. Je m’élançai vers les belligérants sans me soucier un seul instant des voitures qui roulaient à grande vitesse dans les deux sens. Je n’entendais même pas les coups de klaxon rageurs que les excités donnaient comme pour renforcer les invectives qu’ils devaient assurément m’adresser. Je m’interposai fougueusement entre l’inconnu et Mimouna. Je repoussai énergiquement le quidam qui n’opposa aucune résistance. À ma grande surprise, il détala immédiatement. Mimouna était furieuse, elle écumait de colère ; elle courut après lui, mais trébucha quelques mètres plus loin à cause de ses chaussures à talons hauts. Je l’aidai à se relever. Visiblement, elle s’était fait mal à une cheville. J’eus du mal à la calmer. On eût dit une lionne en furie. Surgis de nulle part, des badauds nombreux s’attroupèrent autour de nous, formèrent un cercle si compact et si solide qu’il me fut difficile de le diviser. Certains voulaient tout de suite s’incruster ; d’autres nous proposèrent de rattraper l’agresseur pour peu que nous consentissions à leur filer une petite somme d’argent. Je fus obligé de distribuer quelques piécettes. Le cercle racketteur se défit comme par magie. Mimouna se décida enfin à me suivre au Tout va bien , un troquet situé à une dizaine de mètres des Songes enchanteurs . Encore des nuages de fumée et des organes ballants. Les murs, fraîchement peints en gris, et le sol, à la forme et aux couleurs d’un échiquier, étaient tristement éclairés par de faibles ampoules qui pendouillaient d’un faux plafond très bas. Mimouna s’empara brutalement du paquet de cigarettes que j’avais déposé sur la table, en tira nerveusement une clope. Je m’empressai de l’allumer. Après trois bouffées et un long soupir qui mit en relief la rondeur de ses seins, le sang descendit sensiblement. Elle se racla bruyamment la gorge, avala d’un trait le Martini rouge que le serveur lui présenta, et en redemanda un autre. J’avançai ma main pour prendre la sienne, elle me laissa faire ; je la sentis palpiter dans ma paume comme un moineau blessé. Je me mis à la caresser. Quand Mimouna se fut vraiment calmée, et ses nerfs tout à fait détendus, abandonnés dans l’ivresse naissante, elle se mit à parler, à voix basse :
 
– C’est un riche propriétaire terrien de Tighdwine. Il en est aussi le député. Il y a quatre ans, ce ploutocrate des ploucs a appât

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