Si le soleil ne revenait pas
203 pages
Français

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Description

Charles-Ferdinand Ramuz (1878-1947)



"Vers les quatre heures et demie, ce jour-là, Denis Revaz sortit de chez lui. Il eut de la peine à descendre les marches de son perron ; il boitait assez bas et s’appuyait sur une canne.


C’était son genou qui n’« allait pas » comme il disait ; et on lui disait : « Comment va votre genou ? » Il répondait : « Il ne va pas fort ».


Ainsi il a longé non sans difficulté, d’un bout à l’autre, la petite rue qui traverse le village ; il s’était engagé ensuite sur sa gauche dans un sentier qui menait à une maison, bâtie un peu en dehors et un peu au-dessus des autres maisons.


À peine si on l’apercevait encore dans l’ombre, cette maison ; on distinguait pourtant que c’était une maison de pierre avec un toit couvert en grosses dalles d’ardoise et il se confondait par sa couleur avec la nuit, mais est-ce bien la nuit qu’il faut dire ? ou est-ce le brouillard ? ou bien est-ce encore autre chose ? parce qu’il y avait déjà plus de quinze jours que le soleil était disparu derrière les montagnes pour ne reparaître que six mois plus tard.


Et puis c’était ce genou qui n’allait pas.


Revaz s’était arrêté un instant pour laisser se calmer la douleur et, dans l’obscurité grandissante, voilà qu’on avait vu, par l’ouverture des deux fenêtres qu’il y avait au rez-de-chaussée sur le devant de la maison, une lueur roussâtre se mettre à bouger comme une aile de chauve-souris.


Ces fenêtres, qui n’avaient ni contrevents, ni rideaux, occupaient le bas de la façade traversée obliquement par une large lézarde qui faisait penser à une page de cahier qu’on aurait biffée à la plume ; on voyait derrière les vitres monter, descendre, paraître, disparaître cette lueur, comme un lambeau d’étoffe déteinte qu’on aurait agité derrière les carreaux.


Ce qui a fait que Revaz a été tout de suite assuré qu’Anzévui était chez lui (d’ailleurs comment n’y aurait-il pas été ?) et Revaz s’était remis en route malgré son genou malade et la raideur du sentier, mais heureusement que le trajet n’était pas long."



1937. L'hiver, le soleil ne brille jamais dans le village de Saint-Martin-d'En-Haut (Suisse). Les habitants en ont l'habitude. Mais cette année-là, Anzevui, le vieux guérisseur, annonce que le soleil ne reviendra plus jamais... C'est écrit dans les livres...

Sujets

Informations

Publié par
Nombre de lectures 2
EAN13 9782374637259
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0015€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Si le soleil ne revenait pas


Charles-Ferdinand Ramuz


Juillet 2020
Stéphane le Mat
La Gibecière à Mots
ISBN : 978-2-37463-725-9
Couverture : pastel de STEPH'
lagibeciereamots@sfr.fr
N° 725
I

Vers les quatre heures et demie, ce jour-là, Denis Revaz sortit de chez lui. Il eut de la peine à descendre les marches de son perron ; il boitait assez bas et s’appuyait sur une canne.
C’était son genou qui n’« allait pas » comme il disait ; et on lui disait : « Comment va votre genou ? » Il répondait : « Il ne va pas fort ».
Ainsi il a longé non sans difficulté, d’un bout à l’autre, la petite rue qui traverse le village ; il s’était engagé ensuite sur sa gauche dans un sentier qui menait à une maison, bâtie un peu en dehors et un peu au-dessus des autres maisons.
À peine si on l’apercevait encore dans l’ombre, cette maison ; on distinguait pourtant que c’était une maison de pierre avec un toit couvert en grosses dalles d’ardoise et il se confondait par sa couleur avec la nuit, mais est-ce bien la nuit qu’il faut dire ? ou est-ce le brouillard ? ou bien est-ce encore autre chose ? parce qu’il y avait déjà plus de quinze jours que le soleil était disparu derrière les montagnes pour ne reparaître que six mois plus tard.
Et puis c’était ce genou qui n’allait pas.
Revaz s’était arrêté un instant pour laisser se calmer la douleur et, dans l’obscurité grandissante, voilà qu’on avait vu, par l’ouverture des deux fenêtres qu’il y avait au rez-de-chaussée sur le devant de la maison, une lueur roussâtre se mettre à bouger comme une aile de chauve-souris.
Ces fenêtres, qui n’avaient ni contrevents, ni rideaux, occupaient le bas de la façade traversée obliquement par une large lézarde qui faisait penser à une page de cahier qu’on aurait biffée à la plume ; on voyait derrière les vitres monter, descendre, paraître, disparaître cette lueur, comme un lambeau d’étoffe déteinte qu’on aurait agité derrière les carreaux.
Ce qui a fait que Revaz a été tout de suite assuré qu’Anzévui était chez lui (d’ailleurs comment n’y aurait-il pas été ?) et Revaz s’était remis en route malgré son genou malade et la raideur du sentier, mais heureusement que le trajet n’était pas long.
Il est arrivé devant le perron. C’étaient trois marches sur le côté de la maison, et par un bout elles étaient enterrées dans la pente. C’étaient trois marches qui bougeaient sous le pied, parce qu’elles étaient descellées ; elles menaient à une vieille porte arrondie du haut. Et il n’y avait plus de poignée à la porte ; c’était une grosse ficelle qui faisait manœuvrer à l’intérieur le loquet, car tout était ancien ici et ruiné, devant quoi Revaz s’était arrêté, ayant fait du bruit avec ses gros souliers à clous sur les marches de schiste. Pourtant on n’avait pas bougé dans la maison.
Il a cogné du poing contre la porte.
Et puis il a dit :
– Antoine Anzévui, êtes-vous là ?
On ne répondait pas :
– C’est moi Revaz, Denis Revaz ; est-ce qu’on ne pourrait pas entrer ?
Cependant on ne tirait toujours pas sur la cordelette et ainsi il a dû attendre encore qu’on se levât à l’intérieur, comme il a entendu qu’on faisait, au bruit d’un meuble qui a été déplacé ; puis, la porte ayant été lentement tirée, quelque chose de blanc s’est montré dans l’entre-bâillement :
– Ah ! c’est toi. Qu’est-ce que tu veux ?
La porte en même temps s’était ouverte toute grande, de sorte que Revaz n’avait eu qu’à entrer.
D’abord on ne voyait rien ; puis on voyait qu’il y avait un feu qui brûlait sur un foyer de pierre.
Ensuite on voyait que la cheminée avait un grand manteau qui s’avançait vers le milieu de la pièce, sous lequel une vieille table de noyer était couverte de toute espèce d’objets disposés pêle-mêle, tandis qu’un fauteuil à siège de paille défoncé était tiré entre elle et le feu.
La porte s’était refermée ; Anzévui s’avança devant Revaz en traînant les pieds. Il prit un escabeau qu’il plaça en face du fauteuil devant le feu : « Assieds-toi là », avait-il dit ; ensuite il avait regagné sa place ; mais alors on avait vu qu’elle était occupée par un gros livre à reliure de parchemin veinée de rouge, usée aux nervures, rongée dans les coins, qu’Anzévui souleva avec lenteur et respect, puis posa sur la table, les feuillets en dessous.
Il avait une grande barbe blanche ; il avait de longs cheveux blancs qui lui tombaient sur les épaules.
– Eh bien ? dit-il.
– Antoine Anzévui, dit Revaz, je suis bien fâché de vous déranger. Vous étiez en train d’étudier. Vous êtes un savant ; vous lisez dans des livres. Qu’est-ce que c’est ? c’est-il la Bible ?
Anzévui ne bougeait pas.
Il tenait l’une dans l’autre sur ses genoux ses mains noires ; et, comme il faut du temps pour s’habituer à l’obscurité, c’est seulement à présent qu’on voyait, grâce à la flamme plus vive, qu’on était dans une très grande pièce. La lueur du feu faisait un demi-cercle sur les dalles disloquées ; elle s’élargissait parfois, gagnant jusqu’aux fenêtres qui étaient percées dans le mur opposé ; et alors on s’apercevait aussi que cette pièce avait été une très belle pièce, comme il arrive dans nos montagnes où on trouve souvent, parmi les petites maisons de bois, une de ces grandes maisons de pierre qui ont été bâties par un homme du village de retour au pays après s’être enrichi au service étranger. Seulement, avec le temps, et parce que l’argent s’en est allé, elles ont été abandonnées ; c’est ainsi qu’il y avait des trous dans le plafond, que la plupart des carreaux avaient été remplacés par des feuilles de papier d’emballage et que, la fumée du foyer s’étant déposée sur les murs, il n’y avait dans la chambre qu’une tache claire qui était les cheveux et la barbe d’Anzévui.
C’était un homme qui se connaissait en maladies de toute espèce ; et on venait de loin lui demander conseil parce qu’il allait chercher des herbes dans les montagnes, et on lui achetait ses herbes, et ses herbes vous guérissaient.
– Écoutez, Antoine Anzévui, il faut me dire si je vous dérange, j’aurais besoin de vos conseils ; j’ai le genou droit qui ne va pas.
– Qu’est-ce que tu t’es fait au genou ?
– Je ne sais pas, dit Revaz, j’ai dû faire un faux mouvement. C’est en descendant le regain. On a bien dans les cinquante kilos sur le dos, vous comprenez. Et ça va faire bientôt trois mois que c’est arrivé ; et depuis ce temps-là il ne désenfle pas, bien au contraire ; chaque fois que je bouge, l’enflure grossit un peu plus.
– Montre-moi ça.
L’autre releva son pantalon. À la lueur du feu, on vit sa jambe qui était maigre, de couleur grise, avec des nœuds de veines vertes, et cependant il tirait sur l’étoffe qui était de la grosse milaine brune et résistait.
– Vous comprenez, c’est pourquoi je me sers d’un bâton, je peux plus sortir sans bâton, c’est ennuyeux. Et c’est pourquoi je suis venu vous demander ce qu’il fallait faire, Antoine Anzévui.
Il était penché sur son genou, tenant des deux mains son pantalon pour l’empêcher de redescendre ; et son genou était comme une grosse betterave rouge, la jambe se renflant brusquement à la place de l’articulation en même temps qu’elle changeait de couleur, puis au-dessous de l’articulation elle s’amincissait de nouveau, en même temps que la peau redevenait grise.
– Approche-toi, dit Anzévui.
Revaz, d’un coup de reins, avança son tabouret, puis l’avança encore un peu, l’autre n’ayant pas quitté son fauteuil, mais sa barbe vint en avant, tandis qu’il tendait la main ; alors on a été étonné de voir combien elle était précautionneuse et délicate, parce qu’il avait posé le doigt sur la place malade :
– Ça te fait mal ?
Revaz secoua la tête.
Anzévui appuya plus fort.
– Et à présent ?
– Un peu.
Et Anzévui :
– C’est chaud... Eh bien, reprit-il, ce n’est rien. Je vais te donner une tisane. Tu prends

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