La fille bègue : Roman, à partir de 15 ans
104 pages
Français

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Description

Roman social rempli de suspense. Lucie est rejetée du milieu scolaire, familial et, plus tard du milieu social. Au lieu de faire naître en elle l’amertume, la vie lui façonne un vrai cœur de femme.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 janvier 2002
Nombre de lectures 10
EAN13 9782896112692
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0350€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

La fille bègue
Du même auteur :
Gabrielle Roy sous le signe du rêve, Le rideau se lève au Manitoba ,
Sans bon sang, Le répertoire littéraire de l’Ouest canadien, Coups de vent ,
Le Manitoba au coeur de l’Amérique, De fil en aiguille au Manitoba.
 
Les Éditions des Plaines remercient chaleureusement
le Conseil des Arts du Canada et
le Conseil des Arts du Manitoba
pour l’appui financier apporté
à la publication de cet ouvrage.
 
3 e tirage
 
Photo de la couverture : Marlene Gutknecht
Photographe : Louis Bissonnette
Graphiste : Howard Laxson
 
ISBN 0-920944-17-5
La reproduction d’un extrait quelconque de cette édition,
notamment par photocopie ou par microfilm, est interdite sans
l’autorisation écrite des Éditions des Plaines inc.
Dépôt légal : 4 e trimestre 1982, Bibliothèque nationale du Canada
Directeurs : Annette Saint-Pierre et Georges Damphousse
© Les Éditions des Plaines, 1995
Annette Saint-Pierre
La fille bègue
1
- Lucie! Assieds-toi!
L’institutrice n’en pouvait plus de la voir circuler d’un pupitre à l’autre. De plus, il faisait une chaleur collante en cette fin d’après-midi qui s’éternisait. Entre les fentes du plancher, qui avait été “lavé” trop généreusement par le vieux Métis, ruisselait une huile épaisse qui donnait la nausée et provoquait à l’impatience.
On était en septembre. L’année scolaire serait longue! Les vitres encrassées avaient donné rendez-vous aux mouches grasses qui se chauffaient le ventre au soleil. Si l’on pouvait ouvrir les fenêtres! Mais non, on risquait de s’éreinter. Demander aux trente-six élèves de se diviser en six groupes et de tenter l’effort? Il y avait danger de démantibuler les châssis pourris.
Lucie avait réagi en décochant un regard chargé de haine à celle qui venait de la commander. À quatorze ans, elle était encore dans la troisième année, embarrassée de la présence de sa petite soeur de neuf ans qui remportait tous les succès. Lucie regardait toujours l’interpellatrice; avec insolence, ses yeux se posèrent sur la grande croix d’argent suspendue au cou de la soeur Jeanne Mance. Cette dernière frissonna.
Lucie était trop grande pour le petit bureau qui lui était assigné. Elle marchait le dos courbé en balançant deux longs bras qui auraient pu avironner un canot sur la rivière Winnipeg qui passait derrière l’école Couture. Ses jambes maigres reposaient sur des bases solides: deux énormes pieds chaussés de souliers éculés et mal lacés. Et la soeur Jeanne Mance dut détourner son regard. Elle venait de se rendre compte que Lucie lui tapait sur les nerfs.
À l’heure de la lecture, on se leva en coup de vent et on s’aligna de chaque côté de la classe. On était prêt à commencer. Lucie fouillait encore dans son pupitre. Tous les yeux étaient braqués sur celle dont les pieds raclaient maintenant le plancher. Mildred évitait de regarder sa soeur; intérieurement, elle lui criait:
- Grouille-toi donc! Si tu savais comme j’ai honte de toi.
Lucie, qui semblait vouloir attirer l’attention, était prise de panique et victime d’une lenteur excessive. L’institutrice attendait. Les garçons, moins sympathiques, gardaient leur livre de lecture collé au front; ils le baisseraient au passage de Lucie et le remonteraient après lui avoir fait un croc-en-jambe. Hélas! depuis la fois de la chute spectaculaire de la folle à Lauzon, on ne relâchait pas souvent la surveillance.
L’horloge marquait deux heures et demie. Dans une heure commencerait la classe de religion puis la cloche viendrait délivrer tout le monde à quatre heures. Lucie s’en allait prendre son rang en marchant derrière les filles qui tournaient le dos aux fenêtres. Soudain, elle s’arrête, paralysée de terreur. Elle veut parler mais aucun son ne sort de sa bouche. Pendant que ses yeux hagards cherchent ceux de l’institutrice, son doigt tremblant pointe le chemin qui va de l’école à la route.
- Sis… Sis… Sis…ter… the… the… inspector!
Le message a bondi comme un petit lapin, qui dévale une butte, poursuivi par un chasseur. Denis et John courent nettoyer le tableau; Robert décroche les cartes de phonétique française et les cache derrière l’armoire; Barry s’empare des piles de cahiers, les passe à Julius et à Louis qui les engouffrent pêle-mêle dans le bureau vide de la dernière rangée. La rondelle est au jeu pour les petits Manitobains! Ceux qui n’ont charge de rien se sont rendus à leur place — avec permission de courir — et ont échangé leur livre de lecture française contre celui de lecture anglaise.
Nerveux, sous une apparence de calme et de sérénité, les élèves fixent la porte où doit apparaître la silhouette de monsieur Aberdeen. Ils se lèveront sans faire de bruit et s’inclineront pour saluer le visiteur dans la langue de Shakespeare.
L’année précédente, quand l’inspecteur Gardner les avait surpris, tout le village en avait entendu parler. Penchés sur leur cahier d’écriture, ils s’appliquaient si bien à imiter la belle calligraphie de leur institutrice que personne n’avait songé à lorgner dehors. Il était venu deux fois le grand Anglais; il ne pouvait tout de même pas toujours être rendu à leur école. Sheila Lussier s’en souviendra jusqu’à la mort. Assise au premier banc, face à la porte, elle n’avait pas eu le temps de dissimuler son catéchisme. Vlan! Le livre “saint” avait déjà heurté un mur latéral. Stupéfiée, la petite avait ouvert les vannes et s’était élancée vers la porte. Pendant ce temps, l’inspecteur insistait pour que l’institutrice “enseigne quelque chose”. Les rires fusaient dans tous les coins; la soeur Jeanne Mance avait dû sortir un grand mouchoir blanc du fond de sa poche et simuler un rhume de cerveau. La flaque d’eau de Sheila la séparait de monsieur Gardner, le seul à ne pas jouir du comique de la situation. De son côté, elle anticipait déjà la joie de raconter l’aventure à la titulaire de la deuxième année, la soeur Patricia.
Monsieur Aberdeen entra et la classe entonna:
Welcome to you, friend so dear
Happy and so full of cheer
Just to see you among us here
Gladdens all our heart sincere.
Now just take this special chair
And stay with us free from care
We, your children, love you so
Welcome to you! Oh! Oh! Oh!
Venue du Québec, la jeune religieuse n’avait pas été suffisamment instruite des lois scolaires manitobaines. Quand elle parvint à recueillir des bribes d’histoire sur la douloureuse épopée de la diaspora, elle se cabra à l’idée de se voir petite oie blanche dans une arène aussi polluée. Qui donc connaissait l’histoire du Manitoba? Elle avait vainement essayé de se procurer les livres au programme du cours secondaire. On y enseignait Our British Heritage et Story of Nations. Sur le Manitoba, rien. On ne savait même pas qui était le fondateur de la province. Où se cachaient donc les historiens de langue française? S’il y en avait, ils étaient rares et peu prolifiques.
Après le chant, en acceptant le livre de lecture des mains de l’institutrice, l’inspecteur remarqua que son bandeau empesé comme un linge d’autel avait un faux pli de chaque côté du front, et que des gouttelettes brillaient au-dessus des lèvres fraîches et charnues. Il posa une question qu’elle ne comprit pas. Comment la blâmer d’être nerveuse, sourde et muette dans une cage sale, face à un supérieur déjà antipathique? L’eau coulait sur son dos recouvert de six épaisseurs de tissu. Si ses aisselles ne se remplissaient pas jusqu’au bord, c’est que le Créateur les avait placées l’ouverture en bas. Une cigarette se serait allumée toute seule dans l’école Couture. Dieu! qu’il faisait chaud dans ce Manitoba anglais et combien détestable!
La question de l’inspecteur, posée avec plus de lenteur, ne déclencha aucun éclair d’intelligence dans les yeux de la soeur Jeanne Mance. A-t-on idée de la situation stupide dans laquelle elle se trouvait? Elle possédait un diplôme d’enseignement mais ne comprenait pas le délégué en charge de la qualité de l’éducation au Manitoba. Ah! si elle avait affaire à un parlant français!
La religieuse était loin de s’inquiéter de sa cote d’évaluation. Si on décidait de l’affranchir de cette galère, elle reprendrait le chemin du Québec en jubilant. Heureusement, l’inspecteur ressemblait à Clark Gable et il avait des épaules superbes. Elle le détestait déjà moins. C’est à tout cela qu’elle songeait en l’observant à la dérobée et en ne tenant plus compte de ce qu’il voulait exactement. La voyant distraite, il allait lui en faire la remarque quand elle lui éclata de rire au nez. Qu’avait-elle de mieux à faire?
- Yes, it is behind the door, s’écria Barry qui avait tout entendu.
Barry venait de sauver l’inspecteur du ridicule et son interlocutrice d’une mauvaise note. Monsieur Aberdeen en conclut que le fait d’ignorer où se trouvait le thermomètre avait causé sa gaieté. Il ne sut jamais qu’elle avait ri parce qu’elle ne le comprenait pas et que la situation cocasse avait de quoi l’amuser: il en eut pitié et il l’aima aussitôt.
Installé au pupitre, il prit le temps d’examiner les murs fraîchement peints et décorés avec la plus stricte économie, de regarder les rustiques rayons d’une bibliothèque qui prenait naissance dans un angle de la pièce, et d’arrêter les yeux sur une plaque de marbre blanc surmontée de deux porte-plumes noirs. Comme cet article de luxe contrastait avec le meuble âgé d’un demi-siècle qui portait les empreintes de plusieurs enseignants!
- Enfin, pensa-t-il, un vent de renaissance souffle dans la classe.
Pendant ce temps, les élèves lisaient à haute voix et s’en tiraient assez bien. De temps en temps, ils souriaient à l’inspecteur qui les observait avec attention. Avait-il entendu dire que la soeur Jeanne Mance venait du Québec? Qu’elle parlait français aux élèves de l’école Couture? Qu’elle enseignait la religion catholique et surtout qu’elle n’avait pas l’accent anglais?
Le tour de Lucie arrivait. Surexcitée, elle bougeait les pieds, levait et baissait son livre; ses joues étaient écarlates et ses yeux démesurément ouverts. La soeur Jeanne

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