Tabagie
175 pages
Français

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Description

Courâilleux commis de tabagie rue Côte-des-Neiges, Léo Rivière ne croit plus à grand-chose. Il croit à Canadien, à Bacchus, à Vénus. Et à Céline ─ pas la Dion, l’idole d’un peuple, l’autre, le Louis-Ferdinand, la honte géniale des vieux cousins d’Europe. Il le relit d’un bout à l’autre, à l’affût d’un sujet de mémoire ou d’autres choses qui ne se disent pas.
Il croit aussi à Nat, et pas qu’un peu. Folle funambelle barouettée par les grands vents qui la font fuir toujours plus loin, à la recherche du bout de la nuit, elle lui revient en pleines bourrasques et l’entraîne dans son élan jusqu’au bord du Styx, parce que la vraie beauté ne s’éteint pas à petit feu, elle s’envole dans une grande déflagration.
Plongée tragicomique au cœur de la noirceur qui habite l’homme, Tabagie est aussi une chronique du quartier-village de Côte-des-Neiges, où les personnages attachants, détraqués et souvent grotesques sont légion.
Tintamarre des mots qui se bousculent dans la tête, qui empêchent de penser, qui étouffent la parole. On demeure muets. Je ramasse ma paperasse vide. Elle enfouit sa caisse dans la gueule affamée du tiroir. Vides, câlice. Silence. Maudit tabarnak de cinciboire de cincrème de jériboire d’hostie toastée de sacrament d’étole de crucifix de calvaire. Je vais me cacher à l’arrière sans dire tout le monde que j’ai en tête, je claque la porte, la pétaque sur le bord d’une grande chire, envie de tout décâlicer, de balayer le bureau de la bosse d’un grand élan, de faire basculer l’étagère, que tous les livres en tombent, que la boîte de Guide de l’auto m’assomme jusqu’à la Grande Noirceur, qu’on en finisse une fois pour toutes. Les mains fermées en boules, en poings qui veulent s’abattre autour, boule dans la gorge et dans le coeur, dans l’âme et dans le ciel, boule de feu que je rêve de sentir s’écraser sur nous, envie de voir brûler le monde et de brûler avec, Natadja dans les bras, mais je me retiens pour ne pas crier, ne pas frapper, ne pas briser, et je compte ma caisse à la place, assis dans la chaise de Brigitte, face au moniteur où y a Nat en noir et blanc.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 10 août 2015
Nombre de lectures 0
EAN13 9782764430019
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0850€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Du même auteur
Truculence , Éditions Québec Amérique, 2014.


Projet dirigé par Marie-Noëlle Gagnon, éditrice

Conception graphique : acapelladesign.com
Mise en pages : Interscript
Révision linguistique : Sylvie Martin et Élyse-Andrée Héroux
Conversion en ePub : Marylène Plante-Germain

Québec Amérique
329, rue de la Commune Ouest, 3 e étage
Montréal (Québec) H2Y 2E1
Téléphone : 514 499-3000, télécopieur : 514 499-3010

Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise du Fonds du livre du Canada pour nos activités d’édition.
Nous remercions le Conseil des arts du Canada de son soutien. L’an dernier, le Conseil a investi 157 millions de dollars pour mettre de l’art dans la vie des Canadiennes et des Canadiens de tout le pays.
Nous tenons également à remercier la SODEC pour son appui financier. Gouvernement du Québec – Programme de crédit d’impôt pour l’édition de livres – Gestion SODEC.



Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada

Racine, François
Tabagie
(Collection Littérature d’Amérique)
ISBN 978-2-7644-2960-0 (Version imprimée)
ISBN 978-2-7644-3000-2 (PDF)
ISBN 978-2-7644-3001-9 (ePub)
I. Titre. II. Collection : Collection Littérature d’Amérique.
PS8635.A334T32 2015 C843’.6 C2015-940851-2 PS9635.A334T32 2015

Dépôt légal, Bibliothèque et Archives nationales du Québec, 2015
Dépôt légal, Bibliothèque et Archives du Canada, 2015

Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation réservés

© Éditions Québec Amérique inc., 2015.
quebec-amerique.com



Tout ce qui est intéressant se passe dans l’ombre, décidément. On ne sait rien de la véritable histoire des hommes.
Louis-Ferdinand Céline, Voyage au bout de la nuit

I
Bain. Pas comme dans « salle de bain ». Comme dans « le méchant dans Batman ». Comme dans « les Anglais sont réveils ». Comme dans « un Anglo fou furax qui effraie la manchette ». Bain coudon. 2012, année sortie tout droit des enfers. Après les AG orageuses, le trollage sur les interwebs et le matraquage sur la gueule, Pauline Charest remporte les urnes et un Anglo pas trop brillant apeuré par le grand péril séparatiste décide de faire flamber le Métropolis et qu’il faudrait que ça pétarade. Pauv’ Christophe, colocami solidaire qui fleurte avec la dépression. Il devrait prendre une pause de son implication citoyenne vertueuse avant que ce soit trop tard. Avant que ce soit sa tumeur qui ait un Christophe, et non l’inverse.
Entrée d’un client, grand Noir dodu, toujours habillé en joueur de soccer. À longueur d’année, sauf en hiver, saison des pantalons noirs Adidas, avec les lignes blanches et les boutons de chaque côté, comme j’en portais dans le temps du secondaire.
Bonsoir.
Comme d’habitude, il répond d’un regard et s’imagine que ça suffit. J’oublie souvent que ça ne sert à rien de le saluer, celui-là. Que je lui dise un mot ou pas, le faux joueur de soccer s’en sacre autant que de l’an quarante, mais il a tort de s’en sacrer, parce que ce n’était pas une année banale – droit de vote pour les femmes, Hitler en France, exétéra. Il avance jusqu’à la section des sports, ramasse L’Équipe et me rejoint au comptoir-caisse. Il sort sans mot dire et sans sourire, sans déroger à l’habitude.
Au fond, dans la section Informatique , un baraudeux qui lit depuis splendide lurette. Parcouru la moitié du magasin en une demi-heure. Gratos. Faut le faire. Fut une époque où je l’aurais crissé dehors, tambour et trompette à l’appui. Aujourd’hui, je ne m’en occupe plus. J’ai ramolli avec le temps. Ou je suis devenu plus humain. Et/ou.
On a fait le grand ménage de la tabagie, quand j’ai été transféré à la succursale de Côte-des-Neiges, en 2007. Nouvelle gérante, nouveaux commis, nouvelles politiques d’expulsion. On était durs impitoyables. Peut-être un peu trop. Faut dire qu’y avait chaque jour et chaque soir tant de berlandeux qui n’achetaient jamais rien que les clients honnêtes, les vrais, les capables, devaient faire du slalom entre les barouetteux – qui se parlaient parfois tout seuls et sentaient le chien mouillé. On s’est donc attelés à la tâche ardue de diminuer le nombre d’obstacles humains, et systématiquement. Y a eu de la grogne et beaucoup de points Godwin distribués. On m’a traité de nazi, de raciste, de tit-coune en power trip, et j’en passe. Pour tourner la chose à la blague, on a affiché quelque temps, au tableau blanc de l’arrière-boutique, notre « Classement des expulseurs », motivation supplémentaire pour se lever de son banc de commis, dans la tranquillité d’un mercredi après-midi, et pour aller chercher des noises à un abonné de la lecture gratuite sûr d’être dans son droit. Ça n’aime pas se faire secouer, un être humain certain d’avoir avec soi le bon côté de la force. J’en ai vu cracher par terre et renverser des présentoirs. Y a aussi un tit-vieux, une fois, qui m’a menacé de mort. Ça m’a fait rire, et il a fini par sortir quand même. J’étais le seul employé à temps plein, à l’époque, à part Kim, la gérante, alors forcément, c’est moi qui remportais la palme des expulseurs chaque semaine. Le seul qui osait me souffler dans le cou, c’était Patrick. Un drôle de gars, Patrick. Ukrainien un peu fou, très réservé, mais qui aimait aller au-devant de la bisbille, même quand elle le fuyait. Il travaillait seulement trois soirs/semaine et il avait le culot de convoiter ma première place. Faut dire qu’il ambitionnait pas mal. Une fois, il a sorti physiquement un cycliste qui refusait d’obtempérer. La monture d’abord, ensuite le cavalier, qui a porté plainte le lendemain. Alain, le gérant du district, s’est entretenu avec Patrick, et on a dû effacer le « Classement des expulseurs » du tableau blanc. Un an et demi plus tard, nouvelle rencontre entre l’ami ukrainien fou et le gérant de district. Deux polices en renfort. Patrick volait la tabagie depuis plusieurs années. Les soirs où il travaillait seul, il les passait la caisse ouverte et ne scannait pas les articles dont il connaissait le prix par cœur, avec les taxes, rendait la monnaie aux clients avec son éternel sourire narquois et mettait l’argent dans ses poches. On s’est demandé longtemps pourquoi nos inventaires perdaient toujours l’équilibre. Patrick n’avait pas d’opinion là-dessus. Un jour, Kim a visionné deux trois vidéos de la caméra de sécurité ; et ç’a été la fin de l’Ukrainien chez nous. Il mouillait dans son grenier, mais il nous manque quand même un peu. Ma collègue complice Mel et moi, on riait beaucoup de sa gueule. Il ne s’en apercevait pas toujours.

II
Vendredi. Plus grosse journée de la semaine, celle où on reçoit le gros des revues. En trois quatre heures, on soulage une trentaine de boîtes de leur contenu et on remplace les invendus par les nouvelles parutions, avec des clients dans les pattes et un gérant qui se parle tout seul derrière en jouant dans sa paperasse. Avec le temps, tous les gérants qui passent par Côte-des-Neiges – et j’en ai vu passer un par année depuis cinq ans – finissent par se parler tout seuls. Et par sacrer tout seuls, aussi. Par maudire toute la vie sur terre et plus encore. Je ne sais pas si c’est nous autres, le problème. Manquablement pas. C’est sûrement plutôt lié au fait d’être payé douze piasses de l’heure allié au sentiment d’avoir raté sa vie. Kim, je l’entendais souvent chiâler en anglais quand ses papiers ne balançaient pas et que j’étais occupé à ficeler des invendus à quelques mètres derrière elle dans le bureau. Elle grommelait des paroles indistinctes, et puis les mots « what’s that fucking shit ? » sortaient tout en contraste de sa mignonne bouche de Chinoise femmenfant qui s’obstine à ne pas vieillir malgré ses quarante ans passés. Après, si c’était moi le fautif – et ce l’était parfois, j’ai tendance à trop peu dormir –, elle se tournait vers moi, papiers brandis, et me lançait son habituel « Lee-o, I’m gonna kill you one of these days ». Je lui répondais avec le sourire – et toujours en français, j’en ai fait mon joual de bataille – qu’elle ne ferait jamais ça, qu’elle le savait ben que trop, que j’étais son meilleur, et puis elle rétorquait, avec du rire dans l’œil, que sa meilleure, c’était Mel. Maintenant, Kim travaille à la Banque Royale du Cadenas, où on la croise parfois, Mel et moi, quand Stéphane, le patron qui a marché dans ses traces, nous offre le nanane de sortir à sa place faire le dépôt. Moi, ça me déplaît pas pantoute. Y a plein de belles femmes en dimanche à longueur de semaine qui travaillent à la banque de Sa Grande Majesté Totale. Mel, elle a l’impression qu’il nous niaise, Steph, quand il nous permet d’accomplir – dans toute sa grandeur d’âme et sous prétexte de nous désennuyer – des tâches qui lui reviennent. Elle ne peut pas le sentir. En ce qui me concerne, c’est pas si pire, mais je la comprends. Un vrai suceur d’âme, ce gars-là. À croire qu’il s’ingénie à faire la preuve qu’un minimum d’intelligence sociale n’est pas un critère d’accession au poste de gérant à la Maison de la Presse. Démonstration sans faille jusqu’à présent.
Aujourd’hui, on réceptionne les magazines avec Destinée. C’est une drôlette, celle-là. Pas drôle-haha. Drôle-bizarre. Elle habite Pointe-aux-Trembles et un beau jour, elle a eu l’idée de génie de se chercher un emploi dans Côte-des-Neiges. Le pire, c’est qu’y a une autre personne encore plus drôle-bizarre qui a eu l’idée de génie de l’embaucher. Ses formes regorgeantes ont joué en sa faveur sans aucun doute. Il est sensible à ces choses-là, Stéphane, et il ne se gêne pas pour le laisser savoir, ce qui ne l’empêche pas pour autant d’être célibataire depuis huit ans. Pas d’aventures non plus, on s’en doute bien ; il vaut mieux que ça, Stéphane, il se réserve pour la meilleure, celle qui vaudra la peine d’avoir attendu si longtemps. Par principe, qu’il dit, parce que des occasions, il en a eu, pis à la tonne à part de t

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