La peur en embuscade
34 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

La peur en embuscade , livre ebook

-
traduit par

34 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Description

On est en 1922. Lovecraft, revenu à Providence mais qui vient de passer trois mois à New York, et se préparant à rejoindre Sonia Greene pour la vie commune et leur mariage, quitte progressivement l’univers du journalisme amateur pour celui de la fiction. Devenir écrivain professionnel? Cela suppose de savoir aussi s’éloigner de la prose lyrique et poétique qu’il affectionne, aller vers l’efficacité (et il y trouvera ses marques, ô combien!), savoir aussi s’adapter aux revues et magazines qui l'accueillent.



Home Brew est un tout récent mensuel, à vocation plutôt humoristique et au curieux slogan « Pour la soif des amoureux de la liberté personnelle », ce qui évoque plus l'érotisme discret que la philosophie. Le couple qui l’a fondé, les Houtain, viennent eux aussi du journalisme amateur. La demande faite à Lovecraft: une histoire en quatre séquences, qui sera publiée dans quatre numéros successifs, et soit plus près du roman de détective (le personnage principal sera un journaliste) que de la tradition fantastique ou surnaturelle. Autre précision, explicite : « You can’t make them too morbid ». Lovecraft touchera 5 dollars les 2000 mots, soit un total de 22 dollars pour l’ensemble (l’histoire sera republiée dans "Weird Tales" en 1928).



Et c’est ainsi que va naître "The lurking fear". Si c'est un texte à part dans l'oeuvre de Lovecraft, par sa construction, il a été pour lui une école magistrale. Quant à la peur...



Écrite quelques mois plus tard, à peine un peu plus courte, "Les rats dans les murs" nous ramènent à une veine plus proche de la vieille passion de Lovecraft pour Edgar Poe. Le fantastique projeté dans les ruines sans origine de la vieille Europe, ses contes et légendes de terreur, ses rites traversant le temps. Il suffit d'un grattement sous le papier peint d'un mur, d'une hésitation dans une maison vide, et les abysses qui s'ouvrent sous la terre seront définitivement le pays de Lovecraft. Et ce sera, début 1924, son premier texte accepté par une toute nouvelle revue, qui s'appelle... "Weird Tales".



Dans cette très faste période de création que sont les derniers mois de Lovecraft avant New York ("Herbert West le ressusciteur", "La musique d'Erich Zann"), cette marche vers le monde professionnel est aussi une des justifications de présenter ensemble ces deux perles de l’horreur.



FB



Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 09 septembre 2014
Nombre de lectures 38
EAN13 9782814510074
Langue Français

Extrait

La peur en embuscade

 

Howard Phillips Lovecraft

 


précédé de Les rats dans les murs

nouvelle traduction & introductions François Bon

The Lovecraft Monument

ISBN : 978-2-8145-1007-4

dernière mise à jour le 10 septembre 2014

THELOVECRAFTMONUMENT.COM

en guise d'introduction

Les années 1922 et 1923 sont une des premières grandes vagues de création narrative pour Lovecraft. Époque où il est très actif dans les associations de journalisme amateur, participe aux lectures de Boston, et c’est aussi les premières rencontres avec Sonia.

Une prose qui, sans rien renier de son lyrisme, apprend à faire confiance aux lieux, à maîtriser la condensation de l’action narrative pour faire émerger l’horreur nue.

Home Brew, qui a publié Herbert West Reanimator est une revue qui s’oriente plutôt vers le récit de détective. Lorsqu’il leur propose The Lurking Fear, Lovecraft se risque délibérément dans cette forme à laquelle il ne reviendra plus. C’est aussi une des raisons de se laisser happer par ce récit tout en grandes esquisses.

Et cependant, lorsqu’on découvre ce paysage sauvage, le rôle des arbres aux formes torturées, comment ne pas se souvenir que cela fascinait le jeune Howard de quatorze ans, lorsqu’à bicyclette il se risque dans les environs de Providence, en explore les ravins cachés ? Il renoncera au vélo l’année suivante, après l’accident qui lui casse le nez. 

C’est dans cette même période que Lovecraft écrit une salve de récits toujours parmi le noyau le plus sombre de l’œuvre : Le chien, La musique d’Erich Zann, L’innommable. Lorsque peu après La peur en embuscade, il commence Les rats dans les murs, on dirait qu’il cherche délibérément à se confronter aux figures les plus archétypiques du récit fantastique. Le vieux manoir reçu en héritage, et le nom d’Edgar Poe à peine dissimulé en Poer. D’autant que Lovecraft vient de découvrir ce grand livre qu’est La montagne des rêves (The hill of dreams) d’Arthur Machen. 

Mais à ce moment-là, début 1924, Weird Tales  existera, et Lovecraft dispose d’un vrai débouché éditorial pour son travail.

Ne boudons pas notre plaisir, même si cette angoisse latente, ou ce questionnement posé à l’univers même, ne sous-tend pas encore l’implacable machine narrative, qu’on voit progressivement ici se former.


FB


les rats dans les murs

Le 16 juillet 1923, après le départ du dernier ouvrier, j’emménageai dans le prieuré d’Exham. La restauration avait été une tâche formidable, tant il restait peu sur les vieilles fondations désertées, qu’une coquille vide de ruines ; mais parce qu’il s’agissait du lieu de mes ancêtres, aucune dépense ne m’avait découragé. Le lieu n’avait pas été habité depuis le règne de Jacques Premier, quand une tragédie d’une intensité hideuse, d’une nature même largement inexpliquée, avait abattu le maître, cinq de ses enfants, plusieurs domestiques et placé sur le troisième fils, mon géniteur en droite ligne et le seul survivant de cette lignée abhorrée, un monde de terreur et de suspicion. Avec ce jugement qui le dénonçait comme meurtrier, la propriété avait été rendue à la couronne, et l’accusé n’avait fait aucune tentative pour se disculper ou tenter de la reconquérir. Effondré par un sentiment d’horreur plus lourd que la conscience ou la loi, et n’exprimant que le souhait irrationnel de bannir le vieux bâtiment de sa vue et de sa mémoire, Walter De la Poer, onzième baron d’Exham, émigra en Virginie et y fonda la famille qui, au siècle suivant, fut connue sous le nom de Delapore.

Le prieuré d’Exham était resté à l’abandon, même ayant agrandi plus tard le patrimoine de la famille Norrys, et très étudié à cause de son architecture particulièrement composite ; une architecture incluant des tours gothiques sur une infrastructure saxonne ou romane, dont les fondations elles-mêmes relevaient d’une strate plus ancienne, ou du mélange de ces strates, romaines, druidiques ou même originairement cymriques, si la légende est vraie. Ces fondations étaient d’une particularité bien curieuse, émergeant sur tout un côté du calcaire solide du précipice, depuis le bord duquel le prieuré dominait une vallée désolée, cinq kilomètres à l’ouest du village d’Anchester. Si les architectes et les archéologues se passionnaient à étudier cette étrange relique des siècles enfuis, les gens du pays la haïssaient. Ils l’avaient haïe des siècles auparavant, quand mes ancêtres vivaient ici, et ils la haïssaient maintenant, toute percluse du lichen et du moisi de l’abandon. Je n’étais pas depuis deux jours à Anchester que je savais arriver à une maison maudite. Et maintenant les ouvriers avaient fait resurgir le prieuré d’Exham, avaient anéanti les traces de sa fondation.

Les données essentielles concernant mes ancêtres, je les ai toujours sues, comme le fait que mon premier aïeul américain était arrivé dans les colonies porté par d’étranges auspices. Mais, des détails, j’étais resté pleinement dans l’ignorance, tant cette politique de réserve était ancrée chez les Delapore. Contrairement à nos voisins planteurs, nous fanfaronnions rarement sur nos ancêtres qui auraient fait les croisades, ou autres héros du Moyen Âge ou de la Renaissance ; et pas d’autre tradition évoquée chez nous, que ce qui avait pu être recueilli d’une enveloppe scellée laissée avant la Guerre civile par chaque chef de famille à son fils aîné, pour une lecture posthume. La gloire qui nous était si chère à propos de tout ce qui avait été fait depuis notre émigration, la gloire d’une famille fière et honorable, cela devait se limiter à notre histoire en Virginie.

Avec la guerre, nos possessions et notre fortune s’évanouirent, et toute notre existence bascula avec l’incendie de Carfax, là où nous vivions sur les rives de la rivière James. Mon grand-père, devenu très âgé, était mort dans l’incendie, et avec lui l’enveloppe qui recelait et nous transmettait notre passé. Je me souviens encore aujourd’hui de cet incendie, tel que je le vis du haut de mes sept ans, avec les soldats fédéraux qui criaient, les femmes qui hurlaient, et les nègres gémissant et priant. Mon père était dans l’armée qui défendait Richmond, et nous avons dû accomplir bien des formalités pour que ma mère et moi puissions le rejoindre à travers les lignes militaires. Quand la guerre se termina, nous déménageâmes au nord, d’où venait ma mère ; et peu à peu je grandis pour devenir un jeune homme, puis un homme mûr, et conquérir ma part de solide fortune yankee. Ni mon père ni moi n’avons jamais su ce que l’enveloppe héréditaire recelait, et comme je faisais mon trou dans la grisaille des affaires du Massachusetts, je perdis tout intérêt aux mystères qui hantaient d’évidence, loin en arrière, l’arbre généalogique familial. En aurais-je suspecté la nature, combien j’aurais été heureux d’abandonner le prieuré d’Exham à ses lichens, ses chauves-souris et ses toiles d’araignée !

Mon père mourut en 1904, mais sans aucun message à me laisser, ou à mon seul fils, Alfred, orphelin de mère et âgé de dix ans. C’est cet enfant qui renversa le sort concernant les informations familiales. Parce que, quand bien même je n’avais pu lui transmettre que quelques anecdotes ou plaisanteries sur notre passé, il m’envoya par lettre quelques-unes des légendes ancestrales, et passionnantes, quand la dernière guerre le mena en 1917 jusqu’à l’Angleterre, en tant qu’officier d’aviation. Un ami de mon fils, le capitaine Edward Norrys, du Corps royal d’aviation, avait vécu près du lieu d’origine de la famille à Anchester, et lui raconta ces superstitions paysannes dont bien peu de romanciers auraient pu égaler la sauvagerie et le surprenant : apparemment, les Delapore avaient une histoire haute en couleur, mais aussi bien sinistre. Norrys lui-même, bien sûr, ne les prenait pas au sérieux ; mais elles amusèrent mon fils et lui fournissaient du matériau pour m’écrire. Ce sont ces légendes qui firent définitivement bifurquer mon intérêt vers mon héritage transatlantique, et m’induisirent cette résolution d’acheter et restaurer le siège de l’origine familial, que Norrys avait montré à Alfred dans son abandon pittoresque, lui proposant de le lui faire acheter dans des conditions éminemment raisonnables, puisque son propre oncle en était l’actuel propriétaire.

J’achetai le prieuré d’Exham en 1918, mais fus détourné dans l’immédiat de mes plans de restauration quand mon fils me revint mutilé, et invalide. Pendant les deux ans qu’il lui restait à vivre, je ne pensai à rien d’autre qu’à ses soins, et confiai à mes associés la direction de mes affaires. En 1921, je me retrouvai vide et sans but, un patron à la retraite et non plus dans sa première jeunesse. Je me résolus, pour me détourner de mes souvenirs, à consacrer le restant de mes jours à ma nouvelle acquisition. J’y fus entraîné par le capitaine Norrys, maintenant un aimable et grassouillet jeune homme, qui avait été si proche de mon fils, et m’assurait de son assistance dans les plans à établir et les détails qui me guideraient dans la restauration à venir. Le prieuré d’Exham lui-même, je le découvris sans émotion, un mélange de ruines médiévales chancelantes couvertes de mousses et criblées de nids de corbeaux, périlleusement perché sur son précipice, vidé de ses planchers, charpentes et de tout apparat intérieur hors les murs de pierre des vieilles tours disjointes.

Tandis que je reconstituai progressivement les plans de l’édifice tel qu’il était lorsque mes ancêtres l’avaient abandonné il y a trois siècles, je commençai à recruter des ouvriers pour sa reconstruction. Chaque fois, j’étais obligé de quitter les environs immédiats, tellement les habitants d’Anchester avaient cette peur et cette haine presque incroyables du lieu. Ce sentiment était si grand qu’ils arrivaient parfois à le faire partager à mes travailleurs du dehors, causant d’innombrables défections ; et une telle ampleur que cela incluait à la fois le prieuré et ses anciens propriétaires.

Mon fils m’avait dit qu’on l’avait évité durant sa visite, simplement parce qu’il était un De la Poer, et je me retrouvais moi-même dans une situation de subtil ostracisme pour la même raison, jusqu’à ce que je puisse convaincre les paysans de combien j’en savais peu sur mon héritage. Même alors, ils me détestaient d’une façon sourdement menaçante, et tout ce que j’ai pu recueillir des récits du village ce fut par la médiation de Norrys. Ce que les gens ne pouvaient pardonner, peut-être, c’est que j’étais venu restaurer un symbole qu’ils abhorraient tant – puisque, rationnellement ou pas, ils considéraient le prieuré d’Exham comme rien moins qu’un repère de démons et de loups-garous.

Rassemblant les contes que Norrys avait recueillis pour moi, et les compilant avec les rapports des nombreux savants qui avaient étudié les ruines, j’en avais déduit que le prieuré d’Exham occupait le site d’un temple préhistorique ; une construction druidique ou d’avant les druides, probablement contemporaine de Stonehenge. Des rites indescriptibles avaient été célébrés ici, peu en doutaient ; et il y avait des récits pas...

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents