Située au point de Lagrange L1 du système Terre-Lune, une position privilégiée en équilibre gravitationnel, la station faisait office de port d’escale et de poste de ravitaillement. Dans son voisinage, aux distances de sécurité de quelques kilomètres, se trouvaient les chantiers navals où se concevaient et se fabriquaient les matériels d’exploration et de commerce à destination de la ceinture d’astéroïdes, ainsi que le terminal de l’accélérateur linéaire qui conduisait les charges utiles vers le cycleur Terre-Lune.
La station elle-même n’était qu’un assemblage hétéroclite de modules d’habitation en métal ou gonflables, de panneaux solaires, de relais radio et de citernes de carburant. Trop petite et d’une forme trop biscornue pour qu’on puisse y reconstituer un semblant de gravité par rotation de l’ensemble, mais indispensable pour toutes les missions scientifiques et autres opérations économiques dans l’environnement lunaire.
Car le satellite terrestre ne manquait pas d’attraits. Il servait de carrière, de centrale électrique et d’avant-poste pour les régions éloignées du système solaire. C’était un comptoir prospère où se retrouvaient les plus grandes sociétés commerciales et où s’affrontaient les ego nationaux, désireux d’embellir leur image par la conquête des territoires d’outre espace, promesses d’affaires juteuses et de lendemains qui chantent.
En ce milieu de XXIe siècle, la Lune était le nouvel Eldorado.
Inde et Chinafrique se disputaient l’énorme caillou et l’escalade à laquelle ils se livraient risquait de dégénérer en conflit armé. Après plusieurs escarmouches, les deux parties en étaient venues à la conclusion qu’il serait préférable de se partager le gâteau, en violation flagrante du traité de l’espace de 1967. Les autres nations du monde, trop affaiblies, n’avaient pas voix au chapitre. Elles ignoraient tout de cette rencontre, et ne pouvaient se fier qu’à leurs services de renseignements et leurs observations.
La salle de négociations – un simple module d’habitation aménagé pour l’occasion – affectait la forme d’un cylindre ouvert aux deux extrémités. La délégation chinafricaine pénétra dans la pièce à la suite du Premier Secrétaire.
Chen N’Gom était tendu. Cette rencontre le ferait entrer dans l’Histoire. Non à cause de ce stupide accord qui allait forcément déboucher, mais bien parce qu’il serait celui qui assurerait à jamais la suprématie de la Chinafrique sur l’espace, et l’espèce humaine.
Par l’accès opposé, les Indiens entraient en rang dans la salle, menés par leur président, Ravi Sarendra. Chaque groupe se répartit à son extrémité du cylindre. Chacun se plaqua contre la paroi, se maintenant en place grâce aux poignées et aux sangles prévues à cet effet.
Chen renifla de mépris à la vue de son adversaire. Quels prétentieux, ces Indiens. Bien trop imbus d’eux-mêmes pour daigner s’allier à d’autres, comme les États-Unis, qui le leur avaient proposé à plusieurs reprises tout au long du XXIe siècle. L’eussent-ils fait qu’ils leur auraient épargné l’effondrement quand la Chine avait retiré son soutien à l’économie américaine. Les Chinois avaient eu l’intelligence de s’associer à l’Afrique, s’assurant l’accès aux matières premières indispensables à leur croissance, ainsi que de juteux marchés lorsque le continent deviendrait solvable – une vision à long terme.