Gros-Nez, le quêteux
234 pages
Français

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Gros-Nez, le quêteux , livre ebook

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Description

Entre 1890 et 1915, la vie d’errances et de surprises d’un quêteux surnommé Gros-Nez. Homme au physique imposant, quelque peu philosophe, vivant là où bon lui semble, rendant service à tout le monde en retour d’un repas ou d’un gîte. Avant tout : un observateur des attitudes et des moeurs de ses frères et soeurs humains.
Roman sans chronologie, chacun des chapitres thématiques forme une petite histoire en soi ayant peu de relation entre elles. L’accumulation des thèmes (psychologie humaine, les quatre saisons, l’amour, l’amitié, la campagne, la ville, etc.) sert à décrire la bonté et la justice qui caractérisent le personnage principal. Un roman à la troisième personne, mais où les êtres humains côtoyés ne portent pas de noms, sinon celui de Joseph Tremblay, ami de Gros-Nez. Les moeurs des époques abordées sont respectées, ainsi que les quelques aspects d’histoire sociale. Le roman présente une grande touche humoristique.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 03 juin 2015
Nombre de lectures 4
EAN13 9782897262006
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,1100€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Chapitre 1893 : Tradition
« U n quêteux ! Maman ! Maman ! Un quêteux ! » La petite fille cherche protection derrière son frère de sept ans. Donnant ainsi l’alerte à sa mère, cette dernière sort de la maison quelques secondes plus tard. Le court délai a été suffisant pour que le vagabond fasse la conquête des deux oiselets craintifs à l’aide de quelques grimaces très drôles. Il enlève son chapeau de paille pour saluer la paysanne au visage sévère.
« Vous êtes un vrai quêteux ?
— Oui, madame.
— D’où venez-vous ?
— D’ailleurs, madame.
— Ce n’est pas une réponse ! Parlez comme du monde ! Vous n’êtes pas du canton, sinon, je le saurais. D’où arrivez-vous ?
— De la côte, dans le coin de Québec.
— Vous voulez manger, je présume ? Parce que de l’argent, vous n’en aurez pas ici.
— J’ai faim, madame, mais je ne tends pas la main : je tends mon cœur pour que celui de mes frères et sœurs de l’humanité s’ouvre à son tour. La charité est une récompense. Donnez-moi à manger et je répare tout ce que vous voudrez autour de votre maison.
— Mon mari est capable de faire ça. Vous ne parlez pas comme un quêteux.
— Je peux transporter de lourdes charges, brosser votre cheval, enlever les cailloux du chemin, je peux…
— Mon mari et mes gars peuvent se débrouiller avec cet ouvrage-là, que je viens de vous dire. Prenez place sur le perron et je vais aller voir si j’ai un petit quelque chose à vous donner. Votre nom ?
— Gros-Nez.
— Ce n’est pas un nom.
— Regardez ce que j’ai au milieu du visage et vous verrez que je ne peux avoir d’autre nom. »
La petite fille laisse s’envoler un éclat de rire, alors que sa mère se retient pour ne pas l’imiter. En effet, pense-t-elle, ce mendiant est affublé du nez le plus singulier que l’on puisse imaginer. Prédominant, rond, comme ces artifices que les bouffons des cirques portent pour dérider le public. L’homme replace son chapeau en s’installant sur la galerie, faisant rouler ses yeux de gauche à droite pour égayer le garçon.
La femme sort, tendant un bout de pain et un petit plat de graisse de rôti. Gros-Nez lève son couvre-chef pour remercier. Il mange très lentement. Elle chasse ses enfants trop curieux, qui se sont approchés pour regarder l’étranger impoliment. En réalité, elle désire parler en toute intimité avec ce colosse :
« Ma sœur habite à Montmagny. Est-ce que vous êtes passé par là ?
— C’était sur ma route, ma bonne dame.
— Pas de maladies à Montmagny ? C’est une grosse place. Y a toujours des risques de vermine dans les villes et les villages trop grands.
— À ce que je sache, tout le monde allait bien à Montmagny et dans les villages de la côte.
— Me voilà contente de l’apprendre. Ma sœur est fragile de sa santé. Elle m’écrit des lettres, mais c’est difficile de trouver quelqu’un pour les faire lire, surtout quand la maîtresse d’école du rang est partie chez ses parents pendant l’été.
— J’ai croisé une belle maison d’école en venant dans le coin. Vos deux enfants ne la fréquentent pas ? Ils pourraient lire les lettres de votre sœur.
— Ils sont encore petits, puis mon aîné a tout oublié ça, même s’il est capable de compter et signer son nom. Si… si… Est-ce que vous pourriez me lire sa dernière lettre ? Je vous donnerais encore du pain. Vous savez lire ?
— Très bien, madame.
— Mon mari est aux champs, avec mon grand. Si vous voulez les aider, on pourra vous laisser coucher dans la grange.
— Avec joie, madame.
— J’aimerais avoir toutes les nouvelles de Montmagny. »
Dans un cas semblable, le mendiant raconte ce que les gens veulent entendre. Quand il est question de parents, tout doit nécessairement aller bien. Gros-Nez sait repérer les paysans désireux d’entendre des malheurs, surtout quand les catastrophes proviennent de la ville, confirmant la sagesse des laboureurs de demeurer à la campagne. Quand le récit captive les familles, le quêteux repart avec de la nourriture dans son sac, quelques sous, un peu de tabac. En retour, il écoute avec attention ce que le laboureur raconte. Il y a souvent une phrase qui, plus tard, se transformera en histoire qu’il offrira à d’autres personnes.
« Retourne à la maison, quêteux, et reviens avec une cruche d’eau. ’Fait chaud, aujourd’hui ! Après, tu regarderas s’il reste des roches dans les sillons.
— À vos ordres, mon bon monsieur.
— Montmagny… ce n’est pas à côté ! Ma femme, elle aime bien sa sœur. »
Les deux plus jeunes enfants couchés, les aînés demeurés sages ont le droit d’entendre les nouvelles des villages lointains et même de la ville. Dans un tel cas, Gros-Nez se procure un journal, à la recherche d’un entrefilet sensationnel qu’il pimente à sa convenance, sachant combien ce peuple canadien-français affectionne les mélodrames. Parfois, les nouvelles viennent d’Europe ou des États-Unis, mais le quêteux les transpose dans une municipalité de la province de Québec, surtout à Montréal, agglomération qu’il n’aime pas beaucoup à cause du zèle des policiers. Dans les villes moyennes, on a l’habitude de le laisser tranquille, de lui permettre de dormir dans un parc. De plus, beaucoup d’habitants de ces villes viennent de la campagne et l’accueillent à bras ouverts. Chaque famille paysanne a quelque chose à raconter sur un de ces étranges errants des grands chemins. Au cours de ses premières années de mendicité, Gros-Nez a vite appris à ne jamais tendre la main sans offrir quelque chose en retour. Ainsi, il a pu se faire de nombreux amis, retourner dans tel canton des mois plus tard, assuré de trouver une porte ouverte. Cette façon d’agir étonne souvent les cultivateurs, assurant que ce n’est pas tout à fait conforme à la tradition. De plus, Gros-Nez ne dit jamais que « Dieu vous le rendra » ni ne se proclame un pauvre protégé par le Divin. Il se refuse aussi à adhérer aux différentes superstitions concernant les mendiants, comme celle de pouvoir jeter des sorts.
Depuis que l’homme a adopté ce style de vie, il y a maintenant quatre années, il a beaucoup appris sur la nature humaine, sachant discerner les comportements qui lui seront favorables ou non. Chaque coin de la province présente une mentalité différente, malgré les points communs de la langue, de la religion, des coutumes. Il a aussi voyagé en Ontario, au Nouveau-Brunswick, aux États-Unis.
Cette famille, satisfaite des nouvelles données sur Montmagny et de l’histoire offerte, permet à Gros-Nez de dormir dans un coin de la grange, l’assurant qu’il aura un bon repas dès son réveil. La paysanne lui donne du pain pour emporter. Le mari lui demande où il compte se rendre. L’étranger mouille le bout de son doigt, l’expose au vent et répond : « Par là. » L’homme éclate de rire, lui tend chaleureusement la main et lui souhaite bonne chance.
« Pauvre terre à cultiver… Elle appartient à cet homme, héritage de son père. L’épouse aura autant d’enfants que d’occasions ratées. L’aîné héritera à son tour de ce lopin, alors que les plus jeunes seront journaliers ou fuiront vers la ville pour devenir manœuvres sans qualifications dans les manufactures anglaises. J’ai vu ça cent fois depuis 1890. C’est une tradition qui s’enracine. Bien joli, tout ça, mais le vent a décidé de me mener d’où je viens. À bien y penser… Quelle importance ? Quelle que soit la direction, elle mène à la pauvreté, ce qui m’assure de ne jamais manquer de rien. »
Marcher ! Marcher ! Tant marcher ! Gros-Nez a développé une certaine endurance qui, cependant, fond comme neige au soleil quand ses chaussures deviennent plus fatiguées que ses pieds. Le dernier emploi d’hiver semble déjà loin, le salaire modeste n’ayant servi qu’à l’achat du strict minimum vestimentaire afin de le protéger du froid. « Travailler pour aider son prochain dans le besoin, ça va ! Le faire pour engraisser un bourgeois anglais ou canadien, ça va un peu moins. Je ne devrais pas penser ainsi. C’est mal. Les Anglais sont aussi mes frères de l’humanité. Tout ça n’empêche pas que le cordonnier qui m’a vendu ces bottines doit rire encore de son coup. Je devrais aller prendre le train et… Tiens ! Un voyageur à l’horizon. Allons voir. »
Gros-Nez agite la main. Le conducteur passe outre, ne le regarde

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