Polytan
93 pages
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Description

Elle s’appelle Elyia. C’est une cybione, un être unique, pour ainsi dire éternelle. Son employeur, l’agence Ender qui assure les constitutions de mille mondes, lui confit des missions suicides et la fait renaître après chaque mort.
Éternellement jeune, privée d’une partie de sa mémoire, Élya ne cesse de lutter entre son asservissement programmé et son goût pour la liberté.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 12 mars 2015
Nombre de lectures 151
EAN13 9782846269391
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0037€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Polytan
Du même auteur chez le même éditeur
LECHANTDUDRILLE, roman CHRONIQUESDUNRÊVEENCLAVÉ, roman DEMAIN,UNEOASIS, roman BALADECHOREÏALE, roman LABOHÊMEETLIVRAIE, roman MYTALE, roman L’HISTRION, roman TRANSPARENCES, roman RÉSURGENCES, roman RAINBOWWARRIORS, roman BASTARDS, roman
ISBN : 9782846269001
© Éditions Au diable vauvert, 2015 © Ayerdhal, 2015
Au diable vauvert www.audiable.com La Laune 30600 Vauvert
Catalogue disponible sur demande contact@audiable.com
À Anne, Jacques et Seb, en toute insolence et avec affection.
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Depuis le temps qu’elle connaît Saryll, 93 ans, Elyia ne devrait pas avoir encore à s’étonner, mais c’est plus fort que les liens qu’ils ont entretenus – ces piètres années d’amour subjugué, celles infâmes de dépendance servile et leurs décennies de haine –, il réussit toujours à surprendre l’innocence dont elle se croit défaite. Bran de bran!se morigènetelle. Après autant de morts, comment puisje être aussi conne? Elle est morte des dizaines de fois pour lui, et à peine moins parlui. Pas directement, bien sûr – il ne l’a probablement tuée qu’une fois, la première –, mais de la même façon qu’elle travaille poursonAgence, elle meurt deses Spads, ces chiens de garde invisibles qui ne savent que garder Elyia Nahm au service d’Ender. Qu’à la fin d’une mission elle fasse mine de ne pas revenir, et un Spad la frappe, de dos, pour lui faire réintégrer sa cuve Phénix d’un voyage définitif. C’est facile, incontournable, il suffit que sa vie s’efface pour que l’ansible, dont un génie malade a doté ses cellules de culture, avertisse le biosynthétiseur de mettre en route une autre Elyia, identique, parfaite, amnésique de tout ce que sa mort a emporté. De combien de tranches de vie ne se souvientelle pas? De combien de sensations, d’émotions, d’instants l’ont amputée les Spads? Elle connaît seulement ceux pour lesquels elle a décidé de rentrer, ceux que le biosynthé a engrammés de son vivant, avant qu’elle se suicide de rage, de honte ou de dégoût, ou qu’un Spad encore la rattrape. Elle est cybione – CYbernetic BIologic clONE – à jamais, incapable de se libérer vivante, sans espoir de s’évader par la mort. Et elle appartient à Ender. Et Ender appartient à Saryll.
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Il y a longtemps, elle a juré qu’elle le tuerait, puis elle s’est délectée à le regarder vieillir, à le voir s’étioler, à le sentir se putréfier, et cette vengeance la satisfait. Chaque fois qu’elle peut se tenir debout, éternellement superbe, face à lui, face au lévitant dont il ne peut plus s’extraire, chaque fois qu’elle peut lui jeter son insolence à bout portant, elle savoure sa haine. Tu vas mourir, Saryll. Tu vas mourir de la pire mort: vidé de désir et de force, vidé de tes derniers neurones et de ta fière intelligence, vidé de vie. Et moi j’aurai toujours entre vingtcinq et trente ans. Elle n’a pas besoin de le lui dire. Elle a juste à se montrer. Cela suffit pour lui rappeler que cette éternité devrait être la sienne et qu’une de ses victimes l’en a privé pour l’offrir à Elyia. Il s’appelait Lisk Ender Tan, il a inventé le biosynthétiseur et il est mort des mains de Saryll, juste après avoir verrouillé sa machine afin qu’elle ne fabrique plus que des Elyia, une seule à la fois. Des Elyia que l’Agence – ironiquement rebaptiséeEnderpar l’humour sadomasochiste de Saryll – envoie au massacre, parce que la mort n’a qu’une prise temporaire sur elles. Des Elyia dont Elyia n’a pas besoin d’avoir la mémoire pour savoir qu’elles ont été écharpées, torturées, violées. Des Elyia conservées dans les dossiers ultrasecrets d’Ender, auxquels elle a accès, parfois, quand Saryll se veut généreux ou quand elle en force les verrous informatiques. Les mémoires indicibles d’Ender qu’elle va enrichir, une fois de plus. — C’est une gentille planète, tu verras, même si les gens ne tiennent pas en place. En fait, c’est une démocratie sans histoire qui s’excite par cycles. Rien de grave, une vague agitation étudiante, quelques grèves très classiques et un peu de casse, histoire de relancer l’industrie. Disons que, tous les trente ans, le pouvoir est remis en cause par une poignée de subversifs qui s’appuient sur la jeunesse et le prolétariat. Ça dure le temps d’un printemps et tout rentre dans l’ordre, souvent mieux que ce n’était. D’une façon générale, nous ne nous en mêlons pas, sinon en favorisant les idéologues modérés, mais cette fois les émeutes fêtent leur premier anniversaire et elles font preuve d’une organisation alarmante.
— C’est quoi: alarmante? demande Elyia. Saryll ressort son vieux timbre pathétique du larynx en teflarqui lui tient lieu de vocodeur intime. — Elles se posent en contrepouvoir, scindant la société en deux clans bien distincts, dont elles contrôlent l’une des parties par la terreur. On va droit au totalitarisme, làbas, et nous ne savons pas comment l’éviter autrement que par la violence. J’ai plus de mille agents sur place, complètement dépassés, et pas un qui propose autre chose que l’écrasement militaire des sécessionnistes. Je veux que tu me casses cette spirale, Elyia, et que tu regonfles les institutions. — Beau discours, Patron, mais vous ne dites rien. Plutôt que se fâcher, Saryll se racle une glaire. — Quelqu’un manipule la rébellion pour en faire une révolution et quelqu’un manipule la démocratie pour en faire une dictature. Il y a des chances que ce soit la même volonté et que cette volonté soit lémaine. Cela ressemble beaucoup à Lem, mais elle pourrait aussi être autochtone. Débarrasse nous du ou des manipulateurs, nous ramènerons les émeutiers à de plus nobles sentiments et le gouvernement à un exercice raisonnable du pouvoir. Et Elyia gobe l’œuf, avec la coquille. C’est à peine si elle se demande « Pourquoi moi? », alors qu’on ne la sort que pour les mégacatastrophes, quand Ender a déjà perdu ses meilleurs agents, quand Saryll n’a plus qu’elle à sacrifier, autant de fois qu’il le faudra. À la rigueur, Lem est une explication suffisante. Elle ignore tout de Lem, mais elle a affronté les Lémains, souvent, quand l’un ou l’autre de leurs arcanes antihumains se sont avérés plus tordus qu’habituellement. Ils ne sont pas bien nombreux, pas très puissants, mais leur seule ambition est d’effondrer l’humanité de l’intérieur. En matière de zizanie, ils n’ont pas de maître. Néanmoins il n’est pas question de Lem dans le dossier, ni de Lémains. Elle l’ingère – et digère – pendant le voyage, et rien ne l’interpelle, comme si l’hyperespace amoindrissait ses facultés. Un long voyage, pourtant: douze jours d’immersion et rien d’autre à faire qu’éplucher des millions de kilooctets
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pour tout savoir sur CinqTanat, gentil petit monde en bordure de l’Amas de Shimer, dernier vestige historique du Polytan, unique survivant d’une guerre qui a éteint des centaines d’astres. Trois milliards d’habitants, un niveau culturel tout à fait honnête, pas de dette extérieure, pas d’inimitié déclarée, pas d’allégeance connue et toutes les chances de devenir, à brève échéance, l’un des moteurs économiques, scientifiques et industriels de l’Amas. Toutes les chances sauf une: il tangue d’une démocratie hésitante, qui a tendance à renouer avec ses vieux démons totalitaires, ce Polytan que mille mondes ont mis douze siècles à éradiquer dans le bruit et la fureur. Ce monstre absolu contre lequel Ender assure la Constitution républicaine de CinqTanat… avec mille agents impuissants. Elyia n’a pas une connaissance exhaustive des contrats d’Ender, mais il lui semble qu’aucun autre mondeamine bénéficie d’autant de sollicitude. Et il ne s’agit que de jongler avec les schémas psychosociaux pour préserver des acquis politiques. Un spécialiste, seul, devrait suffire! « CinqTanat est le siège d’une mémoire collective tenace et valorisante », conclut le département analytique. « Il faut la combattre par le temps et la substitution. N’oubliez jamais qu’à son heure de gloire, si brève atelle été, le Polytan a été la plus puissante civilisation que la Galaxie ait connue. Cinq Tanat sort de la déchéance après des siècles de misère, nous devons lui construire un avenir optimal que la médiocrité de son présent assimile à un objectif monomaniaque. Pour être stimulant, ce défi ne pourra pas être tenu. » L’objectif sélectionné et distillé depuis cinquante ans par Ender est: devenir une puissance galactique généreuse qui fasse oublier le Polytan. Il a pris pour une très large majorité de la population, fluctuant par intermittence, quand les défavorisés en ont marre de se sacrifier ou quand la jeunesse ne supporte plus de n’avoir ni passé, ni présent, ni futur qui lui soient personnels. A priori, ces accrocs sporadiques favorisent les leitmotive généraux et les desseins d’Ender (ils ralentissent à point la progression vers l’objectif et relancent efficacement l’émulation), sauf qu’ils s’identifient invariablement aux mirages du Polytan.
« Un an d’âge », le dernier mouvement d’insatisfaction en date a créé la scission, une cassure nette entre deux tranches de la population, un tout ou rien qui exclue la tolérance et la promiscuité. Ce qui embarrasse Saryll saute aux yeux, l’un des deux groupes revendique l’abolition de la démocratie et, s’il est minoritaire, il touche l’essentiel des moins de trente ans, affichant ouvertement sa nostalgie du Polytan. Une génération complète rêvant au totalitarisme: il y a de quoi s’inquiéter! Surtout quand les autres envisagent de l’amadouer par la répression. Au fond, Elyia se sent des affinités avec ce boulot. À l’émersion, elle a même l’impression d’avoir une mission à remplir, quelque chose qui vaille de s’investir. Puis l’astrogateur l’appelle et désigne l’ansible. — Il y a un message pour vous, ditil, en attente depuis deux jours. Je vous préviens: ce n’est pas moi qui l’ai déplombé. — Déplombé? s’étonne Elyia. — Regardez, vous comprendrez. Elyia a juste à allumer le monitor, le processeur est encore bloqué sur le message qui lui est destiné. Il émane de Saryll, il est chiffré par des logarithmes incassables et il est cassé, une ligne en clair apparaissant entre chaque ligne codée. «Situation modifiée, état de guerre civile, leaders rebelles à écarter, contacter Carnji chef Cabinet d’Urgence » Elyia sait très bien ce que signifie « à écarter » et ce que peut être un cabinet d’urgence, comme elle ne peut pas ignorer qu’en l’accompagnant au vaisseau, Saryll connaissait la teneur du message qu’il allait lui expédier. — Qui a eu la com entre les mains? demandetelle. — Personne, répond l’astrogateur. Elle est seulement restée enstandbydans le master de CinqTanat pendant que nous étions en plongée. C’est là qu’elle a été déplombée. En deux jours? Elyia retient un ricanement d’un jaune hépatique, qu’elle double d’une colère douloureusement rentrée. Non seulement elle reçoit l’ordre d’abattre plusieurs personnes, mais de surcroît elle débarque avec « tueur » écrit en relief sur son idproc. Saryll ne s’est pas contenté de la rouler, il l’a piégée. Elle refuse ce genre de mission et elle ne
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cherchera pas à accomplir celleci, mais elle sera peutêtre contrainte de la remplir, pour échapper à ceux qui croient se défendre d’elle. — Je parie que vous serez le dernier astro à aborder Cinq Tanat avant un moment, lancetelle à l’astrogateur. Avec leur terreur du Polytan, les planètes proches ne manqueront pas d’instaurer un blocus que personne ne s’empressera de forcer, et surtout pas Ender qu’Elyia représente si bien, bloquée dans un nid de frelons avec son seul charme comme insecticide.
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Celaressembleencorevaguementàunastroportetbiendavantage à un champ de manœuvres militaires dépourvu d’officier. En tout cas, c’est la panique. À l’extérieur, tout ce qui possède un générateur s’efforce de se dégager un couloir d’envol et de ne pas percuter un appareil ou un autre: des dizaines de vaisseaux vrombissent d’impatience, des centaines de navettes et d’agraves se gênent, se frôlent ou s’intimident. À l’intérieur, des milliers de civils courent vers le refuge d’un astronef ou le soulagement d’une issue et autant de soldats cherchent en tous sens un ordre cohérent, rebondissant d’officier en officier au fil des annonces contradictoires distillées par les hautparleurs. Les vingt hectares de l’astrogare sont en proie à la pagaille la plus désorganisée et Elyia avance, seule, sur la passerelle de débarquement, vers l’unique cabine douanière encore en fonction. À l’évidence, le service d’immigration n’attend plus de touristes. Quand elle pénètre dans la cabine, le sas qui lui a permis d’accéder à la passerelle se verrouille (de toute façon, la navette qui l’a prise en charge depuis le vaisseau est repartie, sans prendre le temps de débarquer ses bagages). La cabine aussi se referme sur elle. — Veuillez enficher votre idproc dans le lecteur prévu à cet effet, ânonne un vocodeur. La cabine est une boîte d’un mètre vingt de côté sur trois de haut, elle contient un écran interactif encastré dans un mur et les fiches du lecteur d’idproc, rien de plus. L’écran s’allume dès que le processeur d’identité est enfiché. Le visage qu’il montre n’est pas celui d’un fonctionnaire, ou alors ils les embauchent très jeunes. — Elyia Nahm? demandetil pour le principe. Sirk Carnji. Je vous attendais.
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