Un pluriel singulier ROMAN
223 pages
Français

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Un pluriel singulier ROMAN , livre ebook

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223 pages
Français

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Description

François Winling traite dans ce roman de cette éternelle question : les moments forts d'une vie comme la guerre, l'amour, la maladie, la mort d'un proche... sont-ils les révélateurs de personnages inconnus mais préexistants en chacun de nous ou au contraire les créateurs de ces personnages que Pierre Forestier, la figue principale de ce roman, appelle ses "avatars" ?

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 juillet 2011
Nombre de lectures 84
EAN13 9782296465657
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0850€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

© L’H armattan, 2011
5-7, rue de l’Ecole polytechnique, 75005 Paris

http://www.librairieharmattan.com
diffusion.harmattan@wanadoo.fr
harmattan1@wanadoo.fr
ISBN : 978-2-296-55232-6
EAN : 9782296552326

Fabrication numérique : Socprest, 2012
Ouvrage numérisé avec le soutien du Centre National du Livre
Un pluriel singulier
F rançois W inling


Un pluriel singulier


roman


L’H armattan
Chapitre I Sous les roses
I n vitam aeternam. Amen. Voilà, c’est fini. Isabelle est au fond du caveau… Pendant que le prêtre faisait une dernière bénédiction sa famille et ses amis ont aspergé son cercueil d’eau bénite et lancé des roses dans la fosse, des gerbes de roses, sa fleur préférée. Pierre n’a pas voulu s’approcher de la tombe. Pas encore. Il faut qu’ils soient tous partis, qu’ils le laissent seul avec elle. Il a tellement de choses à lui dire.
Toute la famille, tous ses amis, et il en a beaucoup, sont là. Ils ont de la peine, leur tristesse n’est pas feinte, cela se sent. Isabelle était très aimée de tous. C’était une femme réservée mais joyeuse, entière, incapable de dissimulation et peu encline au compromis. Son amitié, quand elle la donnait, était indéfectible et très chaleureuse. Elle ne la donnait pas facilement. Il fallait faire ses preuves, montrer une affection aussi désintéressée que la sienne. Avec les autres, ceux qui ne faisaient pas partie de ce premier cercle, elle était aimable, attentive, toujours prête à rendre service, mais ce n’était pas la même chose. C’est difficile de caractériser cette différence, comment définir ce qui sépare un original d’une bonne copie ? Cela se sent mais ne s’explique pas, ce sont des nuances mais elles marquent la frontière entre le vrai don et la simple maîtrise d’une technique. Entre les bonnes relations et les amis il y a la même distance.
Isabelle avait beaucoup de cœur au sens figuré mais était cardiaque au sens propre. Trop de cœur et un cœur fragile, depuis bien longtemps c’était sa condition. Mais c’est une longue histoire. Ce n’est pas le moment d’en parler. D’ailleurs tous se sont rassemblés autour de Pierre, ayant enfin compris qu’il ne s’approcherait pas de la tombe en leur présence. Il ne pleure pas, son visage est sans doute aussi immobile et aussi froid que celui de celle qui repose maintenant sous cette terre. Il est mort lui aussi. Il entend à peine ce qu’ils lui disent, c’est une rumeur, comme celle qu’on commence à percevoir quand on reprend conscience après une anesthésie, on sent que la vie est là toute proche mais c’est encore un autre monde. Pierre dit du bout des lèvres « merci », « oui, je sais que je peux compter sur vous », « merci d’être venus »… Pierre pense qu’il faut qu’ils partent maintenant, il veut être seul, sa douleur il ne veut pas la partager, elle lui appartient, c’est elle qui le relie encore physiquement à Isabelle et il a tellement de choses à lui dire.
A lui dire ou à se dire ? Pierre ne croit pas à la vie après la mort. Il aimerait y croire, savoir qu’il reverra Isabelle dans un autre monde rendrait sa mort moins insupportable. Mais il n’y croit pas, il se dit que nous sommes trop de cette Terre.
Notre corps respire son air et boit son eau, il est adapté à sa pression atmosphérique et à sa pesanteur, conditionné par l’alternance de ses jours et de ses nuits, par ses cycles de vingt-quatre heures et de 365 jours 1/4, par ses quatre saisons, par sa température dont il supporte mal les écarts.
Notre esprit est façonné par la beauté de ses paysages terrestres et maritimes, par sa flore et sa faune, par ses habitants, leurs amours et leurs haines, leurs amitiés et leurs hostilités, leurs compassions et leurs cruautés, leurs vérités et leurs mensonges, par notre culture historique, religieuse, littéraire et scientifique dont la Terre et l’Univers, ses occupants et leurs relations sont les seuls sujets.
Nos espoirs et nos déconvenues, nos joies et nos peines, nos amours et nos haines, sont terrestres. Pierre est incapable de trouver la moindre parcelle de son corps et de son esprit qui ne soit pas liée à cette Terre. Qu’il devienne sourd, muet, aveugle et paralysé, sa pensée restera dirigée par le souvenir qu’il conservera de ce que ses sens lui ont appris. Que peut-il rester des pensées dans un au-delà immatériel ? La vieillesse est trop souvent une déchéance non seulement physique mais psychique alors que, si la vie ne s’arrêtait pas après la mort, elle devrait valoriser notre mental. Nous devrions tous devenir des sages, rayonner par notre esprit, même si, et surtout si, notre corps part en lambeaux.
La foi des autres l’étonne toujours, mais comme disait Julien Green il y a environ cinquante ans dans son « Pamphlet contre les catholiques de France » « Les catholiques de ce pays sont tombés dans l’habitude de leur religion, au point qu’ils ne s’inquiètent plus de savoir si elle est vraie ou fausse… Et cette espèce de foi machinale les accompagne jusqu’à la mort. » Pierre pense comme lui, en généralisant sa remarque à toutes les religions et à tous les pays. Il n’est pas athée et s’il avait la preuve absolue de l’existence de Dieu, il en serait encore plus antireligieux. Si Dieu existe les religions en donnent une vision extrêmement réductrice et très insultante pour lui.
Pourquoi donc vouloir parler seul à seule à Isabelle ? Il ne sait pas. Il y a tellement de sentiments et de pensées contradictoires en lui depuis si longtemps, qu’il a renoncé à les expliquer.
Cette volonté de parler à Isabelle, qu’il croit disparue à jamais, est l’expression de la part irrationnelle de sa pensée. Il croit la connaître beaucoup mieux que lui-même. Elle était entière alors qu’il est divisé en de nombreux personnages qui ont du mal à cohabiter dans le même corps. Aucun d’entre eux ne peut comprendre totalement les autres. Il n’a pas toujours été ainsi, c’est la guerre, celle d’Algérie, la seule qu’il ait faite, qui l’a divisé ou qui lui a révélé cette division intérieure jusque-là ignorée. Isabelle aussi est en lui mais cette personne là, il l’aime et la comprend. C’est elle qui fédère les différents avatars qui se partagent son esprit, lui assurant ainsi une certaine unité. Ces personnages, elle ne les a cependant pas connus tous. Il faut qu’il soit devant sa tombe pour lui parler de ceux qu’elle ignore. L’esprit d’Isabelle est en lui mais son corps est là, à ses pieds, il ne faut pas les séparer, pas encore.
Il est seul, ils sont tous partis et il ne s’en est pas aperçu. Ils ont compris, ce sont des amis. Pierre enfonce les mains dans les poches de son pardessus. Elles sont gelées et il ne s’en était pas rendu compte. Ses doigts engourdis y trouvent des cartes de visite, des quantités : il était sans doute visiblement absent, ils lui ont laissé ce témoignage d’amitié faute de pouvoir le saluer, ils n’ont pas osé le faire revenir à eux, il en était trop loin. Par moments Pierre a l’impression d’être en dehors de son corps et c’est ce qui vient de lui arriver. Comme un plongeur en apnée dont tout l’oxygène du sang reflue vers le cerveau, il est dans ces moments-là réduit à un esprit qui coupe les communications avec le reste du corps. Ses nerfs n’ont pas pu lui transmettre les messages envoyés par ses doigts en train de geler, ni ceux des bruits causés par le départ des amis et de la famille, ni celui de la vision de leurs silhouettes en train de s’éloigner.
Isabelle, comme elle va lui manquer. Pierre va se coucher de nouveau sans elle ce soir et tous les suivants. Il n’écoutera pas, comme chaque soir auparavant, ce cœur qui battait dans sa poitrine, ce cœur qu’il a tant aimé, il ne sentira pas la chaleur de son corps qui vient se coller au sien, ses seins contre ses omoplates, son ventre contre son dos, ses jambes contre les siennes… Ils aimaient s’endormir dans cette position-là ou en inversant leurs rôles. Pierre lui avait promis de la réchauffer ainsi une dernière fois si elle mourait la première et c’est ce qu’il avait fait. Il aurait voulu qu’ils quittent cette terre ensemble, pendant leur sommeil, et qu’on les retrouve ainsi le matin, collés l’un à l’autre et qu’on les enterre tous les deux dans un seul cercueil. Pierre lui dit sans parler : « Isabelle, tu sais comme j’aime écrire des poèmes, cette forme d’écriture me convient. Elle per met d’exprimer l’inexprimable. Un po&

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