Monsieur Karénine
66 pages
Français

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Monsieur Karénine , livre ebook

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66 pages
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Description

Avec Monsieur Karénine, l'auteur nous prend la main pour nous faire rencontrer des personnages hauts en couleur, parfois attachants, parfois drôles, parfois décalés. Ils se livrent à nous ouvertement, ou bien à leur insu en révélant des travers inattendus qui sont mis en scène comme dans une pièce de théâtre, sur décor de grande métropole urbaine. Passionnée de psychologie et littérature, l'auteur allie la lucidité, le charme et la finesse pour nous faire partager sa vision sans complaisance du monde dans lequel nous vivons.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 décembre 2010
Nombre de lectures 212
EAN13 9782296715882
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0424€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

MONSIEUR KARENINE
 
Zeynep Bayramoğlu
 
 
MONSIEUR KARENINE
 
Contes métropolitains
 
 
Du même auteur
La démission , L’Harmattan, 2009.
 
 
© L’HARMATTAN, 2010
5-7, rue de l’École-Polytechnique ; 75005 Paris
http://www.librairieharmattan.com
diffusion.harmattan@wanadoo.fr
harmattan1@wanadoo.fr
ISBN : 978-2-296-13831-5
EAN: 9782296138315
 
Fabrication numérique : Socprest, 2012
Ouvrage numérisé avec le soutien du Centre National du Livre
 
à Véronique Petit et à J.B. Pontalis
 
JE N’AI JAMAIS ECRIT A SYLVIE LE BON  DE BEAUVOIR, MAIS A PARIS HILTON
 
 
A vrai dire je suis une espèce de "Herzog" de naissance. J’écris à n’importe qui, n’importe quand, et n’importe comment. C’est une obsession chez moi : écrire des lettres. Qu’y faire ? Chacun sa maladie ; à notre époque, c’est normal, à cent pour cent !
Un beau jour d’été, dans ma petite guérite de caissière au cinéma où je travaille, j’ai vu tout à coup apparaître devant moi une petite femme brune aux yeux étincelants, souriante, avec l’air d’être plutôt contente de sa vie :
⎯ Un billet pour L’Impossible Monsieur Bébé s’il vous plaît. Je l’ai regardée, j’ai réfléchi un moment et je lui ai dit :
⎯ Vous n’êtes pas Sylvie Le Bon de Beauvoir ?
⎯ Oui.
⎯ Ah ! Je suis traductrice de Simone de Beauvoir !
⎯ Ah ! oui, en quelle langue ?
⎯ Le turc. J’aimerais bien prendre un café un jour avec vous, ai-je dit en me départissant de ma réserve.
⎯ Ecrivez-moi, m’a-t-elle répondu – et elle m’a donné son adresse.
Je lui ai offert un billet gratuit, et après qu’elle fût rentrée dans la salle, j’ai regardé un moment, hébétée, l’adresse que je tenais dans ma main. Qu’elle était charmante ! Sylvie Le Bon était en face de moi tout à l’heure, elle m’avait donné son adresse !
Du coup, je fus prise de vague à l’âme. Que pouvais-je lui écrire ? Mon respect pour Simone de Beauvoir ? Que j’aime autant Le Deuxième Sexe que La Femme rompue , Les Mandarins , Pyrrus et Cinéas  ? L’histoire du voile dans mon pays ? De toute façon j’étais tellement une femme rompue que je m’en fichais complètement de l’affaire du voile dans mon pays natal. Ça me révoltait, oui, mais que pouvais-je faire, je n’avais pas l’âme militante. Alors j’ai laissé tomber l’idée d’écrire à Sylvie Le Bon de Beauvoir, malgré tout le respect que j’avais pour elle, et j’ai entrepris de m’attaquer à des problèmes existentiels plus graves, comme par exemple "acheter un amant". Donc, coucou comme je suis, j’ai décidé d’écrire une belle lettre à Paris Hilton. Vite j’ai pris une feuille de brouillon :
⎯ " Très Chère Paris,
Je me permets de vous écrire car je suis une femme amoureuse. J’imagine que vous savez très bien ce que c’est, l’amour, cette douleur amère qui perce le cœur, à en juger par tout ce que vous avez vécu. Je suis de près votre vie dans les journaux et j’ai décidé que vous êtes une femme profondément sensible, et blessée comme moi.
Comment j’en suis arrivée à cette conclusion ? On aime les animaux toutes les deux, on a des addictions toutes les deux, on est malheureuses en amour toute les deux, on est blessées par les hommes toutes les deux... Oh ! quel salaud cet homme qui vous a filmée faisant l’amour avec lui, et qui a vendu la vidéo au monde entier pour faire du fric. J’ai oublié son nom, mais j’ai envie de lui mettre mon poing dans la figure !
Vous pouvez très bien dire : « Ma chère, vous ne m’écrivez pas cette lettre pour pleurnicher j’espère... » Non, Paris, non. J’ai besoin de l’aide d’une vraie amie qui comprend l’amour. Et c’est vous.
Chère Paris, j’ai un amant rêveur qui s’est planté en affaires, un bel homme d’une cinquantaine d’années mais qui ne fait pas son âge. J’aimerais bien le racheter à sa femme et régler ses dettes, pour que nous puissions sereinement continuer notre relation...
Ce que je vous demande humblement, chère camarade, c’est de m’envoyer dix millions de dollars pour que je puisse racheter mon amant à sa femme. L’amour n’a pas de prix, vous le savez. Ça a peut-être l’air beaucoup, cette somme, mais je vous rembourserai centime par centime. Par exemple j’écrirai votre biographie. Je serai votre fidèle servante jusqu’à ma mort si vous me permettez d’avoir l’amour de ma vie.
On se comprend entre nous, je sais. Je vous fais confiance, Paris. En attendant votre réponse, très amicalement. Je vous fais plein de bisous.
P.S. Je vous envoie aussi ce nouveau modèle de collier, un petit Swarowski en forme de cœur pour vous prouver mon amitié. Je sais ce n’est rien pour vous. Peut-être vous avez le même. Mais c’est le cœur qui compte, non? Amitiés.
 
LES POISSONS ROUGES
 
 
C’était lui. J’en étais sûre. Dès que j’ai franchi la porte, j’ai repéré cet homme grand et mince, aux yeux océan, un nez d’aigle, les cheveux blancs et ses longues et jolies mains. Un visage très expressif. Ce n’est pas tous les jours que vous rencontrerez un tel visage dans le métro, je vous assure !
J’étais sous le choc. Comment deux individus peuvent-ils se ressembler à ce point, sans être ni jumeaux, ni clones ? À part le costume-cravate peut-être, qui n’allait pas avec ce visage, et aussi un peu la coiffure. On ne peut pas imaginer un Beckett sans ses cheveux hérisson.
Je l’ai regardé dans les yeux, et suis allée directement vers lui, en oubliant tous les autres invités :
⎯ Bonsoir Monsieur Beckett.
⎯ Bonsoir mademoiselle.
⎯ Allez, un bisou quand même.
On s’est fait la bise.
⎯ Vous écrivez, n’est-ce pas ?
⎯ Ah ! bien sûr que non, je fais tout sauf écrire...
⎯ Je ne vous crois pas.
Rires.
Puis l’alcool a été servi dans un petit studio de Saint-Germain-des-Prés, derrière la rue Bonaparte. Tous les alcooliques du quartiers y étaient réunis, après la fermeture du Québec.
J’étais comme envoûtée. Je m’en foutais que le maître de maison m’en veuille parce que je ne lui avais pas offert un verre pendant la tournée au bistrot. Chacun était dans son monde : le jeune homme qui s’assoit tout seul dans un coin, les hommes qui jouent aux dés, une femme qui danse toute seule.
Après que l’alcool fût servi, je me suis mise à examiner Monsieur Beckett :
⎯ Donnez-moi un profil. Oh ! c’est génial, c’est incroyable. C’est impossible de ressembler à quelqu’un à ce point. Regardez-moi de face. Oh ! Ce sont les mêmes yeux. L’océan... L’horizon...
Monsieur Beckett ne disait rien, il avait l’air étonné. Alors il m’a retorqué :
⎯ Alors vous, vous êtes mon étrangère, “L’Étrangère”.
⎯ Pas mal, Monsieur Beckett, je savais bien qu’on s’entendrait.
Nous nous sommes mis côte à côte, et nous nous sommes tus.
Les autres regardaient un clip vidéo. Après la bière et le pastis, on a servi du rhum-coca. L’homme que j’avais baptisé Beckett, et moi qu’il avait baptisée “L’Étrangère”, nous étions toujours côte à côte, immobiles, muets.
Les autres étaient emportés par la vague de l’alcool. Puis ils nous ont baptisés en versant de l’eau sur nos tête, et en nous filmant. Désormais Monsieur Beckett et moi, L’Étrangère, nous allions laisser une trace de nous, ensemble, dans le monde des images. Nous étions devenus des images, inoubliables jusqu’à ce que cette cassette vidéo pourisse.
Puis le matin à huit heures Monsieur Beckett m’a dit :
⎯ Au revoir, je dois aller travailler.
⎯ Oui, vous devriez aller écrire ; ravie d’avoir fait votre connaissance, Monsieur Beckett.
Quand il est parti, je suis restée sur ma faim. Qui était cet homme qui ressemblait tant à Beckett ? Pouvait-on connaître quelqu’un vraiment à fond, ou ne voit-on que de petites images, celles qu’on veut bien nous montrer ? La ressemblance physique fait-elle écho à la ressemblance de l’âme ?
Le lendemain, moi, L’Étrangère, j’ai oublié Monsieur Beckett. Les soucis du quotidien ont pris le dessus.
Quelques temps ont passé, la vie suivait son cours, et une belle nuit d’été je suis passée au Chai Antoine. Monsieur Beckett était au bar. Il buvait tranquillement sa bière avec de la compagnie. Je lui ai dit :
⎯ Bonsoir Monsieur Beckett, ravie de vous revoir.
On s’est fait la bise.
⎯ Mais qui êtes-vous ? On se connaît ? ...
⎯ Une étrangère,

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