Soigner, aimer
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Soigner, aimer , livre ebook

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Description

Soigner est une variation du verbe aimer. Il faut aimer nos patients.
On espère d’un chirurgien qu’il opère bien. Jusqu’à ce qu’un robot le remplace. Du psychiatre, on attend savoir et écoute. Une machine peut prescrire des pilules mieux que lui, mais ne peut aimer mieux que lui. La médecine exige techniques et connaissances, mais cela ne suffit pas, particulièrement en psychiatrie, où la relation est le cœur et le nœud.
Nous sommes encore des humains.
Sans amour pour l’autre, pas de soin véritable. Et quand Ouanessa Younsi parle de soin, bien sûr, elle considère l’être tout entier, le soma et la psyché réunis, donc l’âme. C’est probablement pourquoi elle écrit : « Face aux désordres de l’âme, j’ai l’intuition qu’il faut plus d’âme encore ». Ce qui fait que les textes de Soigner, aimer sont eux-mêmes remplis d’âme, l’auteure y dévoilant avec une langue toute poétique certains traits des âmes les plus souffrantes qu’elle a croisées. »

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 18 octobre 2016
Nombre de lectures 833
EAN13 9782897123970
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0450€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Ouanessa Younsi
soigner, aimer
MÉMOIRE D’ENCRIER
Mémoire d’encrier reconnaît l’aide financière du Gouvernement du Canada par l’entremise du Conseil des Arts du Canada, du Fonds du livre du Canada et du Gouvernement du Québec par le Programme de crédit d’impôt pour l’édition de livres, Gestion Sodec.
Mise en page : Virginie Turcotte Couverture : Étienne Bienvenu Dépôt légal : 4 e trimestre 2016 © 2016 Mémoire d’encrier inc. Tous droits réservés
ISBN 978-2-89712-396-3 (Papier) ISBN 978-2-89712-398-7 (PDF) ISBN 978-2-89712-397-0 (ePub) PS8647.O955S64 2016 C848’.6 C2016-941323-3 PS9647.O955S64 2016
MÉMOIRE D’ENCRIER 1260, rue Bélanger, bur. 201 • Montréal • Québec • H2S 1H9 Tél. : 514 989 1491 info@memoiredencrier.com • www.memoiredencrier.com
Fabrication du ePub : Stéphane Cormier
Les textes qui suivent sont constitués d’histoires imaginées ou modifiées par souci de confidentialité. Tous les noms des personnages sont inventés, hormis celui de Denise, dont je suis la petite-fille.
de la même auteure

Prendre langue (poésie), Mémoire d’encrier, 2011.
Emprunter aux oiseaux (poésie), Mémoire d’encrier, 2014.
Femmes rapaillées (poésie), codirection avec Isabelle Duval, Mémoire d’encrier, 2016.
Chaque matin, je dois accepter
de plonger les doigts dans la douleur.

Louise Dupré, L’album multicolore


Cure, au sens de traitement, d’éradication de la maladie et de sa cause, tend aujourd’hui à prendre le pas sur le sens de care (soin, intérêt, attention). Les médecins praticiens sont sans cesse en train de livrer bataille pour empêcher que les deux sens ne perdent contact l’un avec l’autre.

D. W. Winnicott, Conversations ordinaires
préface
Soigner, aimer , titre du livre de Ouanessa Younsi, psychiatre et poète, montre qu’elle a tout compris, ou qu’elle a beaucoup compris. On ne peut vraiment soigner, on ne peut vraiment être soignant si on n’aime pas. On peut certes apporter de l’aide ou des services aux autres, maîtriser leur mal, peut-être retirer un appendice tout enflé du ventre ou apaiser une angoisse horrible, mais cela peut demeurer mécanique, et sans affect, si tous ces actes, malgré leur apparente efficacité, sont posés sans amour.
Sans amour pour l’autre, pas de soin véritable. Et quand Ouanessa Younsi parle de soin, bien sûr, elle considère l’être tout entier, le soma et la psyché réunis, donc l’âme. C’est probablement pourquoi elle écrit : « Face aux désordres de l’âme, j’ai l’intuition qu’il faut plus d’âme encore ». Ce qui fait que les textes de Soigner, aimer sont eux-mêmes remplis d’âme, l’auteure y dévoilant avec une langue toute poétique certains traits des âmes les plus souffrantes qu’elle a croisées.
Plusieurs essais se déroulent à Sept-Îles où, écrit-elle, « un chamane m’a remis une outarde pour soigner ». En effet, un jour, un patient d’origine innue lui a dit : « Tshinashkumitin », ce qui signifie littéralement : « Pour te remercier de m’avoir soigné, je t’offre une outarde en cadeau ».
J’ai lu Soigner, aimer avec l’émotion de celui qui a eu le bonheur de connaître son auteure alors qu’elle était étudiante, à la Faculté de médecine de l’Université Laval. J’offrais alors mes tout premiers cours de littérature. D’emblée, Ouanessa Younsi m’a ébloui par ses capacités de lecture et d’écriture. Sachant bien toute la sensibilité dont elle était faite, elle a tout de même poursuivi ses études médicales jusqu’à devenir psychiatre.
La réflexion qu’elle tient sur le monde dans lequel elle évolue, sur la société en général, plus que jamais préoccupée par les rendements, la production, le capital et d’apparentes nécessaires austérités, mais aussi sa réflexion à propos de son petit monde médical parfois subjugué par l’argent et le pouvoir (« sniffer de l’essence, de la coke, ou des billets de cent, ça reste un dérèglement des sens »), monde qui a pourtant comme tâche première de s’occuper des patients et de leurs maux (en particulier des cas de psychose qu’elle-même est appelée à soigner presque chaque jour, en tant que psychiatre), tout cela a renforcé ma confiance dans le vrai soin à l’autre. Tout reste possible grâce à la puissance poétique manifestée dans ces textes courts. On pressent que la Beauté est là, à portée de cœur, dans la mesure où jamais l’art n’est oublié au profit de la science.
« Oh tu aimes tes patients, tu aimes soigner, mais écrire te soigne de toi-même et tu peux mieux accompagner autrui », termine l’auteure en songeant à son art, soulignant ainsi, à sa manière, que l’ultime valeur humaine, finalement, demeure la compassion.

Jean Désy
prologue
Soigner, aimer retrace mon parcours comme soignante. Certains textes ont été composés lors de ma formation. D’autres, à mes débuts comme médecin psychiatre à Sept-Îles, puis à Montréal. Certains abordent le soin d’autrui. D’autres, de soi et des Autres en soi. Tous font le pari d’une prose poétique pour dire la souffrance, la compassion.
Ma pensée et ma pratique ont évolué, mais il faut croire au passé : nous n’avons que lui. À ce stade de mon métier, je me fie à l’essentiel : soigner est une variation du verbe aimer. Il faut aimer nos patients. On espère d’un chirurgien qu’il opère bien. Jusqu’à ce qu’un robot le remplace. Du psychiatre, on attend savoir et écoute. Une machine peut prescrire des pilules mieux que lui, mais ne peut aimer mieux que lui. La médecine exige techniques et connaissances, mais cela ne suffit pas, particulièrement en psychiatrie, où la relation est le cœur et le nœud. Nous sommes encore des humains.
Soigner est ardu et nécessite la capacité de poser des limites, tout en validant la souffrance du patient. Aimer, c’est aussi dire non, en maintenant le lien et la présence, même si le patient ne nous aime pas en retour. Surtout si le patient ne nous aime pas en retour. Nous ne soignons pas pour être aimés. Le psychiatre doit travailler cela. Autrement il peut nuire, en traitant son impuissance ou son amour-propre au détriment du patient.
Il y a malaise dans la civilisation psychiatrique. De multiples difficultés psychologiques et sociales secouent le monde. Ces problèmes ne relèvent généralement pas de la psychiatrie, ou si peu. La frontière entre le normal et le pathologique est de plus en plus poreuse. La médecine investit la souffrance psychologique et sociale. Les attentes sont nombreuses. La psychiatrie reste aidante et efficace lorsqu’elle se connaît elle-même et investit son domaine, les maladies psychiatriques. Un philosophe et historien de la médecine, Mirko D. Grmek, soulignait cet enjeu : d’un côté, avec le développement de la science, le champ de la psychiatrie perd des diagnostics au profit de la médecine physique, comme la neurosyphilis. De l’autre côté, le terrain de la psychiatrie gruge celui de la normalité. La médecine est parfois aussi démunie que les patients. Il devient urgent que la psychothérapie soit davantage accessible et que nous nous interrogions, collectivement, sur les raisons de nos souffrances. La psychiatrie, elle, continuera de faire ce qu’elle fait le mieux : traiter les maladies psychiatriques. La question du normal et du pathologique s’avère fondamentale. La souffrance est trop importante pour être laissée aux mains des seuls médecins. Soigner transcende le système de santé. Les aidantes et aidants naturels, en majorité des femmes, sont d’incroyables soignantes et soignants. Leur rôle n’est pas suffisamment reconnu et soutenu.
Soigner demande humilité. La relation thérapeutique est inégale. L’humilité équilibre le lien. Permet la compassion et non la pitié. Rappelle que le patient pourrait être moi, que peu me distingue de lui. L’excès d’argent et de pouvoir nuit à cette posture humble, en plus de creuser les inégalités socioéconomiques, qui sont un déterminant majeur de la santé d’une population.
Soigner, aimer n’existerait pas sans mes patients; je n’existerais pas comme psychiatre sans eux. Ils m’ont presque tout appris. Je les en remercie. Ils sont, avec mes amies et amis poètes, les personnes que j’admire le plus.
l’amour, c’est les autres
Je n’avais pourtant fait que jouer, comme elle-même me l’avait enseigné, comme mémère aussi un jour avait joué avec moi… comme nous jouons tous peut-être, les uns avec les autres, à travers la vie, à tâcher de nous rencontrer…

Gabrielle Roy, La Route d’Altamont
réparer (les îles)
Sept-Îles
m’illumine de café noir.
Usines. Mines. Port. Entrepôts. Et le boulevard principal, Laure : artère gonflée comme un homme à l’hélium et aux stéroïdes, les pecs taillés dans le fer local. S’y déroulent des courses de monster car tous les jours de tous les ans. Je rigole des heures en accolant le prénom « Laure » à la réalité qu’il désigne, sans réussir à masquer l’angoisse de commencer ma profession. Après dix années d’études à lire le pire, je rencontre tout.
Le logement
mime le maritime.
Rosiers. Élymes des sables. Varech. Maison peuplée de vitres que je jette sur mes épaules, des couvertures. L’embrun colle à l’erreur des reins. Je prends possession de la chambre qui devient mienne. Point de départ pour cueillir bleuets, matsutake, aurores boréales et déprimés. Je range mes oranges dans la corbeille. Mon shampoing et ma vessie dans la salle de bain. Je m’accoutume aux lieux et aux caillots. Je ne dors pas. Fascinée par les peintures et les photos de cette autre famille que la mienne qui ornent les murs. Enfants aux cheveux blonds et bruns tournoyant dans le lait au chocolat. Enfants que j’aurais si je ne les écrivais pas.
Le soleil
m’escrime.
Des hélianthes par milliers hachent mes hanches. Humilient les rideaux. Je me lève à l’heure indécente où la moitié de la planète vaque à ses occupations tandis que l’autre se blottit dans des draps. À Sept-Îles, je participe à l’hémisphère Sud. J’enfourche mon vélo. Emprunte le vent contraire jusqu’à l’hôpital. Me remémore ce chemin de graines rouges dévalé il y a deux ans, alors que j’étais en stage ici. J’oublie que j’oublie ma vie. Tout passe simple.
L’hôpital

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