Un ambassadeur se rebiffe
163 pages
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Un ambassadeur se rebiffe , livre ebook

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Description

C ’est l’histoire d’un gamin du Mans qui, après avoir découvert les vertus thérapeutiques de la pénicilline et du jazz, ces nouveautés de l’après-guerre, part explorer deux mondes. Le monde mystérieux, codifié, souvent décrié et méconnu du Quai d’Orsay, et le vaste monde des peuples lointains, des paysages fabuleux, des océans infinis. Ancien ambassadeur de France, Michel Jolivet a servi pendant quarante ans notre diplomatie dans des endroits moins connus que Rome ou Washington. Du Burundi à la Nouvelle-Zélande, du Kenya aux îles Fidji, de Tonga au Népal et dans d’autres pays encore, son récit foisonnant d’anecdotes révèle un métier parfois rocambolesque et le parcours d’un homme pas toujours prêt à opiner du chef. Il fera d’ailleurs condamner par la justice ce ministère des Affaires étrangères qu’il décrit d’une plume caustique. Loin de la drôlerie convenue ou des clichés qui sont habituellement la marque des livres consacrés au Quai d’Orsay, celui-ci est un témoignage sur le quotidien d’un diplomate de terrain, ainsi qu’une réflexion parfois intime sur la vie d’ambassadeur et l’image de la France. Sous le pseudonyme de François Moyen, l’auteur a publié Le Petit Livre Rose, ouvrage de citations de François Mitterrand (1991).

Informations

Publié par
Date de parution 06 décembre 2013
Nombre de lectures 2
EAN13 9782312018904
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0015€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Un ambassadeur se rebiffe

Michel Jolivet
Un ambassadeur se rebiffe

Heureux qui comme Ulysse…

Avant-Propos
En 1993, je représentais la France au sein d’une délégation qui conduisait à travers six pays de l’ex-URSS tout juste disloquée, des diplomates des états membres du G7 plus un Australien spécialiste des armes chimiques. Au Kazakhstan, en Ouzbékistan, en Arménie, en Azerbaïdjan, en Géorgie et en Moldavie, notre tâche était d’inciter ces républiques à contrôler ou à cesser d’éventuelles exportations d’armes conventionnelles, d’équipements balistiques, nucléaires ou chimiques. Les Soviétiques leur avaient en effet laissé des usines inquiétantes qui continuaient à produire et dont on savait peu de chose.
Nous disposions d’un avion d’affaires utilisé d’ordinaire par un chef d’État africain qui le louait le reste du temps. De capitale en capitale, les vols étaient confortables : canapés de cuir souple, bar, et peu de travail car dès les premiers entretiens il apparut que la tournée était mal conçue. Nous faisions l’un après l’autre de simples exposés devant des responsables politiques guère convaincus, expliquant quelles réglementations étaient en vigueur chez nous, mus par l’espérance méritoire que nos auditeurs s’en inspireraient. Mais leurs priorités étaient ailleurs et innombrables car ces débris de l’URSS ne s’étaient pas encore constitués en de véritables états. Dans le regard de ceux qui nous écoutaient, je lisais parfois un effet pervers de nos conseils : nous leur donnions sans l’avoir voulu des idées de trafics qu’ils n‘avaient pas eues.
Notre groupe était de bonne compagnie, l’ambiance gaie à bord et même dans les hôtels où nous descendions bien que leur confort post-soviétique fût déroutant. À Erevan, chaque chambre était équipée d’un piège à rats tout neuf.
Le périple s’acheva en Moldavie. Le traditionnel dîner de fin de mission eut lieu dans un restaurant de Kichinev : cave voûtée, musiciens tziganes, discours, remerciements, blagues et vin rouge à volonté. Au dessert, la tablée était mûre. Il restait dans ma poche un paquet de billets de banque qui seraient sans valeur une fois de retour à Paris. Mieux valait m’en débarrasser tout de suite. Je quittai discrètement la table et proposai à l’orchestre de me jouer la Marseillaise en échange de la liasse. Violoniste, accordéoniste et guitariste rondirent l’œil, se concertèrent un instant et acquiescèrent. Le temps que je rejoigne ma place, ils attaquaient avec énergie, dans un style dansant. Stupéfaction et joie de mes collègues. L’Australien attendit que le calme fût revenu et vint à moi un peu pompette : « Quelle chance d’être Français ! Imagine que je sois allé leur demander de jouer l’hymne australien ! »
C’est mon anecdote favorite lorsque je tente de définir cette image de la France qui m’a guidé sur les cinq continents.
Genèse d’un départ
Les gens s’imaginent que chaque ambassadeur possède une demeure de famille, peut-être délabrée, dans quelque jolie province, et qu’il doit sa carrière à des origines sociales enviables. Mon père n’avait pas l’air d’un aristocrate lorsqu’il enfourchait son vieux vélo vert pour aller travailler à l’usine Renault du Mans.
Je nais en France en 1942. C’est le mauvais moment et le mauvais endroit, y compris pour se forger une croyance en la diplomatie. Au moins, mon tout jeune âge m’épargne-t-il la mémoire directe de l’horreur. Le premier souvenir gravé dans mon esprit doit dater de 1946 ou 1947. Il me met en scène assis devant une assiette emplie comme trop souvent de pommes de terre écrasées. Je ne veux pas manger. Avec leurs couverts, mes frères triturent la purée pour lui donner l’aspect d’un visage, puis, du bout de la fourchette, ajoutent au dessus de la bouche la vilaine petite moustache d’Hitler. C’est Hitler! Vas-y! Mange! Saisi d’ardeur patriotique, et entamant sans le savoir ma formation européenne, j’ingurgite le Führer en commençant par les oreilles. À l’été 1944, j’ai failli ne plus avoir besoin de ration alimentaire. Mes parents sont responsables d’un petit camp où l’on a regroupé des enfants. La dysenterie s’est installée et ne m’a pas raté. Par chance, une division américaine passe par là dans sa marche vers Paris, pendant que les Nazis filent aussi vite que je vais sur le pot.
Ses médecins ont peu de patients faute de combats. Ils viennent retaper les petits diarrhéiques en perdition. Je dois la vie aux premiers antibiotiques et aux États-Unis d’Amérique. De cet épisode qui m’a fourni une entrée en matière sincère vis-à-vis de bien des collègues américains, je ne garde qu’une séquelle : pendant des années, on me compte si aisément les côtes que mes frères me surnomment « Gandhi ». Le Tiers-monde entre dans mon existence.
La Sarthe est un département moyen. Qu’il s’agisse par exemple du revenu par habitant, du taux de criminalité, ou du pourcentage d’alcooliques, les Sarthois sont toujours représentatifs de la moyenne nationale. Les grands artistes de variétés le savent : comme ultime préparation à un nouveau spectacle parisien, ils se produisent au Mans afin de tester leurs chansons ou leurs plaisanteries non pas sur un auditoire de ploucs, mais sur des Français fermement moyens. A priori, je suis appelé à devenir l’un de ceux-ci. À la maison, il n’y a pas de traditions qui prédisposent les enfants à un métier plutôt qu’à un autre, encore moins à voyager si ce n’est pour le service militaire. Ainsi, l’union de la moyenne et du hasard va faire de moi soit un Manceau sédentaire qui s’enhardira parfois jusqu’à la plage de la Baule, soit autre chose.
Ma chance initiale est d’être le quatrième de sept enfants, esseulé entre deux trios, celui des « grands » et celui des « petits », qui accaparent d’autant plus l’attention des parents que mon père est déjà l’aîné de onze et ma mère de dix. J’observe et me débrouille en marge des uns et des aux autres, concerné par ces démêlés de famille nombreuse au milieu desquels je grandis, mais sans m’y impliquer. Cela me sera utile par la suite. Plus tard, j’ai entendu des hommes politiques ballots clamer que toutes les nations du monde devaient vivre comme une grande famille. Sans doute étaient-ils fils uniques. En mon for intérieur, je me construis peu à peu moi-même.
Par bonheur, j’ai de bons instituteurs issus de la meilleure tradition. Au milieu d’une vingtaine de gosses en blouse grise, je suis soudain traité comme n’importe lequel d’entre eux. De minoritaire et marginal que je suis avant d’aller à l’école, je prends sans tarder ma revanche en étant premier. Et puis, en classe de huitième, la salle est ornée des grandes cartes murales de « Vidal-Lablache ». Quand j’ai fini mon travail avant mes voisins, j’ai de nouveaux horizons.
Un jour, je lis le numéro de l’hebdomadaire Paris-Match dont la couverture montre Maurice Herzog au sommet de l’Annapurna. J’en suis impressionné au point que lorsque paraît son récit « Annapurna premier 8000 », je tente un coup de force de hauteur similaire en demandant à mon père de m’acheter le livre. Il consent à la dépense. J’ai huit ans. Cinquante-quatre ans plus tard, je serai ambassadeur de France au Népal. Cette lecture me donne le goût de bien d’autres qui s’enchaînent : voyages, explorations, chasse à l’ours, cueillette des orchidées, corsaires, îles du Sud, pôle nord, Jules Verne, jusqu’à un film : « Le Monde du Silence » et ses paysages sous-marins.
Au lycée, mes professeurs sont médiocres dans l’ensemble. Je m’ennuie donc et adopte sans le savoir l’attitude du fonctionnaire qui se force juste à ce qui est nécessaire pour mériter le prochain avancement, en l’occurrence l’accès à la classe supérieure. La grisaille mancelle me devient perceptible, déchirée à l’occasion par les conférences de la série « Connaissance du Monde » et chaque année par le déferlement cosmopolite des spectateurs venus de l’Europe entière assister à la course automobile des Vingt-Quatre Heures du Mans. Des Anglais en Jaguar et Aston Martin, des Italiens en Ferrari, des Allemands en Mercedes, des Américains de Paris dans leurs décapotables voyantes. Et même aussi des Noirs, comme dans mes livres. Mais ceux-là

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